NETTALI.COM - De nationalité franco-tunisienne, le nouveau Représentant-résident du Fonds mondial international (Fmi) au Sénégal et auprès de la Bceao, Majdi Debbich, est un macroéconomiste doté de près de 15 années d'expérience. Il occupait, jusqu’à sa nomination, le poste d'économiste principal au Département de la stratégie, des politiques et de l'évaluation au siège du Fmi, à Washington, où il a joué un rôle clé dans l'élaboration de la réponse du Fonds à la pandémie de Covid-19 et à la crise alimentaire mondiale. Il est également titulaire d'un Doctorat en Économie de l'École d'économie de Paris. Dans cet entretien accordé au « Soleil », il revient sur la situation macroéconomique marquée notamment par un creusement du déficit budgétaire dans un contexte de ralentissement économique.
Vous venez de prendre fonction comme Représentant-résident du Fmi au Sénégal. Quelle est votre feuille de route et comment s'est passée votre prise de contact avec les nouvelles autorités ?
Je suis honoré de prendre mes fonctions en tant que Représentant-résident du Fmi au Sénégal, un pays qui m’est cher et un peuple pour lequel j’ai une profonde estime. Mon arrivée coïncide avec une période charnière, marquée par une transition témoignant de la vitalité démocratique du Sénégal. Les défis économiques restent, bien sûr, nombreux, d’autant plus que l’activité économique a récemment ralenti et que la situation budgétaire s’est fragilisée. À l’été 2023, le Sénégal a conclu un accord avec le Fmi pour un montant global d’environ 1 100 milliards de FCfa sur trois ans afin d’accompagner la mise en œuvre du programme de réformes des autorités. L’un des axes majeurs de ce programme est le renforcement de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption. Des progrès significatifs ont été réalisés dans ce domaine, particulièrement avec le renforcement des pouvoirs et prérogatives de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac). Un autre axe majeur est, bien entendu, l’amélioration de la résilience budgétaire et la réduction des vulnérabilités de la dette. Nous travaillons également avec les autorités sur les réformes visant à favoriser la transformation structurelle de l’économie et la résilience face au changement climatique.
En tant que Représentant-résident du Fmi, mon rôle est d’assurer la continuité du soutien apporté aux autorités sénégalaises pour la mise en œuvre de leur ambitieux programme de réformes au bénéfice du peuple sénégalais. Mes premiers échanges avec les autorités, qu’il s’agisse du niveau politique ou technique, ont été très positifs. Et je me réjouis de poursuivre cette collaboration fructueuse.
À l'issue de sa dernière mission au Sénégal, du 5 au 12 septembre, le Fmi a révélé, entre autres constats, un creusement du déficit budgétaire à 7,5 % contre un objectif de 3,9 %. Comment en est-on arrivé à cette situation et à partir de quel moment s'est-elle réellement détériorée ?
L’objectif de 3,9 % était celui fixé en Loi de Finances initiale (Lfi) pour l’année 2024. La période électorale, le ralentissement de l’activité économique et certains retards dans la mise en œuvre de réformes visant à améliorer la situation budgétaire peuvent expliquer la détérioration qui s’est dessinée progressivement. Pour financer le creusement du déficit, des emprunts commerciaux à court terme ont été contractés compte tenu des faibles marges de liquidité. Ces emprunts sont souvent coûteux et exercent une pression accrue sur le service de la dette ; ce qui réduit la capacité du gouvernement à allouer des ressources aux dépenses sociales prioritaires ou aux investissements qui favorisent la croissance et la création d'emplois.
Le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a parlé de « dérapages graves » et le Premier ministre Ousmane Sonko « d'un pays en ruines ». Quelles sont les informations à votre disposition sur l'audit général des finances publiques en cours de finalisation ?
Le renforcement de la gouvernance et de la transparence, en particulier dans la gestion des finances publiques, constitue un pilier essentiel de la collaboration entre le Fmi et les autorités sénégalaises. À cet égard, nous saluons l'initiative de mener un audit général des finances publiques, qui devrait permettre de consolider les avancées réalisées dans ce domaine. Nous sommes informés que le rapport est actuellement en phase de certification à la Cour des comptes et nous suivrons attentivement ses conclusions dès qu'elles seront rendues publiques.
Le Fmi réclame des mesures supplémentaires pour ramener le déficit budgétaire à la cible communautaire. Pouvez-vous revenir sur ces mesures et leur mise en œuvre ?
