NETTALI.COM - Avait-on vraiment besoin d’un débat aussi clivant et sensible au Sénégal après cette malheureuse affaire de voile qui avait soulevé un grand malaise et de l’embarras ? L’on se rappelle en effet qu’en 2019, la direction de l’institution d’enseignement privée catholique de la sainte Jeanne d’Arc avait exigé que les élèves aient « une tête découverte », provoquant ainsi le renvoi d'une vingtaine de jeunes filles voilées. L’affaire avait été finalement enterrée et la mesure levée.
5 ans après, nous voilà replongés dans la même ambiance, pas exactement dans les mêmes circonstances, - puisqu’il n’existe pas de fait pour susciter cette déclaration- mais à cause d’une déclaration du Premier ministre, dans un contexte de cocktail offert aux lauréats du Concours général sénégalais 2024.
Ousmane Sonko a en tout cas réussi la prouesse de faire ressurgir les démons du passé et soulevé beaucoup de passions. "Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays", avait déclaré Sonko avant d’embrayer : "en Europe, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie et de style, mais cela leur appartient. Au Sénégal, on ne permettra plus à certaines écoles d’interdire le port du voile".
Une déclaration qui ne pouvait pas ne pas entraîner de réaction puisqu’elle a rapidement enflammé les réseaux sociaux déclenchant des réactions au sein de l’église, avec une tribune pas très tendre de l’abbé André Latyr Ndiaye qui a donné une dimension plus profonde à la polémique. Dans une lettre ouverte, l'homme d’église a critiqué Sonko, qu’il qualifie de "jeune politicien tout nouvellement promu" soulignant l’importance de la diplomatie et de la politesse dans la gestion des affaires publiques. Il a aussi lancé une pique cinglante en affirmant que "certaines langues, mains et pantalons sont disqualifiés pour mener les combats de Dieu".
L’allusion est claire pour ceux qui savent décrypter. Un coup, dirions-nous au-dessus de la ceinture, indigne d’un homme d’église qui aurait plutôt dû aborder la question sous l’angle de l’argumentaire religieux avec des propos plus courtois et plus décents.
Rappelons tout de même que c'est ce même abbé André Latyr, qui en novembre 2023, avait fait une homélie dans laquelle il s’insurgeait contre l’élimination des candidats populaires lors des élections au Sénégal, alors qu’était posée la question ou non de la participation à l’élection d’Ousmane Sonko ainsi que la candidature du Pastef.
De même a été enregistrée une réaction du Conseil national du Laïcat qui rassemble les associations et mouvements catholiques du pays à travers un communiqué publié dimanche soir. Selon ses termes, le Premier ministre Sonko a prononcé "un verdict sans appel contre des établissements scolaires" catholiques qui ont été "jugés sans ménagement et jetés à la vindicte populaire" par ses propos. Le Conseil "marque ainsi son indignation face à de telles déclarations qu'il juge maladroites", dans ce texte mentionnant le règlement intérieur des écoles privées catholiques qui ne comporte pas d'interdiction du voile islamique. Tout au contraire, il estime que "l'école privée catholique au Sénégal (est) un cadre d'accueil et de promotion du vivre ensemble" dans le pays.
Rappelons que Philippe Abraham Tine, l'homme d'église qui a signé le communiqué précité, est le président Conseil national du Laïcat. Celui-là même qui avait en février 2024, à quelques jours de la présidentielle, avait été l’un des rares participants au dialogue initié par Macky Sall, à avoir élevé la voix pour demander le respect des institutions, la poursuite du processus électoral et l’organisation de l’élection avant le 2 avril.
Une position des hommes d’église que B. Barthélemy Ndiaye, a lui-même rappelé, soulignant l’apport de l’Église catholique dans les luttes qui ont porté Sonko au pouvoir et l’importance de reconnaître le rôle des minorités religieuses dans la société sénégalaise. Il a aussi informé que le président de la République, M. Bassirou Diomaye Diakher Faye, a démarré son cursus scolaire dans le seul établissement scolaire qui existait dans son village et connaît bien à ce titre, la valeur de cette institution.
