NETTALI.COM - Si d’aucuns se demandaient encore s’il y aurait déclaration de politique générale ou pas, tout en se posant parallèlement une seconde question, celle de la dissolution ou non de l’Assemblée nationale, eh bien, ils sont édifiés maintenant.

Mais il faut sans doute souligner que pour les plus avertis, il était bien difficile de savoir ce que l’on pouvait bien attendre d’autre comme déclaration dans ce discours à la nation, qu’une dissolution de l’Assemblée puisque le président Faye nous avait déjà annoncé que la DPG aurait lieu le 13 septembre. Et qu’Ousmane Sonko avait déjà annoncé la couleur. Ce cher Diomaye ne pouvait quand même pas revenir pour nous dire ce qu’on savait déjà. Dans tous les cas, la date des législatives est connue puisqu’elle est fixée au 17 novembre.

Mais dans cette affaire, il faut le dire, tout ne s’est pas déroulé dans les règles de l’art. En effet, après la fixation de la date de la déclaration de politique générale par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale, le président Diomaye Faye était revenu à la charge pour fixer la nouvelle date au 13 septembre, en se basant sur des dispositions constitutionnelles. Ce que L’Assemblée nationale avait accepté en prenant acte de la décision du président de la République. D’ailleurs dans un communiqué rendu public à l’issue d’une réunion de son bureau et de celle de la conférence des présidents des groupes parlementaires, elle soulignait une décision du chef de l’Etat qui s’inscrit en droite ligne de la tradition républicaine.

Pour beaucoup, cela voulait dire que l'Assemblée nationale ne serait pas dissoute le 12 septembre, jours de ses deux ans. Certains y avaient même vu un désaveu du Premier ministre par le chef de l'Etat. "Par lettre signée le 06 septembre 2024, le président de la République a notifié à M. le président de l'Assemblée nationale de la tenue de la Déclaration de politique générale du Premier ministre le 13 septembre (...)", avait ainsi écrit l'ancien ministre Mansour Faye.

Pour le responsable de l'Alliance pour la république (APR), deux scénarios étaient dès lors possibles : "Un dédit de M. le Premier ministre : Par conséquent, le début de la restauration de l'ordre institutionnel tant attendue et espérée par les Sénégalais, ce qui signifiera la fin de l'imposture. Ou alors un parjure de M. le Président : scénario catastrophe qui consacrera l'écroulement irréversible des fondamentaux de la République."

Mais à l’arrivée, c’est le second scénario qui s’est joué. Ce qui a poussé beaucoup de quotidiens du vendredi 13 septembre à parler de « jeu et ruse », « coup de jarnac », d’ « indécence présidentielle », de « naxeembaay » (tromperie basée sur une fausse promesse)., « de signature contre sa signature ».

Un acte du président de la république que l’on peut finalement considérer comme moralement condamnable, et qui a d’ailleurs poussé Benno Book Yaakaar, dans un communiqué, à parler de « parjure ». Un sentiment partagé dans la classe politique où on a eu affaire à une levée de boucliers avec un Bougane Guèye Dany qui a sonné la résistance, parlant d’un état renégat ; où une Anta Babacar Ngom qui se projette déjà dans les législatives en demandant la cohabitation, tout en déplorant au passage l’usage de la ruse par le président de la république avant de demander de « barrer la route à ces manœuvres de force ». Thierno Alassane Sall, le président du parti "La république des Valeurs", de son côté, regrette que l’année 2024 soit ainsi perdue, non sans constater que rien n’a été fait à part de la politique politicienne. Aussi, il a soutenu que le Président et le PMsont dans le jeu et dans les pièges.

 L’ex-juge Dème lui, a coupé la poire en deux. « même s’il faut reconnaître que cet acte n’est juridiquement pas contestable, il reste que la non tenue de la déclaration de politique générale qu’il avait fixée demain est un manquement grave à son devoir éthique et moral. Cette abjuration présidentielle prolonge le divorce persistant et inquiétant entre les principes proclamés par nos dirigeants et les actes politiciens qu’ils posent. Le plus grand défi de la nouvelle gouvernance était de restaurer la confiance des dirigeants avec les sénégalais en étant viscéralement attaché à la vérité, à la parole donnée et à l’intérêt national. Le constat amer est qu’on est tombé de Charybde en Scylla. », a-t-il commenté.

 Ce qui était d’autant plus gênant dans cette affaire, est que le président Bassirou Diomaye Faye avait pourtant réitéré lors du dernier conseil des ministres de mardi 10 septembre, «  son attachement au respect des prérogatives constitutionnelles, des compétences et missions de chaque institution de la république », estimant que « la bonne qualité des rapports entre les institutions détermine fondamentalement la stabilité politique et institutionnelle du pays, ainsi que la mise en œuvre optimale des politiques et programmes publics indispensables au bien-être de nos populations… ». Des écrits qui n’avaient avec le recul, d’autre objectif que d’endormir le peuple de Benno. Dans tous les cas, face à une assemblée dissoute, comment peut-il y avoir déclaration de politique générale ? Devant qui ?

