NETTALI.COM - Plusieurs fois ministre sous le régime de Macky Sall, Mansour Faye, maire de Saint-Louis, enfile sa tenue d’opposant et tire sur le tandem Diomaye-Sonko. Les 100 premiers jours de gestion du nouveau régime, les audits lancés, les multiples accusations portées contre lui, la situation de l’Alliance pour la République (Apr), la nouvelle vie du Président Macky Sall, sa vie d’opposant…Mansour Faye dit tout. Entretien.

On vous a entendu appeler à un accueil royal pour le Premier ministre Sonko qui était à Saint-Louis, vendredi et samedi, pourquoi, pour quelqu’un qui vous a toujours diabolisé ? 

Mon appel de la dernière fois, à la veille de la visite de Ousmane Sonko, est très simple : j’ai été informé par le Gouverneur de la région de Saint-Louis de l’arrivée du Premier ministre dans le cadre des activités gouvernementales. En tant que premier magistrat de la ville, ma mission, c’est d’inviter les populations à accueillir une institution, la troisième personnalité, chef de l’exécutif, pour l’accompagner dans le cadre de ses activités relatives aux journées Bess Setal. C’est ce qui explique tout le sens de la mobilisation du Conseil municipal, des populations de Saint-Louis.

N’est-ce pas aussi un moyen diplomatique d’éviter des représailles ?

Non. Je suis républicain. Je ne pourrai aucunement faire l’objet de représailles. J’ai la tête haute et je marche droit dans mes bottes. Je n’ai aucun reproche à me faire durant les 12 années que j’ai passées à la tête de certaines institutions. D’abord en tant que délégué général, ensuite en tant que ministre en charge de portefeuille, que ce soit au niveau de l’hydraulique et de l’assainissement, du développement communautaire et en dernier lieu, des infrastructures. Je n’ai aucun reproche à me faire. Je n’ai pas de problèmes à faire face à des attaques.

Le Premier ministre n’a pas manqué de vous interpeller sur les dix villes à assainir comme pour dire qu’il y a quelque chose de louche et il vous réclame même un rapport, qu’en est-il exactement ? 

Il a évoqué la question du programme d’assainissement des dix villes et je voudrais lui rappeler que ce programme important a été initié et lancé par le Président Macky Sall en mars 2017 à Louga. Les travaux à Louga sont terminés et aussi terminés dans plusieurs villes. Tel n’est pas le cas pour Saint-Louis et surtout dans la zone de Pikine, c’est la raison pour laquelle, j’avais essayé d’attirer son attention sur cette question cruciale pour, non seulement les populations de Saint-Louis, mais aussi de Pikine. Notre attente, ce sont des solutions par rapport à la terminaison de ces travaux. L’Etat a beaucoup de temps et de moyens pour faire les audits qu’il faut, aujourd’hui, les populations souffrent du fait que ces travaux-là sont à l’arrêt et cela impacte négativement leur cadre de vie.

N’avez-vous pas un peu peur que votre gestion soit fouillée ? 

Quand on assure des missions régaliennes, on est effectivement soumis à la reddition des comptes et c’est tout à fait normal. Je pense que l’Etat dispose de tous les moyens de contrôle, à travers l’Ige, que le président de la République peut déclencher, à travers même l’Igf avec le ministère des Finances ou même la Cour des comptes ou tous les outils à leur disposition, je les invite à tout déployer pour fouiller et fouiner ma gestion. Rien de négatif n’en sortira. Je suis serein et quitte avec ma conscience.

Malgré toutes les accusations portées contre vous…

Toutes les accusations sont fausses. La gestion du Fonds Covid, c’était faux, comme toute autre accusation. Je défie quiconque. Rien ne peut se faire contre moi dans le cadre de ma gestion et de mes responsabilités étatiques.

Comment vivez-vous votre nouveau statut d’opposant ?

La vie, c’est des étapes. On n’est pas à notre première position d’opposant. Quand le Président Macky Sall est sorti du Parti démocratique (Pds), on était opposant, après avoir géré des affaires de l’Etat. Dieu a fait que nous sommes retournés dans l’opposition et nous la gérons avec beaucoup de dignité, de sérénité, mais aussi avec la détermination pour revenir reconquérir, sous une autre forme peut-être, le pouvoir.

