NETTALI.COM - Avant-hier, lundi 26 Août, dans un geste à la fois audacieux et polémique, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a pris un décret convoquant l'Assemblée nationale en session extraordinaire pour examiner un projet de loi modifiant la Constitution. Ce projet vise, ni plus ni moins, la suppression du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) et du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Cette initiative, annoncée à travers un communiqué de la présidence, a immédiatement suscité un débat intense dans la sphère politique sénégalaise, divisant les acteurs en partisans enthousiastes et détracteurs farouches.

L a convocation de l'Assemblée nationale pour le jeudi 29 août 2024 a surpris de nombreux observateurs, car elle s'inscrit dans une démarche radicale de réformes institutionnelles. La volonté de supprimer deux des plus importantes institutions du pays, le HCCT et le CESE, semble être une bonne trouvaille pour le président Diomaye Faye qui cherche à rationaliser le fonctionnement de l'État en éliminant ce qu'il considère comme des structures obsolètes et budgétivores.

Dans ce contexte, les députés du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY) ont été convoqués en urgence pour une réunion ce mardi 27 août 2024 à 17 h. La convocation, émise par Abdoul Mbow, président du groupe BBY, met en lumière l’importance de l’ordre du jour, soulignant l’obligation pour tous les députés membres d’être présents. Cette rencontre intervient à un moment charnière où la coalition BBY doit définir sa position face à un projet de loi qui pourrait bouleverser l'équilibre des institutions et précipiter une dis- solution de l'Assemblée nationale.

Derrière cette initiative se cache une ambition claire pour les sympathisants et militants du nouveau régime : construire des institutions en adéquation avec les idéaux du nouveau régime, des institutions qui seraient plus efficaces, moins coûteuses et mieux adaptées aux réalités socioéconomiques du pays. Cependant, cette volonté de réforme sou- lève de nombreuses questions sur les véritables motivations du président Faye.

Le champ de bataille de la cohabitation s'annonce

Certains observateurs politiques voient dans cette manœuvre une stratégie plus subtile du chef de l’État. En effet, le projet de loi, qu'il soit voté ou rejeté, pourrait fournir au président un prétexte pour dissoudre l'Assemblée nationale, dont le mandat de la XIVe législature pourrait être écourté. Une telle dissolution permettrait au président de provoquer des élections législatives anticipées, une initiative qui pourrait redistribuer les cartes politiques en sa faveur, sur- tout si l'Assemblée refuse de se conformer à ses réformes.

Cette hypothèse n'est pas sans fondement, car de nombreux membres de la mouvance présidentielle ont publiquement réclamé la dissolution de l'Assemblée. Parmi eux, des figures influentes telles que l'ex- Première ministre et haut représentant du président de la République, Aminata Touré ainsi que les députés Guy Marius Sagna et Cheikh Thioro

Mbacké, ont exprimé leur soutien à une telle initiative. Pour eux, la sup- pression du HCCT et du CESE est une étape logique vers une rationali- sation des institutions du pays, d'au- tant plus que cette doléance était une promesse de campagne et une demande populaire.

Réactions en chaîne

Toutefois, cette proposition ne fait pas l'unanimité, loin de là. Les opposants du régime actuel voient dans cette initiative une tentative de consolidation du pouvoir au détriment des équilibres démocratiques. Cheikh Oumar Sy, ancien député et membre de l'opposition, critique ouvertement la démarche du président.

Selon lui, la convocation en session extraordinaire est précipitée et pose des questions sur la transparence et la légitimité du processus.

Ce proche d’Amadou Ba, l'ex-candidat malheureux à la dernière présidentielle, s'interroge également sur le cadre juridique dans lequel cette session extraordinaire se tiendra, évoquant l'absence de modifications nécessaires au règlement intérieur de l'Assemblée nationale. Cette situation soulève des inquiétudes quant à la légitimité du processus législatif en cours et laisse planer un doute sur la conformité de la démarche présidentielle avec les normes constitutionnelles.

Zahra Iyane Thiam, ancienne ministre sous le régime de Macky Sall, ne mâche pas ses mots non plus. Pour elle, la priorité du président et de son Premier ministre, ne semble pas être la gestion des urgences socioéconomiques du pays, mais plutôt la consolidation de leur pouvoir politique. Elle dénonce une obsession du régime pour l'élimination des opposants politiques au détriment des véritables priorités nationales telles que la lutte contre l'immigration clandestine ou la gestion des crises économiques.

