NETTALI.COM - La presse sénégalaise est plongée dans une crise sans précédent, exacerbée par les réclamations financières colossales de la Télédiffusion du Sénégal (TDS). Depuis le samedi 3 août, la situation s’est encore détériorée, menaçant l’existence même de plusieurs organes de presse.
La Télédiffusion du Sénégal, principal diffuseur national, a récemment exigé des paiements considérables de la part des entreprises de presse privées. Ces réclamations incluent des redevances et des frais de diffusion qui dépassent largement les capacités financières des médias concernés. On parle de montants allant de dix à douze millions F CFA. Les entreprises telles que Walfadjri et 7TV, pour ne citer que celles-ci, se sont vues demander des millions, sous peine de suspension de diffusion ou même de parution, poussant ainsi certains à mettre la clé sous le paillasson.
Pour rappel, le 9 juin dernier, selon RSF, le Premier ministre Ousmane Sonko avait recadré la presse en indiquant que "les impayés d’impôts par les entreprises de presse pourraient être assimilés à des détournements de fonds".
À cet effet, le règlement de la dette fiscale est passé en priorité dans les entreprises de presse, infligeant par la suite la fermeture de certains organes et même la perte d’emplois chez certains professionnels.
Par ailleurs, les entreprises de presse, déjà fragilisées par un contexte économique difficile, se trouvent désormais au bord de la faillite. C’est le cas d’Emedia qui depuis déjà trois mois accumulent des salaires impayés et un personnel épuisé par la situation que traverse le média pour lequel ils ont juré fidélité.
Selon son directeur général Alassane Samba Diop, la situation est très difficile et très compliquée. "Nous vivons une situation compliquée qui est due au fait que tous les contrats que nous avons signés avec des gens, des structures telles que le port ou même la Lonase et bien d’autres, n’ont pas payé, car ils ont reçu une lettre du PM qui leur demande de bloquer les paiements et si l’on ne nous paie pas, ce n’est vraiment pas évident de s’en sortir”, a-t-il expliqué.
Poursuivant, il souhaiterait ceci : "L’État aurait pu demander qu’on suspende les contrats ou même qu’on ne les renouvelle pas, mais de là à dire qu’on ne paie pas, c’est compliqué et là, nous aussi, on ne peut pas payer le personnel. Surtout que la situation économique du pays est comme stagnante, car elle ne bouge pas, la publicité classique n’est plus ce qu’elle était."
Ainsi, le DG d’Emedia ne compte que sur la compréhension et la loyauté du personnel pour sortir indemne de cette situation. "Nous comptons sur la compréhension des employés, car on sait que c’est difficile et que c’est fatigant, mais la solidarité qui règne entre nous va nous aider à régler ça. Nous devons tous nous sacrifier pour sortir la tête de l’eau", explique-t-il.
Si le patron du groupe Emedia reste tout de même optimiste, ce n’est pas le cas pour le directeur général du groupe de presse Africaine communication édition, Mamadou Ibra Kane, qui est plutôt attristé, car le groupe a été assez impacté par la pression financière, ce qui a donc conduit à la suspension de parution de plusieurs quotidiens, dont “Stades” et “Sunu Lamb”, illustrant la gravité de la situation.
Chaque fermeture d’entreprise de presse entraîne une perte massive d’emplois, touchant non seulement les journalistes, mais aussi les techniciens et le personnel de soutien. Monsieur Mamadou Kane s’explique : "Nous avons suspendu la parution pour le moment, parce que le manque à gagner était important par moi. Donc, c’est avec le cœur lourd que nous avons décidé de suspendre la parution de ces deux journaux."
Selon lui, "il n’y a aucune perspective favorable au Sénégal pour le développement de la presse avec les nouvelles autorités", ajoute-t-il.
Une menace pour les entreprises de presse
Avec cette suspension de parution des journaux du groupe Africome depuis le 3 août dernier, cette situation touche non seulement les journalistes, mais aussi les techniciens et le personnel de soutien. Mamadou Ibra Kane nous l’explique : "Nous avons été obligés de licencier vingt personnes, à savoir des journalistes et des techniciens des médias, et il se pourrait qu’on enregistre une seconde vague de licenciements qui va concerner à peu près encore vingt personnes." Il explique qu’ils sont obligés de le faire, car l’entreprise est actuellement à trois mois d’arriérés de salaire et depuis deux ans, ils ne se sont pas acquittés des cotisations dans les institutions sociales, de sécurité sociale et donc ils ont des difficultés à payer des frais et de couverture maladie, nous a-t-il confié.
Soulignant par la suite que cette situation concerne toute la presse et qu’elle est confrontée à d’énormes difficultés depuis la Covid-19. "La presse, pendant la Covid, a perdu 70 % de son chiffre d'affaires. Normalement, dans n'importe quel autre secteur économique, les entreprises auraient fermé. Mais nous avons fait preuve de résilience en espérant que bientôt il y aurait un environnement plus favorable à la presse, comme l’a préconisé le patronat de la presse".
