NETTALI.COM - La situation politique au Sénégal est marquée par une tension palpable entre le nouveau gouvernement dirigé par Ousmane Sonko et l'ex-coalition au pouvoir, Benno Bokk Yaakaar (BBY ). À l'aube de sa dissolution et de celle de l'Assemblée nationale, BBY a choisi de mener un dernier combat en déposant une motion de censure contre le gouvernement. “EnQuête” explore les enjeux et les motivations et les potentielles répercussions politiques de cette in.
L’ ex-coalition au pouvoir, Benno Bokk Yaakaar (BBY) se prépare à livrer un ultime combat contre le nouveau gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko avant sa propre dissolution ainsi que celle de l'Assemblée nationale. Dans un contexte où l'ancien président Macky Sall (2012-2024) semble vouloir tourner la page de BBY, Abdou Mbow, président du groupe parlementaire BBY, a annoncé le dépôt imminent d'une motion de censure contre le gouvernement dirigé par Sonko.
Contexte et origine de la motion de censure
L'ultime offensive de Benno ressemble à un baroud d'honneur : faire plier le Premier ministre Ousmane Sonko, qui a longtemps combattu leur leader Macky Sall avant de prendre les rênes du pouvoir en mars dernier à la tête de son parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef). Mbow et ses collègues accusent Sonko de refuser de faire sa déclaration de politique générale (DPG), condition qu'il avait lui-même posée en exigeant une mise à jour du règlement intérieur de l'Assemblée nationale, ce qui reste à ce jour un point de tension.
Cette annonce fait suite au rejet, lundi dernier, du projet de loi visant à supprimer le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT), deux institutions emblématiques du régime précédent.
Mbow, galvanisé par ce succès, a déclaré : “Nous allons déposer dès demain (mardi) une motion de censure pour faire tomber la première équipe ministérielle du président Bassirou Diomaye Faye, élu il y a à peine cinq mois.” Ce rejet, soutenu par 82 députés, a marqué un revers important pour le gouvernement de Sonko, renforçant la détermination de BBY à mener cette nouvelle bataille.
Cependant, même si la motion de censure venait à être adoptée, le président Bassirou Diomaye Faye pourrait immédiatement reconduire le Premier ministre et son gouvernement, limitant ainsi les effets de cette initiative.
Néanmoins, une telle situation pourrait offrir à Sonko et à Diomaye une opportunité de se débarrasser de ministres controversés comme Yacine Fall et Cheikh Tidiane Dièye, selon un membre influent de Yewwi Askan Wi.
Benno Bokk Yaakaar espère inscrire ce dossier en procédure d'urgence avant la dissolution potentielle du Parlement, prévue dès le 12 septembre prochain, dans l'espoir de réaliser un coup politique. Pourtant, certains députés de l'ancienne majorité perçoivent l'attitude de Sonko comme un manque de respect et sont déterminés à utiliser tous les moyens légaux à leur disposition pour entraver l'action du nouveau régime.
Abdou Mbow a insisté sur ce qu'il considère comme une violation de la Constitution par le Premier ministre, affirmant : “Je voudrais insister sur la violation de la Constitution par le Premier ministre, qui n’a pas voulu faire sa DPG, qui n’a pas voulu que les institutions que nous incarnons soient respectées. Un gouvernement qui est aujourd’hui dans des scandales.”
Selon les experts en droit parlementaire, la motion de censure, soutenue par un dixième des députés, doit être votée dans un délai de deux jours après son dépôt et nécessite une majorité absolue des 165 députés pour être adoptée. Benno, qui a réuni 83 voix pour bloquer le projet de suppression du Cese et du HCCT, doit maintenant rassembler davantage de soutiens pour faire passer cette motion.
Conséquences et limites légales et constitutionnelles
Ngouda Mboup, constitutionnaliste proche de Pastef, a expliqué sur TFM que la session extraordinaire de l'Assemblée nationale ne garantit pas que l'ordre du jour soit respecté, car c'est le président de la République qui en détermine les termes et peut les modifier à tout moment, conformément à l'article 84 de la Constitution. Il a ajouté que les chances de succès de BBY restent minces et que la dissolution de l'Assemblée nationale déclencherait des élections anticipées devant être organisées entre 60 et 90 jours après l'annonce, période pendant laquelle l'Assemblée nationale resterait en place sans pouvoir se réunir.
