NETTALI.COM - Comment apprécier les 100 jours du nouveau gouvernement ? 100, un chiffre rond, symbolique. Mais 100 jours, une durée certainement pas suffisante pour établir un quelconque bilan, mais une durée toutefois suffisante pour se rendre compte si oui ou non le cap emprunté par la nouvelle gouvernance va mener le Sénégal vers la bonne direction, question de noter ce qu’il y a à renforcer, accroître voire à ajuster et corriger.
En tout cas, après 100 jours de gouvernance, les signaux qui se donnent à lire, sont globalement mitigés, même s’il y a quelques bons actes posés çà et là.
Il est en tout cas bien difficile de se pencher sur ce bilan d’étape certes symbolique des 100 jours sans toutefois tenter de s’interroger sur cet exécutif à deux têtes et son impact sur la gouvernance, tant dans les faits, les attributions du Président de la république et du Premier ministre ne semblent pas clairement établies et les frontières entre les deux fonctions strictement délimitées. En effet, le Premier ministre Ousmane, leader du Pastef inéligible lors de la dernière présidentielle, qui a choisi Bassirou Diomaye Faye comme candidat de la coalition portant le nom de ce dernier, à l'exercice du pouvoir, a pris beaucoup trop de places.
Mais dans ce jeu de duo dans lequel semble se complaire jusqu'ici le président de la république, avec Ousmane Sonko qui apparaît malgré les critiques, comme un plus que fusible, difficile en tout cas de ne pas relever la posture de Bassirou Diomaye Faye qui se distingue par une discrétion que beaucoup qui ont du mal à comprendre, se demandent comment il peut s'effacer de la sorte. Le président de la république est en effet d’une extrême politesse et d’une courtoisie remarquable, même si l’on a pu noter du temps de l’opposition qu’il n’avait pas sa langue dans sa poche et ne se laissait pas forcément faire comme d’aucuns pourraient le croire. Ses interviews dans le passé l’ont prouvé. De même que ces propos peu amènes contre les magistrats qui lui ont valu son emprisonnement. Cela était sans doute le fruit d’un contexte tendu de l’époque car s’opposer dans nos pays est loin d’être une partie de plaisir. Bref à l’épreuve du pouvoir, il se distingue jusqu’ici par une grande pondération et par une mesure qui est celle d’un gouvernant responsable. C’est cela d’ailleurs qui fait que beaucoup de sénégalais l’apprécient.
Cette courtoisie a d’ailleurs été d’autant plus appréciée lorsqu’il a fait le tour des foyers religieux : Touba, Tivaouane, la famille Tall, l’église, etc. alors que beaucoup ne s’y attendaient pas pour des raisons qui laissaient penser que les Pastefiens faisaient une défiance vis à vis des marabouts.
Entre diplomatie de voisinage, Assises de la justice et règlement de la dette des opérateurs dans l'agriculture
Au plan diplomatique, Faye a jeté de bonnes base en montrant la voie qu’il va emprunter et qui est celle d’une diplomatie de bon voisinage en réservant ses premières visites aux pays frontaliers, notamment la Mauritanie, pays avec lequel il partage aussi le gaz. Dans un contexte de création de l’Alliance des Etats du Sahel et de sortie de la Cedeao par les mêmes putchistes, il a visité deux des trois pays concernés (le Mali, le Burkina), sans oublier le Nigéria, le Ghana, le Cap vert. Ce sont au total 14 voyages à l’étranger (12 pays), dont 13 ont eu lieu sur le continent africain et un seul en Europe (France). Parmi ces déplacements, 11 étaient axés sur le travail et l'amitié, tandis que trois étaient d’un autre calibre : le Sommet de l'OCI, le Sommet de la CEDEAO et le Forum mondial pour la souveraineté et l'innovation vaccinales en marge du quel il rencontrera finalement Emmanuel Macron.
D’autres bons actes, le gouvernement en a posés sur le plan agricole, au début de son règne au bénéfice de la campagne agricole 2024, le paiement en partie de la dette des opérateurs sur les périodes 2019, 2020 et 2021, est à saluer. Mais l’on ne voyait pas comment les opérateurs pouvaient continuer à fournir de l’engrais et des semences sans être payés.
Autre acte que l’on peut mettre à l’actif de ce gouvernement, c’est aussi cette baisse de prix des denrées arrachée au forceps, mais qui reste mitigée. Les populations s’attendaient à la vérité à bien mieux.
