NETTALI.COM - Que l’on veuille faire accréditer l’idée que les patrons de presse sont les pires payeurs d’impôts de la république, n’est pas du tout une information exacte. Qu'il existe des patrons d’entreprise qui oublient de reverser la TVA collectée et les cotisations sociales à l’Etat, etc cela par contre, est un fait qui concerne tous les secteurs, y compris même des démembrements de Etat. La question qui mérite dès lors d’être posée, est de savoir pourquoi le Premier ministre Ousmane Sonko, est si crispé avec les entreprises de presse ? Comme si elles étaient les seules entreprises concernées par ce cas figure.
Des Sénégalais évoquent le sujet sur l’impôt des entreprises de presse, mais ils n’en savent réalité pas plus que ces affirmations fallacieuses que l’on véhicule sur ces dernières, et sans toutefois prendre le temps de relativiser. Certains militants ou soutiens de Pastef qui répètent à l’envie ce que leur leader dit sur la presse, tentent même de justifier les propos polémiques d’Ousmane Sonko, en arguant comme pour le défendre qu’il ne s’adresse pas à toute la presse. Le discours aurait été directement cité les supports concernés que personne ne trouverait à redire. Mais à la vérité, un Premier ministre ne devrait pas se mettre à déballer de la sorte sur la place publique.
Mais pour peu qu’on s’y intéresse, la réalité économique de la presse est à la vérité plus complexe qu’elle ne paraît. Déjà rien que sur la question des subventions de la presse,- que certaines nomment par l’expression « aide à la presse »-, certaines opinions sont véhiculées dans les réseaux sociaux, selon lesquelles nos chers patrons de presse roulent sur l’or et encaissent l’aide à la presse à leur propre profit. Ce qui est faux puisque beaucoup d’entre eux, pour ne pas voir l’entreprise s’écrouler, engagent leur patrimoine personnel qui est différent de celui de l’entreprise.
D’aucuns sont même allés, figurez-vous jusqu’à contester l’attribution de cette subvention, estimant que la presse est une entreprise comme les autres. Ceux-là oublient sans doute que les produits consommés par les Sénégalais, que cela soit l’électricité, certains médicaments, le transport public, la santé, l’agriculture, certaines denrées de première nécessité, etc sont subventionnés. De même que les écoles privées et autres qui assument une partie de la mission de l’Etat qu’est l’éducation nationale.
Si seulement ils savaient combien est dur le rôle de patron de presse dont le modèle économique est loin d’être ce qui nourrit son homme. Latif Coulibaly le souligne d’ailleurs dans « Vox Populi » du mardi 9 juillet, informant que les entreprises de presse se débrouillent pour payer les salaires.
Ce que ces détracteurs des médias oublient ou ignorent sans doute, c’est que l’attribution de la subvention annuelle à la presse en vigueur depuis l’ancien régime, est tributaire de l’obtention de points qui correspondent à des montants donnés. Le dossier soumis par le support est examiné par une commission indépendante, sur la base des critères aussi divers que celui d’être constitué en société (RC NINEA), d’avoir un compte bancaire au nom de l’entreprise, de recruter un certain nombre de salariés déclarés à l’inspection du travail suivant le type de support, de cotiser pour eux (Ipres et sécurité sociale), de détenir un quitus fiscal, etc.
Que ceux qui pensent donc que cette subvention est attribuée à la tête du client, se détrompent. Cela était sans doute le cas à une certaine époque, mais depuis le depuis de l’application des dispositions du Code de la presse avec la mise en place du Fonds d’appui et de développement de la presse (FADP) doté d’un conseil d’administration, tout a changé. Bref une subvention, qui à la vérité n’est pas aussi conséquente qu’on le pense parce qu’elle ne permet même pas de payer la moitié de la masse salariale mensuelle d’une entreprise donnée. Figurez-vous : 1,9 milliards pour toute la presse (radios commerciales et communautaires, télévisions, presse écrite, presse en ligne). Autant dire que même les groupes de presse, qui disposent à la fois d’une radio, une télévision, d’une radio, un quotidien et un site internet, ne parviennent pas à avoir plus de 50 millions. Des miettes vu leurs charges d’exploitation. Les autres, n’en parlons même pas.