Intervenant le dimanche 4 août à Thiès, alors qu’il était parti prendre part à̀ la clôture du Festival national du sport scolaire (FENSCO), le ministre de l’Éducation nationale, Moustapha Guirassy, a tenté une explication de désamorcer la tension. "La réponse du Premier ministre, selon lui, se réfère à la Constitution, laquelle est laïque", estimant que "c’est un don divin qui nous permet une cohabitation religieuse parfaite" et que "le respect de cette Constitution impose un traitement égal et sans discrimination, que le citoyen porte la croix, le voile ou tout autre signe religieux". Pour lui, "c’est cela le message".
Une position que l’on peut certes comprendre pour le ministre qu’il est dans son rôle, il est difficile qu’il rame à contre-courant de son PM. Mais peut-on tout régler avec la constitution et la loi ?
Une autre réaction, celle de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal (Lips) qui est montée au créneau pour soutenir la position du Premier ministre sur la question. «Dans sa réponse à la question sur l’inclusivité de notre système éducatif, nous avons entendu un Premier ministre soucieux de notre vivre-ensemble suivant nos propres modèles et références, et attaché au respect des droits fondamentaux de chaque individu, y compris le droit à la liberté religieuse. Pour cela, la Ligue manifeste son soutien au Premier ministre et souhaite que toutes les dispositions nécessaires soient prises pour permettre à notre pays de ne plus revenir sur ce sujet potentiellement divisionniste », note la Lips.
Dans un communiqué, le bureau national de la Ligue des imams et prédicateurs «rappelle aussi que ce débat n’est pas nouveau au Sénégal». «13 années après, si le même débat refait surface à la suite de la brève crise de 2019, provoquée par une décision similaire de l’Institution Sainte Jeanne d’Arc de Dakar (Isja), il devient alors impératif et urgent pour la Nation sénégalaise de débattre ouvertement et franchement de ce sujet afin de trouver une solution juste et durable, différente des arrangements temporaires trouvés jusqu’à présent. A cet égard, il est louable à plusieurs titres que le Premier ministre du Sénégal, par son courage, ait pris sur lui la responsabilité de désamorcer une bombe à retardement qui, sans une action courageuse, aurait pu nous exploser au visage», note la Lips.
Oustaz Aliou Sall, prédicateur musulman de renommée, a quant à lui pris une position différente sur la question et semble la trancher en usant d’arguments qui lui semblent plus logiques. Ceux-ci penchent en effet en faveur d’un choix d’enseignement pour l’enfant en cohérence avec les valeurs qu’on cherche à lui inculquer. Ce qui le conduit à poser l’équation en termes de cohérence qui consiste à se demander si une institution fondée sur la religion ne doit pas avoir pour vocation de former un élève en conformité avec ses principes religieux. « A partir du moment où l’on confie à une institution la mission d’éduquer son enfant, cela signifie qu’on lui fait confiance quant aux valeurs qu’il doit faire épouser aux apprenants », fait remarquer Sall qui pense ni plus, ni moins que « c’est à nous (musulmans) de voir à qui on confie nos enfants et ce qu’on veut pour eux », ajoutant que « lorsque vous confiez votre enfant à une institution alors que son règlement intérieur impose d’enlever le voile, bien sûr que c’est ce qui doit être fait ».
Aliou Sall ne manque pas d’ailleurs de poser la question suivante : « est-ce que nos écoles religieuses musulmanes accepteraient des enfants venant de ces écoles (catholiques) avec leurs manières d’être ? ». « C’est à nous de créer de bonnes écoles, solides avec une bonne éducation religieuse. L’islam recommande de porter le voile. Il demandera aux parents pourquoi votre enfant ne se couvrait pas la tête et non pourquoi vous ne l’avez pas inscrit dans telle ou telle autre école », précise-t-il.
Un argumentaire au demeurant logique avec lequel il sera difficile de ne pas être d’accord, surtout que rien n’oblige le parent musulman à inscrire son enfant dans une école privée catholique, d’autant plus que d’autres choix tels que l’école publique d’abord, les autres écoles privées qu’elles soient laïque, franco-arabe, ou à vocation strictement d’enseignement islamique s’offrent à lui. L’expérience récente a d’ailleurs prouvé avec le concours général que les écoles privées sont performantes certes, mais que les écoles publiques tiennent toujours le haut du pavé. Comme ce fut le cas autrefois, où ce sont les élèves les moins brillants qui fréquentaient les écoles privées. Accepterait-on des catholiques dans des écoles à fondement d’enseignement et d’éducation islamique avec des croix ? Il ne viendrait certainement pas à l’idée à un parent catholique d’y inscrire son enfant.
