NETTALI.COM - La journée sans presse initiée par le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (Cdeps) a été bien suivie au Sénégal. En attendant le déroulement d’autres actions, les patrons de presse appellent les autorités au dialogue et à la concertation.
Ce mardi 13 août 2024, les journalistes sénégalais ont rangé stylos, caméras, enregistreurs et autres outils de travail. Une journée sans presse a été décrétée par le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse (Cdeps), et le mot d’ordre a été largement suivi. A travers cette action, les patrons de presse protestent contre ce qu’ils qualifient d’entreprise de dénigrement orchestrée à dessein pour décrédibiliser la presse. Dans un éditorial commun intitulé ‘’Médias sénégalais, la mort programmée’’, les membres du Cdeps ont dénoncé la campagne de diabolisation dont ils sont victimes de la part du nouveau régime. «L’objectif visé n’est autre que le contrôle de l’information et la domestication des acteurs des médias. C’est tout simplement la liberté de presse qui est menacée au Sénégal. Face à cette situation (blocage des comptes bancaires, production d’état exécutoire de saisie de matériels de production, rupture unilatérale et illégale des contrats publicitaires, gel des paiements, mise en demeure, refus de concertation), nous organisons une journée sans presse, ce mardi 13 août 2024, pour sensibiliser l’opinion nationale et internationale.»
«Notre message a été entendu au-delà des frontières sénégalaises»
Un mouvement qui a été bien suivi par les médias privés sénégalais, que ce soit la presse écrite ou audiovisuelle, et dont le Cdeps se réjouit. En attendant l’évaluation prévue vendredi au cours d’une importante réunion du patronat de la presse, Maïmouna Ndour Faye, Directrice générale de 7Tv, tire un bilan satisfaisant. «On peut dire que le mot d’ordre a été très bien suivi. Notre message a été entendu au-delà des frontières sénégalaises, il a tonné un peu partout dans le monde. Des médias internationaux se sont solidarisés et ont relayé notre message, des organisations de défense de la liberté de la presse au niveau francophone, continental, sous-régional… nous ont apporté leur soutien et leur solidarité en ces moments difficiles. Dans l’ensemble, nous sommes très satisfaits des actions entreprises ce jour», dit-elle. Membre du Cdeps, Maïmouna Ndour Faye revient sur les raisons qui ont conduit à cette initiative de journée sans presse. «Il s’agit d’inviter les autorités à des concertations, les inviter à aménager un climat favorable pour le secteur de la presse, et aussi à réfléchir autour d’un système de taxation fiscale adapté à la particularité du secteur de la presse qui n’est pas un secteur à forte valeur ajoutée. La presse sénégalaise ne peut pas continuer à être taxée de la même manière que les entreprises minières ou les industries commerciales par exemple, qui font beaucoup de rentes», précise-t-elle.
Les patrons de presse fustigent également la rupture illégale et unilatérale des contrats publicitaires, alors que la plupart d’entre eux ont connu un début de mise en œuvre. «Nous demandons aux autorités de revoir la stratégie mise en place actuellement, on ne peut plus faire des recouvrements au niveau des structures publiques et parapubliques. Il y a un gel des paiements concernant les créances dues aux entreprises de presse, toutes les voies ont été fermées, et nous autres entreprises de presse, ne pouvons pas continuer à supporter les charges et à faire face à nos obligations légales économiques», dit-elle.
«Sans indépendance économique, on ne peut parler d’indépendance éditoriale»
L’éditorial commun et la journée sans presse de ce mardi 13 août étaient la première partie d’un plan d’actions mis en place par le Cdeps. «Vendredi nous allons évaluer et discuter pour décider de la suite du plan d’actions, informe Maïmouna Ndour Faye. Mais encore une fois, nous réitérons aux autorités sénégalaises notre appel au dialogue et à la concertation. Elles sont très bien placées pour comprendre les enjeux de l’heure et la nécessité d’engager des discussions avec les différentes structures de la presse pour réfléchir sur la viabilité de ce secteur. Sans indépendance économique, on ne peut parler d’indépendance éditoriale. On se bat tous les jours pour essayer d’y arriver, mais il est temps qu’avec les autorités gouvernementales, on essaie de voir les voies et moyens de renforcer l’écosystème des entreprises de presse.»
La Directrice de 7TV a, par ailleurs, souligné la nécessité pour les entreprises de presse de se réinventer face aux mutations sur le plan technologique et digital, et surtout le vote, l’adoption et l’application de la loi sur la publicité. Quelques récalcitrants parmi les médias n’ont pas adhéré au mot d’ordre du Cdeps, Maïmouna Ndour Faye relativise. «Nous sommes en démocratie, le mot d’ordre a été suivi à 98%, presque toute la presse a suivi le mot d’ordre. Mais les gens sont libres de ne pas adhérer à des combats, s’ils n’en trouvent pas l’utilité. Que chacun prenne ses responsabilités, nous avons pris les nôtres pour faire entendre notre voix et alerter sur la difficile situation, et le plus important est que notre message a été entendu par les autorités sénégalaises et même au-delà des frontières du Sénégal. C’est tout ce qui compte pour nous. Tout le reste n’est que du verbiage inutile.»
Remake de 2004
Ce n’est pas la première fois qu’une journée sans presse est organisée au Sénégal. En 2004, Madiambal Diagne, alors Directeur de publication du journal "Le Quotidien’’, est poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles et publication de documents secrets et d’informations de nature à provoquer des troubles politiques graves et jeter le discrédit sur les institutions. Le journaliste avait publié des extraits d’une lettre du ministre des Finances au Président Abdoulaye Wade, concernant une affaire de corruption à la Direction des Douanes, et un article accusant le pouvoir de promouvoir des juges favorables au gouvernement. En guise de soutien, les patrons de presse ont décidé de la publication d’un éditorial commun titré "Tous contre le monstre’’, et d’une journée sans presse le 12 juillet, d’un boycott des activités du gouvernement, en plus de marches et sit-in. Madiambal Diagne va bénéficier d’une liberté provisoire le 26 juillet, après une vingtaine de jours en prison.