NETTALI.COM - Le téléphone portable fait partie de nos vies. Il est aujourd’hui rare de voir une personne qui n’utilise pas cet outil. Même les tout- petits en raffolent. Dans cette interview, le psychologue-psychothérapeute Abib Ndiaye souligne que le cerveau de l’enfant n’a pas besoin d’écran. Il est d’avis que sa plasticité cérébrale lui sert de socle d’acquisition des connaissances et compétences socioculturelles qui feront de lui, un citoyen imprégné des valeurs et des réalités de son groupe d’appartenance. Monsieur Ndiaye revient, dans cet entretien, sur les différentes formes de dépendance au smartphone.

Le téléphone portable est désormais un compagnon incontournable, dans la vie de tous les jours. Toutefois, de plus en plus de personnes ne peuvent plus s’en départir une seule minute. Est-ce grave, selon vous ?

La question de la cohabitation avec le téléphone portable soulève beaucoup d’interrogations, pour ne pas dire d’inquiétudes, chez un nombre de plus en plus croissant de personnes. Ce qu’il faut retenir à propos du fait de “ne plus pouvoir se départir de son téléphone portable”, c’est que le caractère grave d’un tel comportement est à apprécier au cas par cas, en fonction d’une combinaison de facteurs.

Il y a, d’abord, le contexte dans lequel est observé ledit comportement (cadre familial, milieu professionnel, interactions informelles, situation d’intimité en vie privée, etc.) : est-ce approprié dans un tel milieu de rester scotché H24 à son téléphone ? Ensuite, cela peut s’apprécier sous le prisme des normes sociales : quelle lecture en fait le groupe social de référence ? Quel jugement est porté sur un tel comportement ? Quel est le niveau de tolérance-désapprobation dudit comportement ?

Puis viennent les conséquences : quelles sont les répercussions dudit comportement sur la qualité de vie de la personne et ses rapports inter- personnels ? En quoi et dans quelle mesure cela peut-il nuire à la santé et au fonctionnement de l’individu ? Voilà quelques considérations à prendre en compte pour une lecture éclairée du comportement en question, avant de pouvoir dire c’est grave ou pas.

Beaucoup confessent qu’ils ne peuvent plus vivre sans le téléphone portable. Cette dépendance est-elle d’ordre pathologique ?

Lorsque vous parlez de “dépendance”, cela renvoie à une évaluation de la situation vécue par ces personnes qui affirment ne plus pouvoir s’en passer. Donc, pour ces personnes, il y a un manque certain lorsqu’elles se retrouvent sans leur téléphone. Cela veut dire qu’ils ressentent une “absence de complétude” dont l’intensité est variable en fonction du contexte, des règles sociales en présence, des traits de caractère de la personne et de ses habiletés émotionnelles. Le manque peut être tolérable – pour combien de temps ?– et ne met pas en danger la santé ou le fonctionnement social, tout comme ce manque peut être à l’origine de comportements inadéquats.

Si “être en manque de” se comprend au sens strict de “ne pas pouvoir se passer du téléphone portable”, alors nous sommes en présence d’un “besoin jamais assouvi, par défaut d’intériorisation, de ce quelque chose” (Berger, 2007) qu’est le téléphone et tout ce qu’il représente. Le vide créé par l’absence du téléphone portable, place la personne dans un état douloureux de dénuement et de détresse et, bien souvent, suscite en elle des comportements compulsifs destinés à apaiser les effets douloureux du manque (Berger, 2007).

Comment se manifeste cette dépendance aux smartphones et aux tablettes ?

La dépendance aux smartphones et aux tablettes se manifeste sous plusieurs formes. Il s’agit d’un état conceptualisé sous le terme de “nomophobie” qui traduit la peur ou l'anxiété excessive d'être séparé de son téléphone portable. Cet anglicisme tiré de “no mobile phone phobia” (phobie de l’absence de télé- phone) est à l’origine d’une souffrance chez les personnes concernées.