Savoir quoi dire, quand le dire, où le dire et pourquoi le dire
Bref un débat dont on pouvait se passer et qui n’avait nullement besoin d’être posé en ces termes et dans cette forme sur la place publique, ce d’autant qu’il n’existe pas d’effet déclencheur factuel, sinon la volonté d’être au cœur du débat. Une question qui aurait pu être gérée diplomatiquement d’institution à institution, si tant est que le souhait du Premier ministre était de poser un débat de société constructif, voire de légiférer. C’est, en tout cas ce à quoi invite la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal (Lips), malgré le soutien au Premier ministre.
Mais au-delà de cette sortie dont il pouvait nous épargner, le lieu où Ousmane Sonko a prononcé ces phrases et où il était question de célébrer nos jeunes cracks, n’était ni approprié et encore moins idéal car le risque est grand d’y semer les germes d’un clivage religieux et d’une division chez des jeunes personnes censées représenter l’avenir du pays. Avait-on besoin d’entretenir de tels sujets en pareilles occasions ?
N’oublions quand même pas que nous formons une nation ancrée sur le bon vouloir de vie commune. Pour un pays majoritairement composé de musulmans, notre premier président de la république, feu Léopold Sédar Senghor était de confession catholique, de même que l’actuel ministre de l’intérieur, le Général Jean Baptiste Tine, souvent au contact des guides et foyers religieux musulmans. Ce qui signifie que nous sommes un pays marqué par la cohésion sociale et l’ouverture. Nous devons donc garder à l’esprit de ne pas fissurer la cohésion sociale et de créer des divergences religieuses jamais connues sous nos cieux.
Qu’on ne s’amuse donc pas à jouer avec le feu, cela peut nous être préjudiciable puisque les questions religieuses ont cette particularité, celle de mettre à contribution les émotions et de soulever les passions et clivages.
Qu’Ousmane Sonko veuille garder le contact avec sa base populaire, ne doit pas le pousser à nous conduire vers des aventures périlleuses qui peuvent laisser croire à de fausses ruptures qui, au fond ne sont que déclarations intempestives sur fond de populisme. Qu’il cherche à montrer qu’il est et reste l’homme fort du régime, n’est plus vraiment un challenge, puisque le président Faye a publiquement accepté qu’il "regarde son fauteuil". Une situation qui est intégrée depuis que ce dernier nous a informés qu’il se bat pour porter son PM au pouvoir.
Mais allumer une mèche et devoir courir derrière pour l'éteindre, n'était pas la meilleure des postures. Il fallait d'abord penser à ce qui peut être dit ou pas, se demander s'il était nécessaire de le dire et ce que cela allait apporter. Envoyer le ministre Guirassy auprès de Monseigneur Benjamin Ndiaye, le chef de l'église, est sans doute une manière de reconnaître son tort. Ousmane Sonko aurait dû réfléchir à la conséquence de son acte. Un Premier ministre ne doit pas parler comme cela.
La vérité est que le pays légué par Senghor, Diouf et Wade, Macky, est aujourd’hui divisé et connaît des clivages sans précédent. L’intolérance règne désormais en maîtresse, à un point tel qu’il devient impossible d’avoir des débats sereins et de cultiver cette culture de dialogue des aînés.
Si nouveauté il y a dans ce pays, elle réside sans nul doute dans l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale) au point que le seul génie déployé dans l’adversité, est de type musculaire ou adossée à de la violence verbale ou la parole autoritaire. C’est en réalité une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec la poussière de la meute.
Il est bien incompréhensible, avec toute l’expérience politique acquise par notre pays, depuis plus d’un siècle, qu’on en arrive là. Et que certains de nos hommes politiques se prennent encore et toujours pour des demi-dieux sortis de la cuisse de Jupiter. Et pourtant la vérité est qu’ils ne sont ni les plus intelligents des Sénégalais, ni les plus travailleurs et encore moins les plus expérimentés. Ils se sont juste engagés en politique à un moment où d’autres ont choisi de participer à la construction de l’édifice dans d’autres domaines. Car après tout, tout le monde ne peut pas être gouvernant et tout le monde ne devrait pas l'être. N’est-ce pas cela la division du travail ? L'on a bien tendance à oublier les hommes d'affaires, ceux-là qui prennent des risques en investissant et produisant des richesses pour le pays. Ils nourrissent aussi bon nombre de familles.