Un modèle économique de la presse, loin d’être viable
Sur la question des cotisations sociales et impôts sur le revenu sur laquelle ont longuement spéculé d’abord Ousmane Sonko, d’aucuns ont été amenés à penser que des patrons oublient sciemment de verser ces cotisations ou préfèrent maintenir leurs employés dans la précarité. Ils sont certes différents, ces patrons dans leur manière de manager et de traiter leurs employés, mais l’on doit à la vérité de prendre en compte le fait que la presse est surtout victime de son modèle économique qui est loin d’être viable, dans un environnement où la culture d’achat du journal papier et plus globalement de l’info, n’a jamais été forte et tendrait même à empirer si l’on en croit certaines prévisions les plus sombres, comme celles de la disparition prochaine du papier journal.
La presse est en réalité victime de beaucoup d’aléas. Dans la cas de la presse écrite, la seule vente d’un journal ne rapporte pas assez pour l’entrepreneur de la presse écrite car le journal nourrit plus le distributeur que le propriétaire du journal qui doit supporter les intrants, charges d’énergie, salariales, de transport, etc. L’autre gros inconvénient est que la presse ne reçoit pas, de manière globale, des volumes publicitaires conséquentes pour pouvoir s’en sortir. Encore que beaucoup d’entreprises doivent de l’argent à la presse pour des prestations et des insertions publicitaires non payées.
La manne publicitaire pour des entreprises publiques est distribuée en priorité aux médias publics, alors que dans le même temps, les agences de communication qui gèrent les budgets publicitaires pour le compte d’annonceurs-clients abusent dans bien des cas des médias lorsqu’elles octroient des publicités en demandant des commissions d’agences astronomiques. Ce qui est une porte ouverte à des choix dans la distribution de la pub basée sur de la surenchère aux commissions.
Même le quotidien L’Observateur qui absorbait le plus de pub de tous les quotidiens à une certaine époque, au point de tirer toutes les autres entités du groupe Futurs Médias, ne fait plus recette comme avant. De l’eau a coulé sous les ponts.
Le recouvrement est un autre chemin de croix pour les médias. Les entreprises du public, les annonceurs privés, tout comme les agences de communication préfèrent garder la trésorerie en faisant languir les supports qui ne comptent à la vérité que sur ces recettes de la pub pour se financer. Pape Alé Niang, le DG de la Rts qui a vu ses comptes bloqués, si l’on en croit sa propre déclaration, nous a par exemple appris que la Direction des impôts et domaines, par rapport à la couverture de ses activités, doit 68 millions à la RTS »
Ce qui veut dire que la Direction des impôts et domaines (DGID) doit de l’argent à d’autres supports, et pas seulement à la RTS. De la même façon que l’Etat doit honorer ses factures vis-à-vis à de supports ainsi qu’une dette intérieure qui se chiffre à plusieurs milliards. Le journal Les Echos du mardi 9 juillet nous apprend d’ailleurs à sa une que « L’état asphyxie l’Ipres » ajoutant que les entreprises publiques doivent 26 milliards « impossibles » à recouvrer par l’Ipres.
Une manière de se demander, suivant un raisonnement à fortiori, comment des médias dans un secteur aussi difficile, pourrait ne pas devoir de l’argent, alors que ceux qui sont censés ne pas en devoir, en doivent ?
