NETTALI.COM - Le Sénégal s’apprête à appliquer une Taxe sur la valeur ajoutée (Tva) sur les activités numériques dès le 1er juillet prochain, une initiative du ministère des Finances et du Budget visant à élargir l’assiette fiscale et à renforcer la mobilisation des ressources internes pour financer les politiques publiques. Décryptage de la disposition avec Samba Diouf, juriste consultant en économie numérique, enseignant à l’Université du Sahel de Dakar. 

C’est l’arrêté 034269 du ministère des Finances et du Budget qui a été adopté le 21 mai 2024 et qui entre en vigueur ce 1er juillet. Il abroge et remplace l’arrêté de 2023 introduit par la Loi des finances 2022. Ce qu’il faut retenir de son contenu d’essentiel, c’est qu’aujourd’hui, la transformation digitale de nos sociétés a apporté un véritable changement dans nos comportements et dans les valeurs marchandes. L’Union européenne a exigé des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft) que des taxes soient reversées à tous ses États membres depuis 2023. Ce sont des géants qui réalisent une économie immense à l’endroit de ces pays, mais également à l’endroit de l’Afrique. L’État du Sénégal prévoit d’appliquer une Tva sur l’ensemble des transactions qui seront réalisées à l’endroit du pays et/ou à l’endroit de ses ressortissants. En clair, l’arrêté vise les prestataires qui sont établis hors du territoire du Sénégal, mais qui entretiennent des relations d’affaires avec le Sénégal et créent une économie pour leur propre compte. «Il faut s’en féliciter parce que cela permet à l’Etat du Sénégal de porter le curseur sur son économie immatérielle», commente Samba Diouf, juriste consultant en économie numérique, enseignant à l’Université du Sahel de Dakar.

Les opérations imposables

L’arrêté a voulu faire preuve de pédagogie en affichant la liste de tout ce qui serait assujetti à la Tva, en l’occurrence des prestations de services numériques. En exemple, les contrats d’infogérance qui concernent les entreprises sénégalaises établies sur le territoire et qui choisissent d’affecter une partie de leur cœur de métier à des entreprises établies ailleurs, sur d’autres territoires étrangers. Elles créent du chômage en procédant à un sacrifice social, des emplois qui auraient dû revenir à des Sénégalais vont disparaître, alors que ces sociétés créent une économie. Dans la liste, il est fait état de tout fournisseur, tout intermédiaire qui intervient dans le champ des services numériques, qu’il s’agisse de ses propres produits ou d’autres produits. A ce jeu, même le secteur des médias est pris en compte dans ce que sont les prestations qui portent sur les services d’offres publicitaires, les prestations qui comptent également sur la presse en ligne, l’apprentissage en ligne avec les plateformes d’enseignement en ligne. Les services de sauvegarde électroniques sont également visés. «La plupart des entreprises établies au Sénégal conservent leurs données hors du territoire et paient pour ce service. Cet argent est une économie sur laquelle l’État du Sénégal va appliquer une Tva», explique M. Diouf. Outre les hébergeurs de données, il y a les hébergeurs de sites, d’images, la télédiffusion, la vente de logiciels ou le streaming.

Modalités de collecte

La Direction des impôts a imposé dans la loi la base imposable qui est le chiffre d’affaires réel. Les services fiscaux du Sénégal, notamment la Direction des grandes entreprises, sont le réceptacle de cette collecte. L’arrêté exige de l’ensemble des prestataires étrangers, une déclaration en ligne pour un paiement en ligne. Ce qui facilite les opérations, même s’il sacrifie la fonction de représentant fiscal. Mais pour Diouf, cette collecte ne peut être réellement efficiente que si les Sénégalais s’emploient à respecter la conformité dans l’élaboration des factures. «Il faut que les Sénégalais imposent l’application de factures conformes comportant le calcul de la Tva, les mentions qui renseignent sur le lieu d’imposition, l’adresse, le numéro de téléphone, le Ninea de l’entreprise… », plaide le juriste qui renseigne par ailleurs que cette Tva est la seule taxe appliquée aux entreprises en dehors du Sénégal.

Les recettes attendues

Les Gafam et compagnie vont collecter et reverser au fisc sénégalais à peu près 693 milliards FCFA annuel. C’est ce qu’envisage l’État mais, pour le juriste consultant, ces prévisions sont bien en deçà des capacités réelles des assujettis à mobiliser la taxe. «Si on s’en tient aux statistiques au niveau international, l’économie numérique se chiffre à plusieurs milliers de milliards. Il est évident que si on met en œuvre les mécanismes qu’il faut, l’État du Sénégal pourra capter de la chaîne de valeur une économie beaucoup plus forte», dit Samba Diouf.

Dans les faits, cette Tva n’est pas orientée vers les entreprises établies au Sénégal; par conséquent, les startups sénégalaises n’ont rien à craindre. Le seul petit souci est qu’en imposant une Tva aux partenaires étrangers, ces derniers peuvent décider de s’adresser à d’autres pays. La question fondamentale ici, c’est donc la compétitivité et pour Diouf, c’est là que cela va se jouer pour les jeunes pousses. C’est le même principe qui va s’appliquer aux artistes. La quasi-totalité d’entre eux ont opté pour le streaming pour compenser le phénomène de la piraterie. Mais, ce rush ne profite en réalité qu’aux plateformes établies en dehors du territoire sénégalais. La nouvelle loi ne fera qu’exiger un juste retour des choses. «Les experts fiscaux devraient appuyer tout ce beau monde pour qu’on sache que cette loi n’est pas une menace. C’est d’ailleurs en cela que la loi fait défaut en supprimant la fonction de représentant fiscal. Cette Tva n’est vraiment pas une menace», dit le juriste consultant.