De même l’organisation des Assises de la justice est une bonne initiative, même si l’on aurait pu se passer de la présence de repris de justice tels que Clédor quoi qu’amnistié dans cette affaire d’assassinat du juge constitutionnel. Sa présence n’aura pas apporté grand-chose si ce n’est de réveiller les souffrances de la famille de feu Me Babacar Sèye. Mais au-delà, ce qui se joue, ce sont les réformes de la justice avec l’institution d’un juge des libertés, la réduction des pouvoirs du procureur, plus de marge de manœuvre du juge d’instruction sans oublier les lois liberticides (article 56 à 100 du code pénal). Ce sont entre autres enjeux, d’autres aspects liés au nombre de magistrats, d’avocats, de greffiers etc à augmenter. La question qui suscite des interrogations à l’heure actuelle, c’est la présence ou non du président de la république dans le conseil supérieur de la magistrature avec la crainte d’une certaine république des juges. Le ni oui, ni non à la façon de Macky Sall, de Faye, inquiète et révèle une posture politicienne du président Faye.
Il y a bien sûr d’autres actes positifs comme celui d’avoir utilisé les bus Dakar Dem Dikk pour contrer les transporteurs qui avaient décidé d’augmenter les tarifs à la veille de la Tabsaki. Un acte certes positif mais qui relève du coup d’éclat puisque c’est une approche plutôt globale d’organisation et de modernisation du secteur qu’est attendu du ministre des transports. De même ces opérations Set Setal sur lesquelles on peut s’interroger quant à leur fondement. Ne vaut-il pas mieux inciter les Sénégalais à ne pas salir, plutôt que de mobiliser un PM et un président dont le temps est bien plus précieux que de l’utiliser à nettoyer des rues, alors que d’autres Sénégalais sont payés pour le faire.
L’équation de la personnalité du PM
Mais à côté, beaucoup d’interrogations peuvent être soulevées sur la personnalité même du Premier ministre Ousmane Sonko qui, en plus de ne pas arriver à se départir de sa casquette d’opposant, se montre très encombrant, bruyant, tout en occupant beaucoup trop de place. Il est en effet au four et au moulin. Il surfe à mort sur le populisme, cette arme sur laquelle, il a battu l’essentiel de son discours.
Sur l’esplanade du « Grand théâtre », dans une affaire pendante devant la justice et qui concerne un de ses militants, il demande au ministre de la justice de faire son boulot, oubliant que certaines affaires de l’Etat ne se disent pas sur la place publique. La suite a montré que ce militant qui s’en était pris au procureur, a été libéré. Il drague les marchands ambulants responsables de tout le bazar dans nos villes et n’hésite pas, dans la foulée à leur déclarer, sur les terres de Colobane, ne pas être au courant de la circulaire du ministre de l’Intérieur sur le désencombrement. Les croit-il aussi dupes ?
Ses trois cibles du moment sont les opposants, la magistrature et la Presse. Il descend à un niveau de micro manager et aborde des sujets qui relèvent de celui d’agents de l’échelon inférieur. Il semble aussi que les deux hommes forts du pays ont toujours tendance à se considérer comme des inspecteurs des impôts plutôt que comme le président de a République et le Premier ministre ! Ousmane Sonko critique les entreprises de presse sur leur situation de mauvais payeur d’impôts des comptes comme s’il voulait saper son image, des ATD sont envoyés à certains médias. Il promet de balayer les « magistrats corrompus » comme s’il en avait le pouvoir.
Il lance des audits tous azimuts, stoppe les constructions sur le littoral, réclame les contrats de presse, et d’autres conventions nouées avec des cabinets. Résultats des courses, il crée une psychose à tel point que beaucoup d’hommes d’affaires s’en plaignent. L’économie s’en trouve affectée.
Sur le plan économique, rien ne semble bien aller. Les institutions jusqu’ici considérées comme inutiles et budgétivores et dont la suppression avait été promise, continuent de fonctionner comme si de rien n’était, aux frais du contribuable et la République.
Un casting en question
Au-delà, le casting gouvernemental comme celui lié aux directions générales et agences, est manifestement difficile à cerner. Et même si de bonnes nominations ont été opérées au niveau de certains ministères comme celles des Généraux Tine et Birame Diop respectivement à l’intérieur et aux Forces armées, certaines autres sont jugées calamiteuses, alors que des doutes subsistent sur la capacité de beaucoup de ministres à assumer la fonction, dans un pays où l’éloquence, l’activisme débordant et les CV enjolivés, sont très vite assimilés à de la compétence. L’on s’attendait à une équipe de professionnels immédiatement opérationnels. Mais force est de constater que trois mois après, certains ministres se cherchent encore. Difficile de voir des ministres qui brillent, si ce n’est pour apparaître dans les réseaux sociaux pour dénoncer des situations ou chercher à émouvoir les Sénégalais, sur fond de populisme. Beaucoup semblent en réalité dépassés par les évènements et sont perdus dans les dossiers, là où d’autres confondent agrobusiness et politique agricole, deux domaines micro et macro avec des logiques totalement différentes.
