NETTALI.COM - Le mardi 6 août 2024, les autorités dominicaines ont fait une découverte macabre, au large de Río San Juan, dans le nord du pays. Une pirogue, dérivant depuis des semaines, a été repérée par un pêcheur à une trentaine de kilomètres des côtes. À son bord, les secours ont retrouvé 14 corps en état de décomposition avancée. Les premières investigations révèlent que les victimes sont originaires du Sénégal et de la Mauritanie.

La scène qui s'est dévoilée sur les côtes dominicaines est d'une rare intensité tragique. Une pirogue artisanale, désormais rongée par le temps, a été découverte, abritant une macabre cargaison. La peinture, autrefois vive, s'est ternie et moisie, témoignant de l'usure prolongée sur les flots.

Les photos qui circulent montrent l'horreur dans toute sa crudité : des cadavres méconnaissables, réduits à des ossements saillants sous les vêtements usés, indices poignants des souffrances endurées. Parmi les objets retrouvés, des cartes nationales d'identité se distinguent, certaines encore lisibles, d'autres dégradées au point d'être illisibles, victimes de l'érosion et du soleil impitoyable.

Les corps, au nombre de 14, sont allongés sur le sol, recouverts de draps blancs qui ne parviennent pas à masquer l'ampleur du drame. Leur état de décomposition avancée impose une autopsie minutieuse, tâche à laquelle les autorités domini- caines se sont attelées pour tenter de percer les mystères entourant cette tragédie.

L'alerte a été lancée par Boubacar Sèye, président de l’ONG Horizons sans frontières. Informé de cet incident tragique, il a rapidement communiqué avec la presse pour faire connaître les détails de cette découverte macabre.

Selon la presse dominicaine et cubaine, les corps ont été immédiatement transférés à l'Institut national des sciences forensiques (Inacif) pour identification. Les objets retrouvés sur place, notamment des télé- phones portables, des pièces nationales d’identité et un GPS, ont permis de confirmer leur origine. Parmi les victimes, trois noms ont pu être partiellement identifiés : Abdoulaye Gaye, Yankhoba Tall et un homme portant le nom de famille Wade, dont le prénom reste à confirmer.

Cette pirogue, typique des embarcations en bois utilisées en Afrique de l’Ouest pour les traversées migratoires, semblait avoir pris initiale- ment la direction des îles Canaries. Cependant, des courants marins violents auraient dévié sa trajectoire, l’emportant bien au-delà de sa destination prévue, à près de 6 000 km de là, de l’autre côté de l’Atlantique, dans les eaux des Caraïbes.

Boubacar Sèye : “Le procureur doit s'autosaisir pour faire toute la lumière sur cette affaire.”

Outre les pièces d’identité, les autorités dominicaines ont également retrouvé des téléphones portables, des objets personnels et un sac à dos contenant des paquets d'une substance ressemblant à de la cocaïne ou à de l'héroïne. Ces éléments ont été remis à la Direction nationale de contrôle des drogues (DNCD) pour analyse.

La marine dominicaine a indiqué poursuivre l’enquête en collaboration avec le ministère public pour déterminer les causes précises de cette tragédie maritime et l'origine exacte de l'embarcation.

À ce jour, les ministères des Affaires étrangères du Sénégal et de la Mauritanie n’ont pas encore communiqué officiellement sur cette affaire. Ce silence suscite de l’inquiétude parmi les familles des victimes qui attendent désespérément des nouvelles.

Pour Boubacar Sèye, de nombreuses questions restent en suspens, à la suite de cette découverte macabre. "On nous parle de drogue et d'une petite embarcation avec des substances illicites. Il est impératif qu'une information judiciaire soit ouverte, car il y a des victimes sénégalaises impliquées. Le procureur doit s'autosaisir pour faire toute la lumière sur cette affaire. Comment ces personnes sont-elles mortes ? Ont-elles été contraintes de transporter de la drogue ?".

Monsieur Sèye rappelle qu'en Libye, de nombreux Sénégalais sont pris en otage, victimes d'une économie souterraine et criminelle qui gravite autour de la migration clandestine. Cette économie alimente le trafic de drogue, d'organes et d'armes. "Pourquoi la République dominicaine, désormais plaque tournante de la drogue en Amérique, est-elle impliquée dans cette affaire ? Nous avons besoin de comprendre ce qui s'est réellement passé".

La journaliste Marie-Louise Ndiaye souligne, en effet, qu’un sac à dos contenant 12 sachets de cocaïne ou d'héroïne a été trouvé dans l'embarcation. Elle souligne que les migrants ont l’habitude d’utiliser ces substances en cours de route pour supporter l’enfer du trajet, mais la présence de drogue dure dans une pirogue est une nouveauté. La journaliste rappelle qu’en avril dernier, une pirogue avec à bord neuf cadavres en état de décomposition avancée, présentant des signes de déshydratation et de faim, était arrivée sur les côtes brésiliennes. Les images des squelettes de cette embarcation avaient fait le tour du monde.

Or, souligne-t-elle, ce sont des photographies choquantes qui ne se partageaient pas avant, mais cette fois-là, elles l’ont été.

Le 1er juillet 2024, les corps de 89 personnes ont été retrouvés dans un grand bateau de pêche traditionnel au large de la Mauritanie, soulignant encore une fois les risques mortels encourus par ces migrants en quête d'une vie meilleure.

Prise en charge des corps

Dans le cas d’espèce, pour éviter toute infection ou tout contact direct des personnes, les corps ne sont pas immédiatement enlevés de l’embarcation. Après la fumigation des sacs mortuaires pour éviter les risques sanitaires, ils sont désinfectés et transférés à l’hôpital pour que le médecin légiste puisse faire les ana- lyses nécessaires.

Après le diagnostic du médecin légiste, les corps sont enterrés, dans la plupart des cas. S’ils sont identifiés, leurs noms sont inscrits sur la pierre tombale. Sinon, ils sont enterrés dans l’anonymat. En général, des membres de la Croix-Rouge, des journalistes, des acteurs de l’émigration, des membres de l’équipe de sauvetage, des associations et des autorités locales accompagnent les défunts pour leur dernier voyage.

Boubacar Sèye indique qu’on lui signale plus de 140 personnes disparues en Mauritanie. Il ajoute recevoir en moyenne plus de cinq appels par jour de familles à la recherche de leurs proches disparus.

Une route migratoire mortelle

Ces drames soulignent la dangerosité de la route migratoire de l'Atlantique, qui relie l'Afrique de l'Ouest aux îles Canaries, souvent qualifiée de “route migratoire la plus dangereuse au monde”.

Helena Maleno, présidente de l’association Caminando Fronteras, a dénoncé sur X la tragédie humaine qui se joue dans l'indifférence générale : "Ces migrants fuient la misère et le manque de perspectives dans leurs pays. Leur seule option est de prendre la mer, avec tous les risques que cela comporte."

La route des Canaries est tristement réputée pour sa dangerosité. Si une embarcation dévie de sa trajectoire le long des côtes africaines, ses occupants sont souvent con- damnés à mourir de soif et de faim, perdus dans l'immensité de l'océan Atlantique.

Cette découverte met une fois de plus en lumière les tragédies humaines liées à la migration clandestine. Le monde ne peut plus se permettre de fermer les yeux sur ces drames récurrents. Les vies perdues en mer ne sont pas de simples statistiques, mais des vies humaines brisées, laissant derrière elles des familles dévastées.

EnQuête