NETTALI.COM - Alors que le gouvernement sénégalais prône la souveraineté alimentaire, la ministre des Affaires étrangères, Yassine Fall, en déplacement à Moscou, plaide pour un renforcement des importations de blé russe. Cette position contraste fortement avec les initiatives locales, notamment celles de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal (FNBS), qui cherche à promouvoir l'incorporation des céréales locales dans la fabrication du pain. Cette situation soulève des questions sur la cohérence des politiques gouvernementales en matière de souveraineté alimentaire.
Le Pastef, parti fondé par Ousmane Sonko s’est positionné comme le défenseur de la souveraineté nationale et de la protection des intérêts locaux face à la mondialisation. La souveraineté alimentaire, définie comme la capacité d’un pays à nourrir sa population avec ses propres ressources, est au cœur du projet. Ce discours a séduit de nombreux militants et jeunes entrepreneurs sénégalais, qui y voient une opportunité de promouvoir les entreprises locales et de réduire la dépendance aux multinationales.
Le nouveau gouvernement, issu majoritairement de ce parti nationaliste, a donc logiquement axé une grande partie de son programme sur la défense des entreprises nationales et la réduction de la dépendance aux importations, notamment en matière agricole. Cette orientation a été perçue comme une rupture avec les politiques antérieures, souvent critiquées pour leur soumission aux diktats de la mondialisation et des puissances étrangères comme la France.
Une Diplomatie en contradiction avec les engagements Nationaux
C’est dans ce contexte que la récente visite de la ministre des Affaires étrangères du Sénégal en Russie a suscité des interrogations. Lors de son entretien avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, la cheffe de la diplomatie sénégalaise, Yassine Fall, a exprimé le souhait du Sénégal de renforcer ses importations de blé en provenance de Russie. “Nous consommons beaucoup de pain et le pain est fait à partir du blé. Et nous savons à quel point la Russie produit du blé. Donc, l'importation de blé de la Russie vers le Sénégal est aussi quelque chose que nous voulons renforcer”, a-t-elle déclaré.
Cette déclaration semble en contradiction directe avec les engagements de souveraineté alimentaire du gouvernement. En effet, comment peut-on prôner la souveraineté alimentaire tout en plaidant pour une augmentation des importations d’un produit aussi essentiel que le blé, surtout lorsque des alternatives locales existent ? s’interrogent plusieurs internautes, acteurs politiques et entrepreneurs.
Selon Amadou Gaye, président de la Fédération nationale des boulangers du Sénégal (FNBS), les propos de la ministre Yassine Fall sont en contradiction avec la politique de souveraineté prônée par le gouvernement. Alors qu’elle plaide pour un renforcement des importations de blé en provenance de la Russie, la FNBS mène un plaidoyer pour instaurer une politique de substitution aux importations.
Pour lui, il s'agit d’une incompréhension ; “la ministre semble vouloir insister sur le volume de blé importé de Russie, alors que nous alertons depuis longtemps sur la nécessité d'une alternative durable. Le Sénégal importe actuellement 891 000 tonnes de blé par an. Si aucune mesure n’est prise, ce chiffre pourrait dépasser les 2 millions de tonnes d’ici 2030”s.
Les Boulangers Sénégalais pour une Consommation Locale
Face à cette position diplomatique, la FNBS va plus loin. Les acteurs de ce secteur stratégique ont exprimé leur étonnement. La FNBS, qui organise du 5 au 7 septembre 2024 la semaine du pain aux céréales locales, milite pour l’incorporation de produits locaux comme le mil, le maïs ou le fonio dans la panification, en remplacement du blé. Pour Amadou Gaye, président de la FNBS, cette initiative est une réponse directe aux défis posés par la dépendance au blé importé.
Lors d’une rencontre avec la presse tenue ce jeudi 29 août 2024, M. Gaye et ses collègues ont mis en évidence l’importance de cette démarche pour l’économie sénégalaise : “Nous pensons que l’incorporation des céréales locales dans la panification est une voie sûre, c’est une solution ; et pour cela, il faudrait créer une nouvelle politique agricole du gouvernement.”
Il a également dénoncé la “distorsion fiscale” entre la farine de blé, largement subventionnée, et les farines de céréales locales, soumises à une TVA de 18 %. Cette inégalité fiscale freine, selon lui, le développement d’une véritable industrie de transformation locale.
La souveraineté alimentaire : une urgence nationale
La souveraineté alimentaire du Sénégal est une question cruciale, surtout dans un contexte global marqué par des crises alimentaires récurrentes. Pour le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, il est urgent de réduire la dépendance du pays aux importations alimentaires, notamment en blé. “Il y a urgence à gagner notre souveraineté alimentaire en investissant plus et mieux dans l’agriculture, la pêche et l’élevage, les trois mamelles nourricières de notre pays”, a-t-il déclaré lors de son discours à la nation.
Cette position rappelle les avertissements lancés par son prédécesseur, Macky Sall, qui, lors d’un déplacement en Russie au début de la guerre en Ukraine en 2022 en tant que président de l’Union africaine, avait plaidé pour la fin de la guerre en Ukraine afin de libérer les céréales bloquées dans les ports ukrainiens. Toutefois, cette dépendance aux importations de blé avait déjà été critiquée, notamment par ceux qui appellent à une plus grande autonomie alimentaire pour l’Afrique.
Dans le contexte actuel, il est essentiel que le Sénégal envisage une stratégie ambitieuse pour promouvoir l'utilisation de céréales locales comme alternatives au blé, tout en collaborant avec la Russie pour assurer un approvisionnement régulier en cas de besoin. Dépendre uniquement des importations pour satisfaire nos besoins alimentaires, en particulier en blé, s'avère non seulement coûteux mais également insoutenable à long terme, comme l'ont souligné de nombreux observateurs.
Un défi pour le gouvernement de Pastef
La question qui se pose aujourd’hui est celle de la cohérence entre le discours et les actes du gouvernement. Peut-on véritablement parler de souveraineté alimentaire tout en renforçant les importations de blé ? Cette contradiction risque de fragiliser la crédibilité du gouvernement, notamment auprès de ses soutiens les plus fervents.
Les boulangers sénégalais, eux, appellent à des actes concrets pour soutenir la production locale. La FNBS insiste sur la nécessité de réformer le décret 79-665-10 du 7 juillet 1979, qui rendait obligatoire l’incorporation de 20 % de mil dans le pain, pour inclure d’autres céréales locales. Cette réforme serait un pas significatif vers une véritable souveraineté alimentaire.
En fin de compte, la souveraineté alimentaire du Sénégal ne pourra être assurée que par une politique cohérente, qui privilégie les produits locaux et réduit la dépendance aux importations. Le gouvernement de Pastef, qui s’est engagé sur cette voie, doit désormais faire preuve de cohérence dans ses actions. L’augmentation des importations de blé russe, en contradiction avec les dis- cours sur la souveraineté alimentaire, risque de miner la confiance des Sénégalais dans la capacité du gouvernement à tenir ses pro- messes.
La semaine du pain aux céréales locales, organisée par la FNBS, sera sans doute l’occasion de mesurer l’engagement du gouvernement en faveur de cette cause. Les Sénégalais attendent des actes forts, qui traduiront concrètement les discours en faveur du “consommer local” et de la souveraineté alimentaire.