A l’Alliance pour la République (Apr), des tournées politiques avaient été entamées, mais il y a beaucoup de responsables qui n’ont pas répondu présents…

Là où on a connu un peu de difficultés, c’est dans la région de Kaolack. Nous allons analyser les causes directes ou indirectes des conséquences de la réunion de Kaolack. A Fatick, ça s’est bien passé. Il y a eu un ou deux responsables absents, notamment Matar Bâ et Cheikh Kanté. Matar Bâ m’a dit qu’il était absent du pays. J’ai beaucoup échangé avec lui et il m’avait donné son aval d’envoyer une délégation. Maintenant, je ne connais pas les raisons qui l’ont poussé à s’épancher dans la presse. Sinon tous les grands responsables de la région de Fatick, dans leur grande majorité et qui étaient présents au Sénégal, étaient à Fimela.

Pensez-vous que Macky Sall puisse gérer le parti à distance ?

Oui. C’est son parti. C’est lui le président du parti. Il a des collaborateurs qui sont en mesure de mettre en application ses orientations et directives. Le parti, dans sa globalité, fonctionne. Il gère parfaitement bien sans aucun problème les activités.

Ne craignez-vous pas le syndrome du Pds qui peine à se relever, depuis que Wade a quitté le Sénégal ?

Nous sommes bien structurés à un certain niveau. Le secrétariat exécutif national est bien présent et les membres sont aussi présents. On échange régulièrement avec le président du parti, à travers ses relais. Les instances du parti fonctionnent parfaitement bien et nous tenons notre rôle d’opposant. Benno contrôle l’Assemblée nationale et beaucoup de députés sont de l’Apr, donc nous sommes dans la gestion des affaires.

Êtes-vous surpris par le départ de Amadou Ba qui semble tracer une nouvelle voie ? 

Jusqu’à l’heure où je vous parle, officiellement, Amadou Bâ est membre de l’Apr. L’invite que je lance à l’endroit des différents responsables, c’est de rester soudés, de garder la dynamique unitaire. Une dispersion ou un effritement n’est pas bon, bien que l’Apr a un socle solide. Certainement, d’autres partiront, mais l’invite, c’est vraiment d’être ensemble parce que quand on est en groupe, quand on est unis, on demeure fort. Les départs annoncés, effectifs ou non effectifs, on les invite à rester ensemble. J’ai suivi la sortie de Aliou Sall. C’est une sortie inopportune. Quelqu’un d’autre peut avoir cette position, mais j’estime que Aliou Sall ne devrait pas avoir cette posture.

Pourquoi ? 

Je ne connais pas les raisons qui sont à l’origine de son départ, mais le Président du parti est son frère. Si Aliou Sall a fait l’objet, par le passé, de plusieurs considérations, c’est parce que tout simplement, c’est le frère du président du parti, du président de la République, ne serait-ce que pour ces raisons, en étant de l’autre côté aujourd’hui, il doit être à côté du président du parti, à côté de son grand-frère pour l’accompagner. Il n’y a pas autre chose qui vaille. Ce que je dis, ce n’est peut-être pas la politique, mais il y a des choses qui ne doivent pas provenir du cercle restreint. On ne doit pas trahir son frère.

Même si Aliou Sall ne le dit pas directement, il ne semble pas apprécier comment la candidature d’Amadou Bâ a été mal gérée ou sabotée…

Amadou Bâ a été choisi par le Président Macky Sall et qui a demandé à l’ensemble des responsables de l’Apr et de Benno d’accompagner ce choix. Nous nous sommes inscrits dans cette dynamique. Il y a eu certes des difficultés.

Mais c’est quoi le problème ?