Comment a-t-il pu remettre en cause sa signature et se dédire à ce point ? Lui qui avait vu sa cote de popularité monter en flèche du fait de la politesse et de la pondération qu’on lui a toujours témoigné. Comme on l’a si souvent écrit à longueur d’éditos, les hommes politique avancent toujours masqués, mais dans un jeu de masques toujours si corsé qu’on ne découvre leur vraie nature que bien tardivement.

Un acte du Président Diomaye qui rentre dans les annales en devenant le premier président de la République au Sénégal à dissoudre l’Assemblée nationale. Souvent cité comme étant le seul précédent, 2001 est un mauvais exemple. À l’époque, Abdoulaye Wade avait fait adopter par référendum une nouvelle Constitution et avait profité des dispositions transitoires qui lui avaient permis d’aller aux législatives sans la dissolution préalable de l’Assemblée nationale. C’est donc pour la première fois de son histoire que le Sénégal va rester soixante jours sans Assemblée nationale.

Ousmane Sonko : un Premier ministre, au début et à la fin !

Ce qui est surtout gênant dans les actes posés et qui est à déplorer, c’est cette fâcheuse tendance d’Ousmane Sonko à anticiper les décrets du président de la république, à tel point que des observateurs ne manquent pas de se demander si ce n’est pas lui qui ordonne et valide même les actes de Diomaye Faye. Une situation tout aussi relevée par les quotidiens du vendredi 13 septembre qui évoquent cela en ces termes : « Diomaye valide la volonté de Sonko », ou « Diomaye propose, Sonko dispose » ou encore « Diomaye confirme Sonko ».

Des conséquences de cette confusion au sommet que l’on sentait venir surtout avec la sortie du Premier ministre Ousmane Sonko, le mercredi 4 septembre pour dire qu’il n’y aurait pas « de motion de censure d’ici le 12 septembre et que le 12 septembre, s’il plait à Dieu, les gens auront autre chose à faire que d’être députés à l’Assemblée nationale». Il avait aussi annoncé que le chef de l'Etat, Bassirou Diomaye Faye, allait prendre des décrets pour bloquer le fonctionnement des deux institutions dirigées par Abdoulaye Daouda Diallo et Aminata Mbengue Ndiaye.

Chose dite, chose faite. Benno Bokk Yaakaar, qui avait fait l’annonce de cette motion de censure par l’entremise d’Abdou Mbow, le président du groupe parlementaire Benno, n’aura même pas eu le temps de savourer sa victoire relative à la dissolution avortée, via l’Assemblée nationale, du Haut Conseil des collectivités territoriales (Hcct) et du Conseil économique, social et environnemental (Cese) que le président de la République publie un décret pour décapiter ces institutions, question de les empêcher de continuer à fonctionner.

Mais il faut sans doute le souligner, le « Diomaye mooy Sonko, Sonko mooy Diomaye » nous cause décidément beaucoup de torts. Mais dans tous les cas, la responsabilité du président Faye est fortement engagée pour avoir ouvertement admis et publiquement d’ailleurs, lors de son face avec la presse, que le Premier ministre pouvait lorgner son fauteuil ; sans oublier cette déclaration selon laquelle, il se bat pour le porter au pouvoir.

Il existe pourtant des moyens légaux d’octroyer au Premier ministre, Ousmane Sonko, plus de pouvoirs, si tant est que c’est la volonté du président de la république de lui déléguer voire céder quelques prérogatives. Une révision de la constitution, ou même l’application de l’article 50 de la Constitution existante, permettrait sans aucun doute de circonscrire les prérogatives de chacun et de mettre un terme à cette dualité tant critiquée.

Qu’on ne se trompe point, ceux qui relèvent cette dissonance dans les actes et les paroles au sein du duo de l’exécutif, ont tout à fait raison. Il s’agit avant tout de respecter les institutions comme le Pastef a toujours eu à le réclamer durant les années de braise.

L’on ne doit pas à la vérité pouvoir reprocher à tous ceux qui critiquent ces actes du régime, d’être animés par une logique d’opposition gratuite. Il existe au Sénégal, disons-le clairement,  des personnalités constantes dans leurs positions et attachées à la sauvegarde et au respect des institutions, et qui les défendront, quel que soit par ailleurs le régime en place.  Parmi ceux-là, Alioune Tine de Africa Jom center qui a reçu toutes sortes de quolibets pour avoir osé dénoncer un régime Pastefien qui se mettait progressivement en place ; ou parce qui avait fait remarquer une dualité au sommet du pouvoir, arguant au passage qu’Ousmane Sonko aurait pu être un bon directeur de cabinet. Y’avait-il vraiment de quoi s’offusquer et l’attaquer ? C’est l’allergie à la critique qui guide décidément certains. Ce même Alioune Tine avait pourtant lors des événements préélectoraux au cours desquels Macky Sall avait tenté de rebattre les cartes, activement dénoncé les dérives. A l’époque, cela enchantait bien ceux qui le pourfendent aujourd’hui.