Un raisonnement simple devrait pourtant permettre de comprendre la posture des patrons d’entreprises de presse. Quelles solutions s’offre au gestionnaire de l’entreprise de presse au moment de faire face à ses engagements dans un contexte de trésorerie tendue ? Va- t-il en priorité payer ses impôts ou payer ses salaires ? Pour un patron qui veut être logique, l’arbitrage est vite fait et il consistera d’abord à payer en priorité les salaires et attendre pour les cotisations de retraite et de sécurité sociale. La TVA, elle, après déduction entre celle collectée et celle payée, est à reverser car elle ne lui appartient pas. Logique. L’on ne va quand même pas en vouloir à un patron pour avoir fait un tel arbitrage dans un contexte où le recouvrement n’est pas la chose qui se fait le mieux et où les volumes publicitaires ont drastiquement baissé.
Qu’il y ait dans l’univers des réseaux sociaux des internautes pour dénigrer d’autres médias tout en louant le civisme fiscal de Walfadjri parce qu’il aurait négocié un moratoire et avancé un peu d’argent, fait quelque peu rire. Pourquoi a-t-on oublié de louer ce même civisme du Groupe Futurs médias qui a dû verser, durant la période de son redressement, 1,844 milliard FCFA, alors que si l’on en croit son DG, depuis 2012, Gfm n’a pas fait de profit ? C’était au cours de l’émission « Edition spéciale » sur la TFM.
Qu’on apprenne aussi que les comptes de la RTS sont bloqués et que dans le même temps Pape Alé Niang riposte pour brandir la dette de la DGID, n’est pas aussi fortuit. A qui viendrait-il à l’idée de bloquer le fonctionnement de la Rts qui sert d’outil de communication pour ne pas dire propagande à tous les gouvernements qui se sont succédés ? Qu’on ne prenne surtout pas les Sénégalais pour des demeurés.
La sortie récente d’Ousmane Sonko sur l’esplanade du « Grand Théâtre » est une parfaite illustration de l’hostilité que ce dernier affiche à l’égard de la presse. Et le président de la République, lors de son audience avec des membres de la Convention des jeunes reporters, le vendredi 5 juillet, a mis une couche en abondant dans le même sens que le Premier ministre revenant, comparaison à l’appui avec d’autres secteurs, sur les entreprises de presse qui ne reversent pas les cotisations sociales et la TVA.
Loin de dire que les médias ne doivent pas payer les impôts au même titre que les autres entreprises, la vérité est qu’ils doivent bénéficier d’un soutien de l’Etat qui n’est pas ce seul recours à la subvention à la presse, tant elle est dérisoire.
Une mission de service public et un outil d’approfondissement de la démocratie
Mamadou Ibra Kane, le président du Comité des Editeurs et Diffuseurs de presse (Cdeps), lors de la même émission « Edition spéciale » sur la TFM, a tenté d’expliquer en quoi cette mission de service qu’assurent les médias, est capitale pour l’évolution démocratique et le développement du pays. Dans le cadre de la Covid par exemple, a-t-il expliqué, la presse a grandement participé à sensibiliser et à alerter les populations, alors qu’elle n’a reçu aucune recette publicitaire sur le budget de 1000 milliards, là où d’autres secteurs qui n’ont pas eu le même impact, en ont bénéficié. On a d’ailleurs vu où une partie de cette manne financière a fini.
De même a-t-il relevé, toujours dans le cadre de cette mission de service public, la contribution importante de la presse dans les différentes alternances du Sénégal avec son implication dans la publication des résultats, là où d’autres pays sont à feu et à sang du fait de la presse. Il n y a en effet que les ignorants pour occulter l’utilité de la presse dans tous les pays du monde.
Dans un univers médiatique caractérisé par son pluralisme, il sera en tout cas bien difficile de tenter de la rendre docile et complaisante. C’est un combat perdu d’avance que de vouloir se lancer dans cette aventure aux résultats loin d’être assurés.
Que ceux qui ne sont pas persuadés de l’utilité de la presse, expérimentent un Sénégal sans médias. Qu’ils plaident pour des médias impartiaux, professionnels, responsables, cela peut être parfaitement compris.