La première manifestation de cette dépendance est la fusion avec son téléphone. L’individu, “tout le temps scotché à son téléphone”, est assujetti à cet objet. Il s’ensuit un sentiment d’”angoisse de séparation” induit par le manque que révèle l’absence du téléphone. Cette angoisse de séparation met à nu le rapport douloureux que l’individu entretient avec son téléphone. Il éprouvera un sentiment de néant loin de son smartphone, car il est assujetti à l’objet manquant à son univers.

On peut donc retenir les manifestations que sont la fusion avec l’objet, l’assujettissement, l’angoisse de séparation et les perturbations des rapports à l’autre et au monde du fait du manque ressenti.

Le problème gagne même les enfants. Des mères de famille déclarent que le smartphone ou la tablette sont les seules choses qui peuvent calmer leurs enfants, quand ils se mettent à pleurer. Est-ce sain de laisser prospérer de telles dépendances ?

Évidemment que laisser de tout- petits avec des tablettes ou télé- phones connectés n’est pas souhaitable. Le cerveau de l’enfant n’a pas besoin d’écran. Sa plasticité cérébrale lui sert de socle d’acquisition des connaissances et compétences socioculturelles qui feront de lui un

citoyen imprégné des valeurs et des réalités de son groupe d’appartenance. Les écrans le soustraient aux interactions sociales qui sont le cadre d’exercice de la socialisation et de la sociabilité.

Il convient donc d’exclure, ou tout au moins de limiter l’exposition des enfants aux écrans. Leur cerveau n’a pas besoin de cette nourriture.

Quels sont les dangers pour les enfants ?

Le premier danger chez les enfants réside dans l’imitation et la reproduction d’attitudes et de comportements inappropriés copiés des contenus audiovisuels consommés. L’autre, encore plus délicat est le risque de basculer dans un autisme virtuel.

En effet, scotché à son écran, un tout-petit ne ressent pas le besoin de communiquer. Cela peut le captiver à tel point qu’il se replie dans son monde à lui, un univers à part, peu- plé seulement de son smartphone, et refuse le contact avec le monde extérieur. Il perd contact avec la réalité qui l’entoure et présente souvent une incapacité à établir des contacts affectifs avec son environnement. Cette indifférence et ce désintérêt total vis-à-vis des personnes comme des objets qui l’entourent sont deux manifestations caractéristiques des dangers pour les enfants.

Une troisième manifestation des dangers pour les enfants, surtout chez les tout-petits, est l’apparition de troubles du langage ; l’enfant peut posséder un langage, mais ce dernier n’a que peu ou pas de valeur communicative (Lelord et alii, 1989).

En Occident, on admet de plus en plus que la dépendance au téléphone est problématique. D’aucuns se font même aider pour se départir de cette dépendance. Est-ce que c’est possible au Sénégal de guérir d’une addiction au smartphone ?

La nomophobie dont j’ai parlé tout à l’heure est une condition socio-sanitaire liée à l'importance croissante qu’ont les téléphones portables dans la vie quotidienne. Ses répercussions sur la santé men- tale provoquant stress, anxiété et autres problèmes émotionnels ne sont plus à démontrer. Il s’agit aujourd’hui d’une question de santé mentale effectivement prise en compte dans les interventions des professionnels du secteur, notamment en addictologie. Il est tout à fait possible de guérir de cette addiction avec de l’aide psychologique soutenue par d’autres stratégies telles que la “détox digitale” avec la déconnexion progressive, la fixation de limites de temps d’écran, les moments sans smartphone, les espaces sans téléphone, etc. Tout ceci peut se faire avec l’accompagnement et la supervision d’un psychologue qui aidera à changer les habitudes pour adopter et consolider de nouvelles habitudes de vie avec moins de dépendance ou zéro dépendance au téléphone. Ce sera à travers un coaching structuré autour de plusieurs jalons pour lesquels l’individu s’engagera à faire des réalisations concrètes sur la réduction du temps d’exposition aux écrans, les moments d’utilisation, etc.