NETTALI.COM - À partir de l'année prochaine, le gouvernement sénégalais comptera un ministère du Culte. Cette information a été révélée par le Premier ministre, Ousmane Sonko, lors d’une audience avec une délégation de la "Jama-atoun Nour Assouniya", l’association chargée de coordonner les travaux d’achèvement de la Grande Mosquée de Tivaouane. Cette initiative vise à répondre aux préoccupations des diverses communautés religieuses du pays, qui réclamaient une plus grande visibilité et des interlocuteurs mieux identifiés.
Le Premier ministre Ousmane Sonko a déclaré : "L’année 2025 marquera le premier budget que nous avons élaboré. Ce nouveau budget comprendra des fonds spécifiquement alloués au culte." Cette décision suscite plusieurs réactions, notamment de la part des familles religieuses, surtout confrériques, qui sont très puissantes et influentes dans la sphère politique.
Serigne Saliou Diakhaté, habitant à Dianatou Mahwa, exprime une certaine inquiétude : "La matérialisation de cette décision risque de créer des tensions dans un pays où les confréries sont nombreuses et divisées." Cependant, d’autres, comme Serigne Ndiaye du quartier Sam, voient cette décision sous un jour plus favorable : "C’est une bonne décision qui permettra aux religieux de remplir pleinement leur devoir dans un pays où ils continuent de gagner en influence."
Serigne Khabane Mbacké, chercheur sur les questions islamiques et doctorant, soutient également cette initiative : "Toutes les communautés musulmanes ou chrétiennes doivent s'y identifier et je pense que c'est une satisfaction pour toutes ces communautés." Il souligne cependant la nécessité de critères de sélection rigoureux pour garantir un travail exhaustif et équitable.
Un nécessaire équilibre entre laïcité et gestion des affaires religieuses
Pour le professeur Galaye Ndiaye, ancien imam de la mosquée de Bruxelles, ce ministère jouera un rôle déterminant dans le paysage religieux du Sénégal : "même si le Sénégal est un pays laïc, cela ne doit pas exclure l’existence d’un ministère chargé des affaires religieuses comme au Maroc, en Algérie ou ailleurs." Il rappelle qu'il y avait déjà des structures similaires à l’époque coloniale et que le Sénégal a besoin de ce ministère pour régler les problèmes liés aux religions.
Ndiaye insiste sur le caractère apolitique que doit revêtir ce ministère : "il doit être apolitique, sans distinction aucune, sans discrimination. Le choix des personnes doit être consensuel." Il souligne également l’importance de la gestion de l’administration du culte, incluant la gestion des mosquées, des professeurs et des daaras (écoles coraniques).
Dans cette même perspective, Dr Cheikh Gueye, spécialiste des questions religieuses, partage son enthousiasme : "Cette annonce était attendue depuis très longtemps par les communautés religieuses. Il y avait une certaine déception après l’annonce de la composition du gouvernement du PM Ousmane Sonko et l’incertitude que représentait la Direction des affaires religieuses et de l’insertion des arabisants logée à la Présidence de la République." Guèye met en avant la prégnance du religieux dans la vie des Sénégalais et l'importance d’un ministère dédié pour structurer cette relation.
La démarche du Président Abdoulaye Wade, avec la nomination de feu Mohamadou Bamba Ndiaye et le lancement du programme des villes religieuses, représentait un premier pas dans la bonne direction, mais était insuffisante. Le Président Macky Sall, sans avoir créé un ministère dédié, a intensifié le programme des villes religieuses et a ouvert des opportunités pour les arabisants. Le nouveau régime du Président Bassirou Diomaye Faye, plus décomplexé, peut réussir une rupture systémique dans la gouvernance du religieux avec sincérité et engagement, selon Gueye.
Objectiver la relation entre le religieux et l’État
La création d’un ministère du culte permettrait de libérer la relation entre le religieux et l’État des logiques clientélistes et politiciennes qui les ont marquées trop longtemps. Elle représenterait une forme d’assumation de la décolonisation de la relation entre ces deux sphères hégémoniques du pays. Actuellement, avec la tutelle du ministère de l’Intérieur, le schéma colonial d’un contrôle des religieux par l’administration persiste, symbolisant une acceptation anticléricale de la République.
Un ministère exclusivement chargé des affaires religieuses pourrait devenir un levier transversal de développement spirituel, moral, mais également économique, social et culturel. Il jouerait un rôle clé dans l’éducation des Sénégalais, l’organisation des grandes célébrations religieuses, le développement du tourisme religieux et de l’économie confessionnelle, ainsi que la solidarité et la philanthropie religieuse. Ce ministère serait en relation avec plu- sieurs autres ministères, sous l’autorité du Premier ministre, avec une dotation budgétaire conforme à ses missions complexes.
Le docteur ès sciences islamiques Same Bousso Abdourahmane explique que la gestion du culte était jusqu’à présent l’une des attributions du ministère de l’Intérieur : "il représentait le chef de l’État lors des cérémonies religieuses, c’est à lui que les acteurs religieux adressaient leurs correspondances." Il précise que Macky Sall avait déjà créé, en 2022, un Bureau d’assistance aux daaras et aux diplômés de l’enseignement arabe, rattaché à la présidence. La création d’un second bureau dédié aux affaires religieuses dans leur ensemble est perçue comme un geste d’équité entre les différentes confessions.
Une fracture générationnelle et des aspirations à un Islam progressiste
Dans une intervention remarquée sur RFI, Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute, a partagé les résultats d'une étude sur "La place et le rôle des acteurs religieux dans le jeu électoral au Sénégal". Selon lui, une véritable fracture générationnelle se creuse : "la jeunesse sénégalaise prend ses distances avec le discours religieux classique."
Les jeunes Sénégalais aspirent à un islam progressiste, en phase avec leur réalité contemporaine. Lassés des interprétations traditionnelles, ils remettent en cause certaines pratiques établies et réclament une vision réformiste de la religion, prônant l'ouverture et la tolérance. Cette soif de modernité se manifeste notamment sur les réseaux sociaux, devenus une tribune pour exprimer leurs opinions et leurs questionnements. La jeunesse appelle de ses vœux un discours religieux renouvelé, accessible et en adéquation avec ses préoccupations actuelles.
Face à ce vent de changement, le rôle des leaders religieux s'avère crucial. Bakary Sambe souligne l'importance de leur engagement pour transmettre un islam modéré, promoteur de valeurs telles que la tolérance et le vivre-ensemble. Une modernisation du discours s'impose pour maintenir un lien fort avec la nouvelle génération.
La création d’un ministère du cul- te au Sénégal en 2025 représente un tournant historique dans la gestion des affaires religieuses du pays. Elle soulève des défis majeurs, notamment la nécessité de maintenir un équilibre entre laïcité et gestion des affaires religieuses, de répondre aux besoins des diverses communautés religieuses, et de moderniser le dis- cours religieux pour répondre aux aspirations de la jeunesse. Les analyses des chercheurs et experts mettent en lumière l'importance de cette initiative et les défis qu'elle devra relever pour structurer et dynamiser le paysage religieux sénégalais tout en respectant la diversité et les spécificités culturelles du pays.
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