Dans un récent éditorial d’ailleurs, Mamadou Oumar Ndiaye dénonce un amateurisme qui a transparu surtout dans les nominations où, franchement, beaucoup de tâtonnements et d’approximations sont notés. Le copinage et le népotisme affleurent dans certaines d’entre elles. Mais ce qui inquiète surtout, selon le journaliste, c’est cette volonté de « pastéfiser » le management des sociétés et agences nationales ainsi que les directions centrales de l’Administration. Il en veut pour preuve des hommes et des femmes qui n’ont pas le profil de l’emploi et qui sont promus à des responsabilités manifestement trop lourdes pour eux. Leur seule mérite, c’est l’appartenance à Pastef ou d’être passés par la case prison voire d’avoir été sanctionnés pour leurs activités politiques ! Or, souligne-t-il, les états de services militants ou antécédents carcéraux pour raisons politiques ne sauraient valoir brevets d’aptitudes aux hautes fonctions étatiques ou managériales !
Dans des directions générales stratégiques, telles que le Port, la Senelec, la Lonase, la Sonacos, la Poste, la Caisse des dépôts et Consignations, n’auraient-ils pas dû nommer des managers reconnus et au background sans équivoque ? Le cas le plus frappant, c’est celle à la tête de la Société des Mines du Sénégal (Somisen) avec Ngagne Demba Touré qui totalise zéro expérience ou encore à la tête de la Senelec où c’est la continuité d’une gestion calamiteuse et peu transparente qui se poursuit avec la nomination de Toby Gaye, l’ancien secrétaire général sous Bitèye. Ce dernier même s’il est ingénieur, n’est pas très côté, côté managérial.
L’on doit à la vérité, sur la question des nominations, faire la part des choses. Il est bien question de trouver le juste équilibre entre la nécessité de récompenser les militants et les alliés, d’une part, l’impératif de produire des résultats au niveau de l’Etat de l’autre ! Car entre les institutions politiques comme l’Assemblée nationale ou le Conseil économique et social, les personnels subalternes des ambassades, quelques postes de second ordre dans les sociétés nationales,...il existe des voies et moyens pour cela.
Au-delà du casting, c’est surtout le nombre de conseillers qui augmente, alors que le chef du gouvernement avait tablé sur 25 ministres. Les récentes nominations de 21 conseillers référents auprès de chaque ministère, peut laisser bien songeur. Sans oublier les autres conseillers nommés. Mais ce qui est par-dessus tout gênant, c’est l’absence de rationalisation au niveau de certaines directions ou l’on pouvait comprimer certains. Tout se passe comme si l’on a remplacé l’équipe de Macky Sall par celle d’Ousmane Sonko.
Un changement de posture s’impose
A l’heure où Ousmane Sonko qui n’a pas encore officiellement décliné les orientations de sa gouvernance du fait d’une Déclaration de politique générale (DPG) qui n’a pas encore eu lieu, la question qui se pose, est de savoir comment limiter la casse après ce début d’exercice du pouvoir pas très reluisant. En fait de DPG d’ailleurs, il a récemment menacé de la faire devant un jury, même si le Règlement intérieur est en cause.
Toujours est-il que si certains acceptent l’idée que ces nouveaux dirigeants qui n’ont jamais exercé le pouvoir, ont le droit à l’erreur et à l’apprentissage, les deux têtes de l’exécutif doivent se réajuster ou se doter de conseillers dignes de ce nom capables de souffler à leurs oreilles. Car entre ces audits tous azimuts lancés, ces promesses de campagne pas encore honorées, l’absence de frémissement au niveau économique, les errements dans les actes posés, le casting approximatif lié aux nominations et un « projet » pas encore au point, difficile d’avoir un cap de fixé et une lisibilité dans le projet économique et social de ce gouvernement, alors qu’est évoqué « La vision 2050 » de Pastef dont on attend d’ailleurs de voir les piliers. Une vision qui laisse d’autant plus songeur, si on la compare au PSE qui était censé courir jusqu’en 2035 et qui finalement va être stoppé.
Beaucoup de promesses de campagne d’Ousmane Sonko ont en tout cas été oubliées en cours de route. Comme celles d’abandonner les fonds secrets. Ou encore les appels à candidature pour les nominations. De même que la question du CFA. Il y a aussi en suspens la renégociation des contrats. Faut-il inscrire tout cela dans le cadre des promesses de campagne et les ranger aux oubliettes ? Faut-il reconsidérer tout cela ? Autant de questions que l’on ne peut pas ne pas se poser. Le bilan d’étape de cette gouvernance qui ne fait que commencer, ne sent pas encore bon. Peut mieux faire…