NETTALI.COM - Le journal “EnQuête” s'est entretenu avec le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, auteur de plusieurs ouvrages, dont “Sahel, terre des conflits”. Au cours de cette interview, il aborde les questions géopolitiques et les défis de la diplomatie sénégalaise sous la présidence de Diomaye Faye, ainsi que la récente nomination du professeur Abdoulaye Bathily comme médiateur dans la crise entre la CEDEAO et l'Alliance des États du Sahel (AES).
Lors de la récente interview avec la presse locale, le président de la République a annoncé qu'il a désigné le professeur Abdoulaye Bathily comme médiateur dans la crise qui oppose la CEDEAO et l'AES. Pensez-vous qu'il pourra réussir cette mission, au regard de sa complexité ?
C'est très complexe ! Effectivement, il y a deux choses. D'abord, il y a l'expérience du professeur. Il a été dans des missions de médiation et a eu plus ou moins de réussite dans beaucoup de pays, y compris en Libye. Donc, il est bien conscient des enjeux. Sur ce plan, il a toutes les compétences requises pour piloter ce dossier.
Deuxièmement, le Pr. Bathily est très respecté dans les trois pays de l'AES pour son histoire, son implication et les valeurs de panafricanisme et de souveraineté qu'il défend. Cela pourrait l'aider à aborder ces problèmes.
Cependant, il y a quelques limites quand même.
Lesquelles ?
Les limites sont liées aux difficultés actuelles entre la CEDEAO et l'AES. Il y aura forcément des obstacles. Le Sénégal, par exemple, avait des différends avec les pays membres de l'AES, sous la présidence de Macky Sall. Maintenant, avec les nouvelles autorités, une entente pourrait être possible, mais l'expérience nécessaire pour conduire ce genre d'action reste à relativiser. Le président Diomaye vient juste d'entrer sur la scène africaine et essaie de montrer que sa priorité reste l'Afrique de l'Ouest et les pays limitrophes. Cependant, il y a des valeurs démocratiques à défendre et la grosse difficulté reste les régimes militaires auxquels nous sommes confrontés.
Quelles sont, selon vous, les chances et les limites du Sénégal dans ce dossier, surtout après le retrait de diplomates expérimentés comme le ministre togolais Dussoyer ?
Certains observateurs pensent que c'est prématuré pour un nouveau président de prendre un tel dossier. C'est une question d'expérience et de conseils. Le président a une vision claire : il faut réformer la CEDEAO. Cette institution sous-régionale a des obligations de solidarité et d'engagement qu'elle n'a pas toujours remplies, et cela doit être revu. Avant de discuter avec les pays de l'AES, il faut réformer cette institution sous-régionale pour qu'elle soit véritablement celle des peuples et non un syndicat de chefs d'État.
Donc, vous concluez qu'il faut une réforme radicale de la CEDEAO pour qu'il y ait des retrouvailles avec l'AES ?
Absolument ! Les pays de l'AES reprochent à la CEDEAO un manque de solidarité. En même temps, le manque de légitimité des régimes militaires de l'AES limite leurs actions et leurs critiques. Ils doivent chercher une onction populaire pour légitimer leur pouvoir. Cela pourrait passer par un référendum ou d'autres formes de consultation démocratique.
Comment envisagez-vous une CEDEAO sans les pays de l'AES qui constituent 54 % de son territoire ?
Ah, c'est impossible et inacceptable. Les pays de l'AES jouent un rôle crucial dans la région. Il y a eu des précédents, comme le G5 Sahel, mais la situation actuelle est différente et plus complexe, notamment avec la coupure des liens avec la France et l'engagement de nouvelles puissances comme la Russie et la Chine.
Vous avez souligné l'interférence des puissances occidentales dans cette crise. Quelle est, selon vous, la responsabilité de la France dans cet imbroglio diplomatique ?
La France est un acteur principal et non un bouc émissaire. Les jeunes Africains aspirent aujourd'hui à une nouvelle dynamique de souveraineté et de développement. Le néocolonialisme symbolisé par la France est perçu comme un frein à cette aspiration. La France n'a pas été capable de vaincre militairement les bandes armées au Sahel, ce qui remet en cause sa présence et son rôle.
Les États de l'AES ont pris un pari risqué en se tournant vers d'autres puissances comme la Russie. Quelle est votre opinion sur ce choix ?
Les pays de l'AES cherchent des alternatives face à la France, mais cela ne résout pas les problèmes de fond. La CEDEAO a manqué de solidarité et le terrorisme au Sahel est une menace régionale complexe. Les États doivent s'organiser et mutualiser leurs capacités militaires pour faire face à cette menace.
Vous recommandez donc une mutualisation des forces armées des pays de la CEDEAO pour vaincre le terrorisme ?
Absolument ! Nous devons prendre en charge nous-mêmes nos problèmes sécuritaires. Les solutions étrangères ne sont pas la réponse. Il faut une volonté politique pour développer des capacités de manœuvre et de feu adaptées à la réalité du terrain.
Comment évaluez-vous les actions diplomatiques du président Diomaye Faye, après 100 jours à la tête du pays ?
Les actions diplomatiques sont restées concentrées sur la scène sous-régionale, ce qui est une bonne chose. Mais il faut encore beaucoup d'expériences, d'investissement et de volontarisme pour réussir. La diplomatie sénégalaise doit se professionnaliser davantage et éviter la politisation excessive.
Si vous deviez comparer les approches diplomatiques de Macky Sall et de Diomaye Faye, quelles seraient les principales différences ?
Je préfère ne pas comparer des régimes, mais sur la CEDEAO, l'approche de Diomaye Faye est différente. Il prône la réforme et la solidarité régionale, ce qui est nécessaire. Cependant, attaquer des régimes militaires n'est pas la solution. Il faut trouver des moyens de coopération et de dialogue tout en respectant les réalités sociologiques et militaires de chaque pays.
Le Sénégal a longtemps été un acteur diplomatique majeur en Afrique. Pensez-vous que le pays a régressé sur ce plan ?
J'ai été attaché militaire et j'ai vu de près la diplomatie sénégalaise. Nous avons de très bonnes ressources humaines, mais la politisation de notre diplomatie est regrettable. Il faut remettre en avant la compétence et le professionnalisme pour retrouver notre stature internationale.