La convocation d'une session extraordinaire de l'Assemblée nationale pour examiner ce projet de loi a également provoqué des réactions au sein de la majorité parlementaire. Les députés du groupe Benno Bokk Yaakaar (BBY) se trouvent dans une position délicate. D'un côté, voter pour la suppression du HCCT et du Cese pourrait entraîner la perte de nombreux postes et affaiblir leur propre base de pouvoir. De l'autre, refuser ce vote pourrait entraîner la dissolution de l'Assemblée nationale, ouvrant la voie à des élections législatives anticipées. Certains partisans de Pastef sont même allés jusqu’à les railler : “Ils perdent ou ils per- dent”, reprenant ironiquement le slogan de Gbagbo, lors de la présidentielle de 2010 : “On gagne ou on gagne.”

Cheikh Ibrahima Diallo, analyste politique, décrit cette situation comme un véritable dilemme pour BBY.

Selon lui, les élus de cette coalition sont “à la croisée des chemins”, avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. S'ils votent pour la suppression des institutions, ils risquent de voir partir des centaines de responsables ; s'ils s'y opposent, ils pourraient bien se retrouver sans mandat, avec des élections anticipées à l'horizon.

Des conséquences politiques risquées

Pour les partisans de l’opposition, la dissolution du HCCT et du Cese, si elle est votée, aurait des conséquences profondes sur la structure institutionnelle du Sénégal. Le HCCT, qui joue un rôle consultatif important dans la gestion des collec- tivités territoriales, et le Cese, qui regroupe les différents corps sociaux et professionnels, sont des piliers de la démocratie participative au Sénégal. Leur suppression pourrait affaiblir la représentation des corps intermédiaires et réduire les espaces de dialogue entre le gouvernement et les différentes composantes de la société civile.

D’aucuns estiment, comme Cheikh Oumar Sy, que le Cese, bien qu'il ait été politiquement dévoyé, pour- rait encore jouer un rôle crucial dans la structuration de la souveraineté économique du pays. Il propose, au lieu d'une suppression pure et sim- ple, de réduire le nombre de ses conseillers et de recentrer ses missions pour accompagner le projet économique du président.

D'autres voix comme celle de Malal Talla alias “Fou Malade”, s'interrogent sur l'avenir des causes spécifiques défendues par ces institutions, notamment celles liées aux cultures urbaines. Le Cese, par exemple, offre une tribune pour plaider ces causes qui pourraient ne plus avoir de cadre institutionnel dédié, si l'institution venait à disparaître.

Dans un contexte marqué par des crises économiques et sécuritaires croissantes au Sénégal, Bougane Guèye, leader du mouvement Gueum Sa Bopp, a exprimé son inquiétude. Il a appelé à des actions plus urgentes et concrètes pour répondre aux défis qui menacent la stabilité du pays. Dans une publication sur les réseaux sociaux, Bougane Guèye a exprimé son soutien aux initiatives de Babacar Mbaye Ngaraf, président du mouvement Les démocrates réforma- teurs et du député Moussa Diakhaté, qui plaident pour une enquête appro- fondie sur la gestion des fonds publics. Le leader de Gueum Sa Bopp a également exhorté l'Assem- blée nationale à engager une procé- dure contre le ministre Cheikh T. Dièye, en raison de soupçons de mauvaise gestion.

Par ailleurs, il a insisté sur la nécessité d'une transparence totale concernant les fonds politiques et a réclamé la déclaration de patrimoine du Premier ministre Ousmane Sonko, estimant que ces mesures sont essentielles pour restaurer la confiance des citoyens et garantir une gouvernance intègre en ces temps de crise.

La décision de supprimer le HCCT et le Cese est perçue par certains comme une opération politique ris- quée. Elle pourrait, certes, permettre au président Bassirou Diomaye Faye de réaffirmer son autorité et de re- structurer les institutions à sa guise, mais elle pourrait aussi provoquer une crise politique majeure, si elle venait à rencontrer une opposition farouche au sein de l'Assemblée nationale.

La convocation en session extraor- dinaire pour discuter de ce projet de loi place les députés face à un choix difficile : suivre la volonté présiden- tielle au risque de perdre des sou- tiens politiques ou s'opposer à cette réforme au péril de leur propre man- dat. Quel que soit le choix qui sera fait, les conséquences sur l'équilibre politique du pays seront profondes et durables.

La dissolution du HCCT et du Cese, si elle est adoptée, marquera un tournant dans l'histoire politique du Sénégal. Elle symbolise la volonté du président Diomaye Faye de réformer profondément les institutions du pays, mais elle soulève également des questions sur la manière dont ces réformes sont mises en œuvre.

Le débat est loin d'être clos et les prochains jours seront cruciaux pour déterminer l'avenir de ces deux institutions et, plus largement, pour l'équilibre des pouvoirs au Sénégal.

Alors que le pays s'approche de cette échéance politique majeure, l'attention de tous les acteurs est tournée vers la place Soweto. Le vote à venir pourrait bien redessiner la carte politique du Sénégal et ouvrir un nouveau chapitre dans la gouvernance du pays.

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