Pour moi, il n’y en a pas. Le Président a donné le top, peut-être, qu’il y a eu beaucoup d’événements qui se sont passés. Il ne faut pas oublier que le Pds avait saisi l’Assemblée nationale pour des soupçons de corruption et c’était très grave. En analysant toutes ces questions, peut-être qu’il y a eu quelques difficultés. Lesquelles étaient à dépasser puisque le Président Macky Sall avait demandé à tous les responsables d’aller sur le front, se battre pour gagner les élections. Dieu en a décidé autrement.

Avez-vous cherché à parler à Amadou Bâ depuis qu’il a déclaré avoir tracé sa voie ? 

Je ne l’ai pas entendu parler de ça. Un communiqué demeure toujours un communiqué. Le jour où j’entendrai Amadou Bâ parler de son avenir politique, ce jour-là, je lui parlerai.

Pourquoi ne pas anticiper ? 

C’est un grand-frère pour moi, mais il est absent du pays. On n’a pas encore l’occasion de parler d’autres choses. Mais, ce qui importe, c’est que s’il prend des décisions majeures pour son avenir politique, j’estime pouvoir en discuter avec lui.

Êtes-vous prêt à vous engager avec lui dans une nouvelle aventure ? 

J’ai un seul et unique président de parti et c’est Macky Sall, personne d’autre. Je suis de l’Alliance pour la République (Apr), je suis derrière le Président Macky Sall et y demeurerai jusqu’à mon dernier souffle. Là où je m’engage, c’est de faire revenir Macky Sall. Il a toujours la confiance des Sénégalais et mon travail de tous les jours, c’est qu’il puisse revenir et je ne suis pas le seul.

En avez-vous les moyens, on a senti une opposition molle depuis que le nouveau régime s’est installé ? 

Ce n’est que trois mois. Mais, on s’organise sans tambour ni trompette. Nous avons et les moyens matériels et les moyens en termes de ressources humaines, la détermination et la volonté qu’il faut. Tout est en nous pour reconquérir le pouvoir.

Comment jugez-vous les 100 premiers jours de Diomaye Faye ?

Catastrophiques. Les 100 jours de gestion, c’est la catastrophe. Sur les engagements pris, aucun n’a été respecté. En termes d’emploi, on ne peut pas nous dire combien d’emplois ont été créés. Tout ce qu’ils ont réussi à faire, c’est de changer tous les directeurs, même des non-alignés. Il y a beaucoup de directeurs qui ne faisaient pas de la politique qui ont été changés. La seule chose qu’ils ont réussie, c’est de créer du chômage. En termes de réduction du coût de la vie, qu’est-ce qui a été fait ?

Il y a eu réduction du prix de certaines denrées…

Quelle denrée ? Aller à Kédougou pour voir combien coûte le sac de riz ou à Matam. D’ailleurs le pain, si on fait le rapport, le prix a augmenté en réalité. C’est du saupoudrage. Ce n’est pas ce que les Sénégalais attendaient. En termes d’assurance, c’est la catastrophe, parce que les Sénégalais ne sont pas du tout rassurés. Ils sont inquiets, hagards parce qu’ils ne savent pas vers quelle direction, ce régime les mène. Il est temps que cette équipe se ressaisisse. On ne sait pas qui est le président de la République.

C’est Bassirou Diomaye Faye…

Officiellement, Diomaye Faye a été élu, mais, il ne joue pas du tout son rôle. C’est une question aussi grave qui interpelle même les intellectuels de ce pays. Il ne faudrait pas que demain, nos voisins nous rient sous cape parce que le Sénégal est un modèle d’institution. On voit du n’importe quoi. Chacun a sa propre vision.

Vous pensez que le Premier ministre fait de l’ombre au Président ? 

On a un Premier ministre qui ne sait même pas ce qu’est son rôle et sa mission. On ne peut pas centraliser toutes les décisions de l’Etat autour de sa personne. C’est impossible. Il joue le rôle de chef de parti, de président de la République. Ce n’est pas possible. C’est le Sénégal qui est en danger et aujourd’hui, il faut que les bonnes personnes se lèvent. Ce n’est pas une question d’opposition ou de pouvoir, c’est le Sénégal qui est en jeu. Un pays est organisé. Un Etat est sacré.