La dissolution de l’Assemblée actée, les législatives sont fixées au 17 novembre. Il sera dès lors bien logique d’offrir au Pastef, la majorité si l’on souhaite qu’elle gouverne de manière confortable. Ce qui est toutefois loin d’être pour le moment gagné. Avoir recueilli 54% des voix de l’électorat à la présidentielle, hétéroclite de surcroît, ne signifie pas pour autant que les autres partis politiques sont morts. L’élection présidentielle, rappelons-le, était une sorte de référendum dans le sens de changer de régime. Ce qui veut dire que l’électorat pourrait adopter une posture bien différente dans le sens du rééquilibrage du jeu politique. Après se posera l’équation de la campagne électorale, du parrainage  (on a appris que selon le Conseil constitutionnel, "les dispositions du Code électoral relatives au parrainage ne sont pas applicables aux élections législatives anticipées, en cas de dissolution de l'Assemblée nationale"), sans oublier les milliards à y investir. Une vraie course contre la montre qui ne présage rien de bon, surtout qu’est évoquée par certains politiques la volonté d’utiliser le rapport de la Cour des comptes pour faire campagne avec.

L’équation du vote du budget

Au-delà se posera la question du vote du budget, maintenant que l’Assemblée est dissoute. Interpellé par la RTS1, le professeur Abdou Aziz Kébé, spécialiste des finances publiques, était revenu sur les difficultés d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale. “Comme vous le savez, explique-t-il, la loi de finances doit être déposée au cours de la deuxième quinzaine du mois d’octobre. Si l’Assemblée est dissoute, pas d’Assemblée. Pas d’Assemblée, il y a des difficultés, notamment pour la gestion des finances publiques, par exemple pour voter le budget. Donc, il va falloir réfléchir sur des mécanismes juridiques”.

De l’avis du spécialiste, les choses sont loin d’être aussi faciles que certains le pensent. “En un moment, j’ai pensé que l’article 68 de la Constitution permettrait au président, lorsqu’on est dans ce cas de figure, de faire entrer en vigueur le budget par décret. Mais avec le recul, je me rends compte que ce sera compliqué. Il va falloir activer le Conseil constitutionnel, parce qu’on va vers un droit budgétaire spécial, avec tout un tas de contrôles à effectuer”, soulignait le professeur de droit public qui prônait l’ouverture de discussions pour éviter de telles situations.

Aux termes de l'article 68 de la Charte fondamentale, le projet de loi de finances, qui comprend notamment le budget, est déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, au plus tard, le jour de l'ouverture de la session. Selon le texte, l'Assemblée dispose de 60 jours au plus pour voter les projets de loi des finances. “Si, par suite d'un cas de force majeure, le président de la République n'a pu déposer la loi de finances en temps utile, la session est immédiatement et de plein droit prolongée jusqu'à l'adoption de la loi de finances”, indique la disposition.

Il faut noter que cette disposition, selon un spécialiste du droit parlementaire, a été adoptée quand il y avait deux sessions dans l’année, dont la première démarrait en octobre et prenait fin au mois de décembre. La seconde entre avril et juin. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale se réunit en une session ordinaire unique. “Puisqu'on est en session ordinaire unique, la Loi de Finances doit être déposée à l'ouverture de la session. Dans le cas où la loi n’a pu être adoptée avant le 31 décembre, le gouvernement reconduit par décret les crédits de l'exercice précédent”. Autrement dit, si d’ici le 31 décembre, la loi de finances n’est pas votée, Diomaye sera contraint de reprendre le budget de Macky Sall et d’être placé « sous tutelle » de la Cour des comptes.

À ceux qui agitent la possibilité d’un recours aux pouvoirs exceptionnels de l’article 52 de la Constitution, le passé récent nous a appris que nous sommes très loin de l’hypothèse où le chef de l’État peut recourir à un tel extrême. “Même pour le recours à l’article 68, c’est problématique, a fortiori un recours à l’article 52. Vous savez, avec la dissolution, on ne peut parler de force majeure, ce qui suppose un fait imprévisible, irrésistible et qui ne dépend pas de notre volonté. Avec la dissolution, on sait à l’avance qu’on sera confronté à des difficultés. On ne peut donc se cacher derrière le cas de force majeure”.

Une situation que confirme Birahime Seck du Forum civil qui note que « constitutionnellement, le président de la République peut dissoudre l'Assemblée nationale, mais le droit budgétaire sera dans une situation de grippe juridique complexe ».

Thierno Alassane Sall, député, lui se demande « comment organiser en 60 jours ou 90 jours maximum le parrainage, son contrôle, la période de contentieux et la campagne électorale, avec, de surcroît, un effet de surprise si ce n’est dans le chaos et la confiscation de la démocratie ? Quelle crise justifie une si dangereuse précipitation ? ». Il s’inquiète ainsi pour des élections législatives qui devront suivre une éventuelle dissolution.