NETTALI.COM - De nombreuses leçons peuvent être tirées du premier tour des élections législatives, dimanche 30 juin, organisé en un temps record et néanmoins marqué par une forte participation. En voici quelques-unes, de la progression du Rassemblement national (RN) jusqu'au niveau de diplôme des électeurs du Nouveau Front populaire.
La participation, grande gagnante chez les jeunes
Hausse de la participation à 12h, 59,39 % à 17h avec une projection quasi record pour la fin de journée : avant l'arrivée des résultats définitifs dans la nuit, la participation a été la vedette de ce premier tour des élections législatives. Elle constituait même un enjeu immense, dans la mesure où chaque camp espérait siphonner quelques voix dans un réservoir difficilement sondable. Résultat : 66,71 % de participation, du jamais vu depuis la dissolution de 1997, le tout après une campagne expresse, une remobilisation après des élections européennes peu suivies à une date (30 juin) propice aux premiers départs en vacances.
“Les abstentionnistes ne sont pas que chez les jeunes, la remobilisation qu’on a observée recoupe tous les groupes sociaux”, tente d'expliquer Jessica Sainty, maîtresse de conférences en science politique à l'université d'Avignon et sociologue du comportement électoral. Celle-ci s'est manifestée dans à peu près toute la largeur du spectre politique en raison d'un contexte aux facteurs mobilisateurs multiples. "Il y a eu le côté très inhabituel de ces élections, poursuit Jessica Sainty. Depuis 2002, les législatives suivent la présidentielle et étaient devenues des élections de routine, de ratification du nouveau président, presque les moins intéressantes de la vie politique française".
Le contraste de participation pourrait donc être d'autant plus fort qu'Emmanuel Macron n'a pas été un choix de conviction chez beaucoup d'électeurs, qui n'auraient pas souhaité se déplacer à nouveau dans les bureaux de vote pour donner une majorité à un président qui ne les a pas convaincus (47,51 % de participation en 2022 au premier tour).
"On a aussi connu deux grands mouvements sociaux récemment, rappelle la maîtresse de conférence. Les retraites l’an dernier et les agriculteurs cette année. Avec un soutien important de la population, ce qui peut pousser des gens éloignés des urnes à y revenir. Probablement, aussi, une partie de l’électorat de gauche était inquiète de voir le RN gouverner. Et de la même façon, pour les lecteurs d’extrême droite, un espoir de gouvernance."
Le RN en progression chez tous les âges, toutes les CSP
La progression électorale du Rassemblement national (RN) est-elle transversale en France ? “Oui”, répond, laconique, Mathieu Doiret, directeur d'études de l'institut de sondage Ipsos, dont sont issus les résultats et estimations. Si le vote FN/RN est ancré historiquement chez les hommes de 30 à 50 ans, le premier tour des législatives de dimanche a montré une nette progression chez des catégories d'âge qui lui résistaient encore quelque peu.
Chez les plus jeunes, "c'est une tendance de fond, explique Mathieu Doiret. C’est simplement révélateur du manque d’homogénéité de la jeunesse. Il y a une grande différence qui se fait sur le niveau de diplôme. Surtout en sachant que chez eux, il est lié à là où ils en sont dans leurs études, si elles sont terminées ou pas, puisque le RN est plus faible chez les étudiants". Un vote RN chez les jeunes, mais pas n'importe lesquels. Car si l'extrême droite incarnée par Jordan Bardella a gagné 15 points chez les tout jeunes votants depuis 2022, il faut tout de même garder à l'esprit que chez les 18-24 ans. Le Nouveau Front populaire en a raflé presque la moitié suffrages, à l'échelle nationale.
Comparativement à 2022, le parti lepeniste a notamment explosé ses scores chez les électeurs les plus âgés. Plus 22 points de pourcentage chez les 60-69 ans et 17 chez les plus de 70 ans. Un mouvement qui a été progressif "chez les personnes les plus âgées et les retraités, relève Mathieu Doiret. Même si ce sont ceux qui votent le plus encore pour Ensemble. Une progression qui a retiré tout espace à la droite traditionnelle". Les Républicains réalisent des scores de 11% et 14% sur les mêmes catégories d'âge.