Ousmane Sonko et les médias : une affaire d’amnésie
Que le Premier ministre n’ait surtout pas la mémoire courte, il n’ y’a guère longtemps, il faisait une mise au point sur la Presse. Dans une VAR qui circule, c’est le même Ousmane Sonko qui disait qu’il faut respecter la ligne éditoriale des journaux et ne pas applaudir lorsqu’une information est favorable et s’en prendre à un support lorsque l’info devient défavorable. Il avait même rajouté que si ce n’était pas la presse, il ne serait pas là au point de pouvoir s’adresser aux Sénégalais, rappelant qu’il fut un temps, il n’existait que la presse publique (RTS, radio Sénégal, etc).
De même durant la période de 2021 à 2023, marquée par des tensions politiques et une division sans précédent de la presse, des groupes de presse, journalistes et chroniqueurs, rappeurs et activistes médiatisés, ont été ouvertement au service de Pastef et de son leader. Était-cela que dictaient l’éthique et la déontologie du métier ? Assurément non. Ceux-là étaient tout simplement sortis de leur rôle.
Les critiques ont-elles à ce point autant indisposé le pouvoir en place à un point qu’il a décidé de cibler la presse ? Que certains aient décidé de prévenir la nouvelle gouvernance en mettant en exergue des VAR, ils sont dans leur rôle qui consiste à rappeler les engagements pris. Que d’autres aient décidé de donner un état de grâce, cela aussi est une manière de voir.
Qu’est ce qui a donc bien pu se passer entre temps pour qu’il pose des actes aussi contradictoires ? Invité de l’émission Grand Jury du dimanche 7 juillet, le journaliste Yoro Dia a son idée sur la question, même s’il fait une comparaison peu amène sur la posture de celui-ci. "Hitler a dit qu’il veut supprimer la démocratie et instaurer un gouvernement sans presse. C’est ce que Pastef a fait. Et après la presse, Hitler s’est attelé à terroriser les magistrats. Pour imposer un régime totalitaire. Pastef serait dans la même logique", a laissé entendre l'ancien ministre en charge de la Communication de la présidence. Une posture en tout cas bien étonnante du PM vis-à-vis des médias.
Bref la solution d’une presse responsable et professionnelle que veut soutenir le président Diomaye, est compréhensible et logique. Qui s’en plaindrait ? Seulement elle ne peut se faire en continuant à stigmatiser la presse et en tentant de la museler par des actes vicieux tels que l’impôt et l’intimidation. Une solution d’accompagnement des médias ne peut être trouvée qu’en discutant avec les acteurs concernés.
Un des jeunes reporters présents à l’émission « Edition Spéciale » de la TFM, Serigne Abba Guèye, semblait préconiser une digitalisation de la presse. Une voie en train d’être explorée certes mais qui nécessite d’être inscrite dans une logique plus structurante de solutions. Beaucoup d’autres solutions sont aussi à envisager comme celui de se rémunérer à partir des droits voisins qu’Ibou Fall, le très censé chroniqueur d’I-Radio, ne cesse de clamer à longueur d’émissions.
Au-delà, la question de l’imposition des entreprises de manière générale, requiert une approche bien plus globale qui commence par une logique simple de mise en branle d’une stratégie pour augmenter l’assiette fiscale. Beaucoup de sénégalais échappent à l’impôt parmi lesquels ceux qui peuplent le vaste secteur informel, les bailleurs d’immeubles, les exonérés d’impôts sans véritable fondement, sans oublier tous ces entreprises qui de notoriété publique tiennent des doubles comptabilités et ne font rien d’autre que de la fraude. Le fait donc de s’acharner sur les journalistes, ne signifie qu’une chose, qu’ils dérangent. Et demander à une presse professionnelle, responsable et plurielle comme le souhaite le président Diomaye Faye, d’être docile voire complaisante, c’est assurément mission impossible.