Le directeur général de Walf TV, Moustapha Diop, quant à lui, est revenu sur le fait que cette crise n’est pas d’actualité, car elle dure depuis des années, mais que c’est la pression fiscale de la part des nouvelles autorités qui rend la situation des médias plus précaire. "Au niveau de Walf, on continue à travailler comme on l’a toujours fait et on essaye de sensibiliser les autorités afin qu’une solution soit trouvée”, a- t-il souligné.
Dans la même optique, le DG d’Emedia renchérit : "nous regardons la mise à mort de la presse sénégalaise sans même réagir et c’est déplorable. La presse sénéga- laise ne bouge pas, elle est comme tétanisée par la situation. Mais, en fin de compte, ce sont des pères de famille et des mères qui se retrouvent au chômage. Et là on est qu’au début", déplore-t-il.
Ainsi, cette crise a fait réagir la Coordination des associations de presse (Cap) qui a rappelé la menace face à la dégradation critique du secteur médiatique au Sénégal. Selon elle, la fermeture de plusieurs entre- prises de presse et la perte d'emplois qui en découle soulignent l'urgence de trouver des solutions pour éviter l'effondrement complet de ce pilier essentiel de la démocratie.
Elle a également indiqué que "le paysage médiatique sénégalais est en proie à une série de difficultés économiques et administratives qui menacent sa survie. La suspension récente des quotidiens ainsi que l'absence de parution de ‘Vox Pop’ sont des signes tangibles de cette crise. D'autres quotidiens pourraient bientôt suivre le même chemin, aggravant encore la situation".
Le gouvernement fermé à toutes discussions
Le dialogue et la collaboration entre les autorités et les professionnels des médias sont essentiels pour trouver des solutions durables et pré- server la liberté de la presse dans le pays. Bien que l’État soit assez radical sur les procédures pour la réglementation des médias face à la dette fiscale, les patrons de presse ont tenu à suivre la voix de la diplomatie.
En effet, d’après le témoignage de Mamadou Ibra Kane, responsable d’Africome et président du Cdeps, "le patronat de la presse a proposé au nouveau régime un plan d’action en quinze points, mais malheureuse- ment, le gouvernement est sourd aux sollicitations de la presse". Précisant par la suite que deux demandes d’audience ont été faites auprès du Premier ministre Ousmane Sonko, mais qu'elles n’ont pas été reçues. "Nous avons également fait une lettre ouverte, mais on n’a jamais reçu des réponses".
À cela est souligné le fait que des actions qui semblaient très hostiles envers les entreprises de presse soient menées. "Le maintien des poursuites de la non-validation de l’emplacement fiscal et aussi les poursuites qui sont engagées contre les entreprises de presse dont certaines ont vu leurs comptes bloqués et d’autres ont montré l’objet de procédures de suivi", cite Mamadou Ibra.
Abordant, un deuxième acte, selon lui, aussi très hostile, "le gouvernement a décidé de manière unilatérale, en violation de la loi, de résilier tous les contrats qui liaient l’État du Sénégal aux médias sénégalais".
Néanmoins, même si les autorités ne réagissent pas, des solutions sont proposées pour venir à bout de cette tension. Le DG d’Africome assure que le plaidoyer va continuer, car il souhaiterait que les nouvelles autorités ne regardent pas la presse avec des yeux d’hommes politiques, mais plutôt avec des yeux d’hommes d’État. "La presse est un secteur stratégique et cette presse doit avoir le droit de continuer sa mission et doit bénéficier d’un statut fiscal particulier comme tous les autres secteurs comme l’agriculture, le logement social, l’élevage, le tourisme et même les investisseurs étrangers au Sénégal bénéficient d’une exonération totale du paiement des taxes et impôts dans une période qui peut aller jusqu’à cinq ans. Donc, si ces secteurs ont de tels avantages, la presse également doit pouvoir en bénéficier". “On doit revoir la loi de la publicité afin que tout cela soit réglementer”, préconise-t-il. "Le Sénégal a besoin d’un baromètre de la démocratie qui est la presse. Il a également besoin que les libertés publiques soient défendues, aussi que la gestion de nos gouvernants soit auscultée par la presse pour informer les citoyens sénégalais", a- t-il conclu.
Dans cette foulée, le directeur général de Walf TV, Moustapha Diop, propose, lui aussi, une solution : "Acteur de médias que je suis, je pense que la solution est de s'asseoir pour revoir ensemble la loi sur la publicité au Sénégal. En outre, avoir une nouvelle organisation qui aiderait les entreprises de presse à avoir accès à la publicité de manière plus transparente est là une solution envisageable."
Cette crise soulève de nombreuses questions et interprétations. Pourquoi le gouvernement ne peut-il pas recevoir les chefs de presse pour les écouter et trouver un terrain d’entente ? Doit-on prévoir que tous ces agissements sont une forme de liquidation pour la presse actuelle ? Les fermetures d’organes de presse, les employés envoyés au chômage et le public privé de ses rendez-vous quotidiens sont des conséquences graves. Est-ce la meilleure façon pour le gouvernement de demander aux médias de se conformer aux réglementations ?
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