Chez les retraités justement, le Rassemblement national a très largement progressé. Mais en jetant un œil aux catégories socioprofessionnelles, ce ne sont pas les hausses les plus spectaculaires qui sont à relever lorsqu'il s'agit d'analyser les scores de l'ex-FN. Mais plutôt celui des cadres et des professions intermédiaires. Des électorats qui résistaient globalement aux sirènes lepénistes jusque-là. Derrière ces CSP se cachent, notamment “des professeurs, des infirmiers, des travailleurs sociaux... où certains sont passés d’un bord à l’autre sans transition, détaille Mathieu Doiret. Spécifiquement pour les questions de sécurité ou d’immigration rencontrées dans leur métier. Ça, on le sait, car ce sont les syndicats qui nous l’ont fait remonter”.
L'électorat diplômé et aisé toujours acquis à gauche
"Ce qui est fascinant à gauche, c’est de voir à quel point l’électorat du NFP est plutôt aisé et diplômé", souligne le sondeur. Le constat est frappant, à mesure que le vote se porte vers la gauche, le niveau de diplôme augmente. Un constat qui rejoint l'analyse concernant le vote des plus jeunes, parmi lesquels seules certaines catégories se sont aventurées avec un vote à l'extrême droite.
Au sujet du niveau de richesse, les résultats sont sensiblement les mêmes et confirment que les électeurs les plus aisés et aux plus longues études ont choisi le NFP. Une victoire ? "Oui et non, parce que ce n’est pas forcément nouveau, rappelle Mathieu Doiret. Après 2017, ces gens avaient beaucoup voté pour le centre macroniste et, depuis les européennes, ils retournent vers la gauche. Ça ressemble un peu à ce qu’avait été l’électorat de François Hollande en 2012". Pas vraiment prolétaire, donc. "Ce qui est moins marqué qu’avant c’est la différence privé/public, c’est désormais moins important qu’avant", conclut-il.
Autre bastide inviolable à gauche, les grandes villes et les quartiers populaires, à l'image de l'ouest parisien et de sa banlieue. Si le RN y a progressé, la gauche n'y a pas reculé : "En réalité, le vote d’extrême droite dans les grandes villes, c’est le vote de droite d’avant, qui allait vers Les Républicains", analyse Mathieu Doiret.
Ensemble et Les Républicains sans conviction ?
"Pour voter RN, il faut adhérer aux idées et pas seulement se positionner en défiance de la vie politique", martèle Jessica Sainty. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre cette petite musique du “On n'a jamais essayé avec eux”, les électeurs souhaitant donner une majorité à Jordan Bardella sont convaincus, idéologiquement, que le parti pour lequel ils votent, correspond à leurs convictions.
À la question "Avez-vous l'intention de voter pour ce candidat avant tout pour le faire gagner, lui et sa coalition, ou pour avant tout pour faire barrage à d'autres candidats et leur coalition ?", 74 % des électeurs RN ont choisi la première option. Une réalité loin d'un vote de dépit, faute d'avoir essayé le reste. Contrairement aux voix dirigées vers Les Républicains et Ensemble.
"On va retrouver dans le vote des personnes qui votent RN une vision autoritaire et raciste de la société, expose Jessica Sainty. Tout le débat autour des binationaux et de leur déloyauté supposée vis-à-vis de la France, là, on est au cœur de ce qu'est le RN. Voter pour ça, c'est un vote d’adhésion."
Dans un second tour à venir dimanche 7 juillet, avec plus de 300 triangulaires potentielles, l'enjeu de la conviction et du barrage sera majeur. Reste à savoir quel courant les “barragistes” décideront-ils de stopper, s'ils le décident.
RFI.FR