CONTRIBUTION - La courte vidéo a fini de faire le tour de la toile suscitant l’indignation des journalistes, mais certainement au-delà, une bonne partie de l’opinion. Dans une scène houleuse, la journaliste Astou Dione, animatrice d’une émission politique à la 2stv demande à son invité Cheikh Bara Doly d’arrêter les accusations ou alors de quitter le plateau. Sur la vidéo, on ne voit pas les accusations, on voit juste les échanges tendus. J’ai voulu alors savoir ce qui s’est passé réellement. Avec l’intégralité de la vidéo, j’ai donc regardé la partie qui précède la dispute.

Astou Dione demande à Cheikh Bara Doly d’évaluer la 14ème législature dissoute il y a quelques jours par le président Bassirou Diomaye Faye. Le député lui fait comprendre que son groupe parlementaire Wallu (PDS) n’a jamais eu un mauvais comportement et que ce sont les coalitions Benno et Yewwi qui ont donné une mauvaise image à cette législature. Il demande alors à la journaliste d’avoir le “courage” de faire ce constat. Un mot qui n’a pas plu à l’animatrice qui le manifeste par son regard. L’invité va plus loin en insinuant qu’elle est partisane. De quel bord, demande Astou Dionne. “De Pastef, par exemple”, renchérit Bara Dolly.

Voilà donc cette accusation d’être partisan du Pastef qui est à l’origine du comportement de la journaliste qui s’est tout de suite emportée faisant comprendre à son invité que les accusations sont intolérables sur son plateau. “Je vais vous recadrer”, dit-elle. “Vous ne pouvez pas me recadrer”, rétorque l’invité. La journaliste insiste : “je vais vous recadrer et c’est forcé. Pas d’accusation sur ce plateau, vous répondez à ma question ou alors on coupe le direct et la porte est grandement ouverte”. Elle répète plusieurs fois cette phrase (sinon vous prenez la porte) et l’invité finit par partir. Ce que l’animatrice n’a apparemment pas compris, c’est que lorsqu’un invité, surtout unique, quitte le plateau mettant fin à l’émission, c’est d’abord et avant tout l’échec de celui ou celle qui gère le plateau. On ne demande pas à son invité de quitter le plateau. Au contraire, on doit tout faire pour le garder, en restant dans les limites admises sur le plan professionnel.

Il est vrai que des invités quittent régulièrement les plateaux de télé partout dans le monde, mais ce n’est pas une excuse. Comme son nom l’indique, il est un invité, votre invité. Autrement dit, il est celui qui a bien voulu accepter votre invitation. Il n’était pas demandeur (du moins dans la plupart des cas). Le journaliste n’a pas payé le ticket de taxi à son invité qui a pourtant fait le déplacement de chez lui jusqu’au siège de la télévision. L’invité sur le plateau doit donc être traité comme votre invité à la maison, même si les cadres sont différents.

Les risques d'un auto-entretien

Animer une émission suppose en même temps de la personnalité, du sang froid, de la générosité… L’animateur doit être à la fois rassurant, courtois, équilibré, structuré, persécutant mais aussi agressif (dans le bon sens du terme) quand c’est nécessaire. Il ne doit être ni impulsif, ni arrogant, encore moins détaché. Quant à l’incompétence, comme disait un doyen, c’est une faute professionnelle impardonnable en journalisme.

Il est vrai que dans bien des cas, le journaliste-animateur est obligé de recadrer un invité assez difficile. Mais il n’a pas besoin de lui dire : “je vais te recadrer”. Ça ressemble à un manque de politesse. Il le fait directement. Un animateur doit se préparer à faire face à toutes les situations techniques et humaines, à tous types d’invités.

Dans une émission, il y a deux catégories d’invités à risque, car difficile à maîtriser. Le premier est celui qui impose par sa stature. Il a une autorité morale qu’elle soit intellectuelle, politique, religieuse ou autre. Ils vous donnent rarement l’opportunité de relancer. Et le risque est grand que la partie tourne à l’auto-interview. Il est évident qu’aujourd’hui, il n’est pas donné à tout animateur ou journaliste de conduire un entretien avec Souleymane Bachir Diagne (intellectuel), Ousmane Sonko (politique) ou un Serigne Modou Kara ou Serigne Moustapha Sy.

Si Souleymane Bachir Diagne fait preuve de simplicité, les autres peuvent être tentés de dominer voire d’écraser leur vis-à-vis. Dans le cas des religieux (dans le contexte sénégalais), le risque est grand d’éviter les questions qui fâchent et de passer totalement à côté. Ça donne ce genre d’émissions où un talibé interview son guide spirituel. Face à ce profil, l’animateur doit avoir une personnalité, mais le juste nécessaire. Autrement dit, ni faiblesse coupable, ni excès inutile.

L’autre invité, encore plus difficile, est celui qui n’a presque rien dans la tête et qui essaie de combler ce vide par des attaques contre l’animateur. Faute d’arguments, il essaie de déstabiliser le journaliste pour mener l’entretien à sa guise. Une fois que l’animateur perd le fil, il déroule le rouleau compresseur sur lui. Face à ces gens-là, il faut savoir garder ses nerfs et ne pas répondre à la provocation. Il faut montrer que l’on a la carapace assez dure pour faire face à toutes les attaques.

L'exemple de Pape Ngagne Ndiaye

Attention également aux monstres médiatiques comme Abdou Latif Coulibaly et Cheikh Yérim Seck. On se souvient encore de l’émission entre Latif et Babacar Fall sur Rfm ainsi que le développement qui s’en est suivi. D’où l’importance du choix de la personne devant conduire le plateau. Pour le cas de Astou Dione, l’adage dit qu’une faute reconnue, est à moitié pardonnée. La journaliste à la 2stv a eu la grandeur de reconnaître son erreur et de s’excuser. Il lui reste maintenant à prendre exemple sur Pape Ngagne Ndiaye. Ce dernier a longtemps fait preuve d’agressivité inutile à l’encontre de ses invités. Prenant conscience de ses lacunes, il est allé fourbir ses armes à l'extérieur. Depuis lors, il est devenu nettement meilleur. Ce qui nous ramène encore à la formation des journalistes et animateurs, plus que jamais chahutée, mais plus que jamais nécessaire.

MBAYE SADIKH