Pour dissoudre des institutions comme le HCCT et le Cese, une révision constitutionnelle serait nécessaire ou bien l'adoption d'une nouvelle Constitution.
Malgré l'unité apparente affichée par BBY, les réactions au sein de l'opposition sénégalaise sont loin d'être monolithiques. Un membre de Taxawu Sénégal a clairement indiqué que leurs parlementaires ne soutiendront pas cette motion de censure, préférant laisser le gouvernement travailler. Cette position montre une certaine cohérence dans leur démarche, mais elle révèle également les fractures au sein de l'opposition, où certains estiment qu'il est préférable de laisser le gouvernement en place pour éviter une crise politique prolongée.
Doudou Wade, membre influent du Parti démocratique sénégalais (PDS) et ancien parlementaire, a quant à lui adopté une position plus critique, affirmant que Sonko se devait de répondre devant l'Assemblée nationale, sous peine de voir le président Bassirou Diomaye Faye tirer les conséquences d'un tel refus. Selon lui, l'absence de Sonko à l'Assemblée nationale pourrait précipiter le pays dans une crise historique.
Thierno Bocoum et l'indignation face à la situation
Thierno Bocoum, leader politique et ancien député, n'a pas mâché ses mots en décrivant la session extraordinaire comme “honteuse” et méritant bien une motion de censure. Il dénonce ce qu'il considère comme des actes de sabotage et d'enfantillage visant à discréditer l'institution parlementaire.
Selon lui, la présence d'un public mobilisé pour crier “Sonko, Sonko” au sein de l'hémicycle et le comportement du ministre de la Justice, qui a annoncé en pleine séance que le président aurait promulgué la loi modifiant le règlement intérieur de l'Assemblée, sont des actes graves qui ne doivent pas rester sans suite.
Bocoum souligne également que cette stratégie, qu'il qualifie de “trop enfantine”, vise à tendre des pièges aux députés de la majorité pour les pousser à l'erreur et ainsi se doter d'éléments de langage en vue des prochaines élections législatives. Il estime que ces manœuvres ne font que renforcer la méfiance du public envers le gouvernement, surtout lorsque les Sénégalais se poseront la question de savoir pourquoi le Premier ministre n'a pas respecté la Constitution en ne présentant pas sa DPG.
Un appel au dialogue ou une confrontation inévitable ?
Dans ce climat tendu, certaines voix appellent à la modération. Zahra Iyane Thiam, ancienne ministre sous Macky Sall et maintenant membre de l'opposition, a exprimé ses inquiétudes sur les réseaux sociaux, déclarant que “le Sénégal n'a jamais été aussi près du précipice”. Elle invite solennellement le président Diomaye à privilégier le dialogue et la concertation plutôt que la confrontation. Ses propos reflètent une inquiétude croissante quant à la possibilité d'une escalade des tensions politiques, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour la stabilité du pays.
L'histoire politique du Sénégal est jalonnée de motions de censure, mais rares sont celles qui ont abouti. Depuis l'indépendance, seulement cinq motions de censure ont été sou- mises au vote de la représentation nationale, et une seule a été adoptée : celle de 1962, qui a plongé le pays dans une crise profonde. Le prési- dent Macky Sall est le seul des quatre présidents du Sénégal à avoir vu ses gouvernements confrontés à deux reprises à une motion de cen- sure, sans succès.
Le souvenir de 1962 reste gravé dans la mémoire collective du pays. À l'époque, la motion déposée par le député Théophile James de Gossas avait provoqué un malaise profond au sommet de l'État. L'après-midi du 17 décembre, 47 députés, convoqués de manière sélective, s'étaient réunis au domicile de Me Lamine Guèye pour destituer le président du Conseil du gouvernement. Cet événement historique rappelle que les motions de censure ne sont pas sans conséquences.