Plusieurs missions d’audits ont été lancées par le régime, ne craignez-vous pas une chasse aux sorcières?

Tous les ministres qui seront vérifiés, audités, contrôlés, on n’y verra aucun problème. Un ministère a ses règles de fonctionnement. C’est avec le budget-programme qu’ils sont devenus ordonnateurs. Toutes les ressources de l’Etat sont gérées par le ministère des Finances. C’est le ministère des Finances qui paye. Un ministre n’a pas de chéquier. Le Directeur de l’administration générale et de l’équipement (Dage) engage et envoie au ministère des Finances. Ils peuvent auditer, il n’y aura aucun reproche à faire aux ministres.

Donc les menaces du Pm ne font pas peur à l’Apr ?

Non. Nous sortons dans la rue. Nous marchons la tête haute. Aucune crainte, sans peur. Ses menaces, ce sont des enfantillages.

Le Pm n’a pas encore fait sa déclaration de politique générale (Dpg) évoquant des anomalies dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, vous en pensez-quoi ? 

C’est un prétexte. S’il est prêt comme il le dit, s’il est pressé comme il le dit, rien ne l’empêche d’aller faire sa Dpg. Il ne peut le faire que devant les députés. On n’est pas dans une rue publique. Le Sénégal a des institutions et les Sénégalais ne se laisseront pas faire. Nous ne sommes pas dans une République bananière.

De quoi a-t-il peur, selon vous ? 

De faire face aux députés. Est-ce que vous avez-vu une seule fois le Premier ministre faire face à des journalistes ? Est-ce que vous l’avez une fois vu faire face à la contradiction ? C’est quelqu’un qui a peur de la contradiction.

D’aucuns pensent que des députés de l’Apr préparaient des questions gênantes…

Depuis 2015, tous les jours, il interpelle les gens sur des questions par presse interposée. Maintenant, c’est seulement 165 députés, de quoi a-t-il peur ? Ce n’est pas une question de textes. Amadou Bâ, sous ce même régime, est allé faire sa Dpg.

Quelles sont les nouvelles du Président Macky Sall et de son épouse, Marième Faye ? 

Le Président Macky Sall a une mission qu’il est en train de dérouler. Il a un agenda très chargé qui fait qu’il s’occupe à l’échelle mondiale pour apporter son expérience et sa touche. Il a un rayonnement international. Cela ne veut pas dire qu’il a oublié le Sénégal. Il a une mission et au moment opportun, il sera au Sénégal. Marième, comme vous le savez, n’est jamais loin de son époux.

L’ancien Premier ministre Mimi Touré a fait une publication pour revenir sur la plainte que vous aviez déposée contre elle, pouvez-vous revenir sur la plainte ? 

Le 21 avril 2024, à travers un post publié par ses soins, Mme Aminata Touré m’accusait de détournement et de participer à une mascarade financière relativement aux fonds Force Covid. Que des jeunes manipulés ou ignorants se délectent sur ces questions ne me pose aucun problème, par contre, qu’une haute personnalité de l’Etat qui fut Premier ministre, Président du Cese, s’aventure dans cette direction, cela me pose problème. J’ai porté plainte et elle a reçu une citation directe en police correctionnelle le 07 mai. Le 17 mai, elle a essayé de produire ses preuves en faisant parvenir à mes avocats ce qu’on appelle « la signification de la vérité des faits diffamatoires». Le 22 mai, à notre tour, nous lui avons servi « la signification de la preuve contraire». Le 13 juillet, il y avait une audience qui avait été fixée dont le renvoi a été demandé par ses avocats. Le 27 juillet, une autre audience est fixée. Tout ce que je lui demande et je m’en tiens là, c’est d’apporter les preuves de ses allégations. Elle n’a pas besoin de crier ou d’appeler au secours. Elle a avancé des propos, j’espère qu’elle va les assumer. Par ailleurs, j’interpelle publiquement le Premier ministre qui, lui aussi, m’accusait de détournement relativement au fonds du programme décennal de lutte contre les inondations. Je l’invite à fournir les éléments de preuves qui étayent ses allégations.

L'OBSERVATEUR