NETTALI.COM - Les derniers propos d'Ismaïla Madior Fall sur la possibilité ou non d’inclure la mort des deux sous-officiers du renseignement, Fulbert Sambou et Didier Badji, dans la loi d’amnistie de mars 2024, ont soulevé de vives polémiques. Cette déclaration relance d’ores et déjà cette douloureuse affaire qui tient en haleine l’opinion depuis près de deux ans.

La dernière sortie de l’ex-garde des Sceaux, Ismaïla Madior Fall relative à la disparition des deux sous-officiers Fulbert Sambou, gendarme en service à l’Inspection générale d’État et Didier Badji, sous-officier à la Direction du renseignement militaire (DRM), a ravivé la douleur et l’émoi provoqués par cette nébuleuse affaire.

En effet, lors d’une émission sur la 7TV, mercredi soir, le professeur Ismaïla Madior Fall a indiqué que la mort des deux gendarmes pouvait être incluse, en principe, dans la loi d'amnistie votée en mars 2024. "La loi d'amnistie est large. Oui, on peut le considérer. On a inclus les événements liés de mars 2021 à 2024. Donc, en principe, c'est inclus là- dedans", avait-il déclaré en réponse à Maimouna Ndour Faye, qui l’interrogeait sur la possibilité d’inclure cette affaire dans la loi d’amnistie.

La loi d’amnistie couvre "tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques, y compris celles faites par tous sup- ports de communication, que leurs auteurs aient été jugés ou non", peut-on lire dans le texte de loi.

Ainsi, cette déclaration a suscité un tollé au sein de la classe politique. Dans un post sur X, le directeur de la RTS, Pape Alé Niang, souligne que “cette déclaration d’Ismaïla Madior Fall est d'une extrême gravité. Dire que la disparition de ces deux gendarmes est liée aux événements survenus entre 2021 et 2024, dont il était d'ailleurs un acteur majeur qualifié de faucon, renforce la conviction des Sénégalais sur ce dossier", a-t-il affirmé.

La réaction la plus symbolique est venue de Fadilou Keita, membre du cabinet du leader de Pastef. Fadilou Keita avait été poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles et emprisonné pendant presque une année. Il lui a été reproché d’avoir accusé "sans preuve", à travers une publication sur sa page Facebook, l’État du Sénégal dans la disparition du gendarme Didier Badji et la mort de Fulbert Sambou, dont le corps sans vie avait été repêché près des falaises du Cap Manuel. "Dossier Didier-Fulbert. Rien n’y fait ! La question loin d’être anodine et l’aveu implicite de l’ancien ministre de la Justice qui s’en est suivi. Le dossier sera bel et bien tiré au clair", a-t-il écrit sur sa page Facebook.

De son côté, l’ancienne Première ministre Aminata Touré s’interroge entre la disparition par noyade supposée des deux sous-officiers et les événements politiques amnistiés. Une raison de plus pour Aminata Touré de révoquer cette loi d’amnistie qui, d’après elle, porte atteinte aux droits des victimes.

Ainsi, cette sortie de l’ex-patron de la diplomatie sénégalaise remet au- devant de la scène les questionnements et les accusations autour de la mort des deux gendarmes portés disparus dans des conditions troubles. Le corps de Fulbert Sambou a été retrouvé, mais pas celui de Didier Badji.

Les familles des victimes demandent aux nouvelles autorités de faire toute la lumière sur cette disparition. Car, jusque-là, leur demande d’une enquête plus approfondie est demeurée lettre morte.

L’état de décomposition avancée du corps de Fulbert Sambou (repêché le 23 novembre 2022) ne per- mettait pas aux médecins légistes de déterminer les causes du décès, avait-on avancé à l’époque.

Depuis lors, la disparition des deux sous-officiers est au cœur de nombreuses spéculations et rumeurs faisant état d’une volonté de faire taire les deux officiers du renseignement.

Cette disparition est-elle liée à l’affaire Ousmane Sonko et Adji Sarr ? Ces deux officiers détenaient-ils des secrets compromettants pour le régime et la vague de répression poli- tique de mars 2021 ? Autant de questions qui rappellent que cette affaire est loin de connaître son épi- logue. Surtout que le fait qu’un ancien ministre de Macky Sall ait inconsciemment ou consciemment fait le lien entre la disparition de ces membres des FDS et les événements politiques qui ont embrasés le Sénégal fait naître des suspicions.

Officiellement, les premières révélations concernant cette affaire avaient fait état d’une partie de pêche ayant mal tourné. Les autorités sénégalaises ont également indiqué avoir retrouvé un filet, des crevettes censées servir d’appâts, des chaussures et deux téléphones qui ont permis de localiser leur dernière position, sans toutefois fournir des explications précises sur les vraies raisons de leur disparition.

Récemment, Ousmane Sonko, lors d’un discours politique au Grand Théâtre face à la jeunesse patriotique, le 10 juin 2024, avait également promis de lever totalement le voile sur cette disparition.

Le rétropédalage d’Ismaïla Madior Fall sur son compte X

Conscient du tollé provoqué par ses propos, l’ancien ministre de la Justice a décidé de rétropédaler en évoquant un "lapsus" concernant ses déclarations sur cette affaire. “Réagissant à une curieuse relance inattendue sur l'éventuelle intégration de ‘l'affaire Didier Badji et Fulbert Sambou’ dans le champ d'application de la loi d'amnistie, j'ai, spontanément et par inadvertance, répondu par ‘en principe oui’. Je tiens à préciser que cette affaire n'a aucun rapport avec la loi d'amnistie. Ma réponse est tout simplement un lapsus dont je voudrais m'excuser auprès des téléspectateurs et de toutes les personnes que ces propos auraient choquées", a-t-il déclaré hier sur son compte X.

Des explications qui ne semblent pas convaincre certains responsables politiques comme Amadou Ba, député de Pastef. "Ismaïla Madior Fall évoque désormais un ‘lapsus’, après avoir déclaré que les disparitions de Didier Badji et Fulbert Sambou étaient couvertes par l’amnistie. Le plus dramatique, c’est qu’il renvoie la responsabilité du lapsus à MNF qui lui aurait servi une 'curieuse et inattendue relance”’, a réagi Amadou Ba.

Cette volonté de revenir sur ses propos de la part du responsable "apériste" à Rufisque semble vouloir éteindre la polémique et est révélatrice du malaise qu’engendre toujours ce dossier qui est loin d’avoir révélé tous ses secrets.

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