Le creusement du déficit, cette année, ne nécessite pas nécessairement l'adoption de nouvelles mesures, mais plutôt la mise en œuvre effective des réformes déjà prévues dans la Lfi. Les efforts en matière d'administration fiscale visant à améliorer le recouvrement des recettes ont déjà montré des résultats encourageants, mais ils ne suffisent pas, à eux seuls, à rétablir durablement la situation budgétaire. Cela requiert des réformes structurelles plus profondes, comme la rationalisation des subventions, notamment à l’énergie, et la réduction des dépenses fiscales pour garantir la soutenabilité à long terme des finances publiques.
Comment redresser les finances publiques sans porter un coup d'arrêt à l'économie ?
Le redressement des finances publiques repose sur deux leviers principaux : l'amélioration des recettes et une maîtrise plus rigoureuse des dépenses. Concernant les dépenses fiscales, notamment les exonérations de Tva, celles-ci ont atteint 952 milliards de FCfa en 2021, selon le dernier rapport disponible. De nombreuses exonérations bénéficient à des secteurs qui poursuivraient leurs activités, même en l'absence de ces allégements fiscaux, un phénomène connu sous le nom d’effet d’aubaine. Revoir la fiscalité dans ces secteurs aurait un impact limité sur l’activité économique, car ils continueraient de fonctionner normalement.
Les subventions à l’énergie constituent également une charge budgétaire considérable, avec un coût estimé à près de 2000 milliards de FCfa au cours des trois dernières années. Ces subventions profitent davantage aux ménages les plus aisés. Leur réforme, en veillant à protéger les populations les plus vulnérables, permettrait d'améliorer la situation budgétaire sans freiner l’activité économique.
En parallèle, la maîtrise des dépenses courantes, surtout la gestion de la masse salariale, est un enjeu clé. Enfin, des efforts pour améliorer la qualité des dépenses et renforcer le recouvrement de l’impôt sont essentiels, à condition que ces mesures soient calibrées de manière à ne pas décourager l’activité économique. Ces réformes, tout en consolidant la situation budgétaire, doivent permettre de libérer des ressources pour financer des dépenses sociales prioritaires et des investissements productifs, générateurs de croissance et d’emplois.
Les discussions pour les deuxième et troisième revues combinées au titre des accords avec le Sénégal sont provisoirement programmées pour fin octobre 2024. Peut-on toujours s'attendre à un accord malgré la détérioration de certains indicateurs macroéconomiques ?
La conclusion de la prochaine revue reposera sur la mise en œuvre de mesures décisives visant à contenir le creusement du déficit et à rétablir une trajectoire plus soutenable pour les finances publiques dès l'année prochaine. Ces mesures incluent principalement la réforme des subventions à l’énergie pour un meilleur ciblage et la réallocation de certaines dépenses non prioritaires. La révision des dépenses fiscales figure également parmi les priorités afin de parvenir à un meilleur équilibre budgétaire, d’ici à 2025, et de remettre les finances publiques sur la voie d’un déficit de 3 % du Pib tout en amorçant une décroissance de la dette.
L'autre constat alarmant de la mission du Fmi concerne la viabilité de la dette. Le Sénégal est-il guetté par un risque de surendettement ? Que nous disent réellement les chiffres à votre disposition ?
Le Fmi, en collaboration avec la Banque mondiale, utilise un cadre d’Analyse de la viabilité de la dette (Avd) pour évaluer les risques de surendettement. Ce cadre classe les pays selon trois niveaux de risque : faible, modéré et élevé. Cette classification repose non seulement sur le niveau de la dette, mais aussi et surtout sur la capacité d’un pays à honorer ses engagements en tenant compte des taux d’intérêt et des échéances des emprunts. Actuellement, le Sénégal est classé dans la catégorie de risque de surendettement modéré. La poursuite de politiques économiques saines et l’accélération des réformes structurelles pour soutenir une croissance inclusive restent essentielles pour contenir les risques d’endettement.
Je rappelle que vous êtes également le représentant du Fmi auprès de la Bceao qui, depuis décembre 2023, maintient son principal taux directeur à 3,50 %. Quel est l'impact de cette décision sur le secteur financier de l’Uemoa ?
La Bceao évolue dans un contexte macroéconomique complexe, marqué par des dynamiques inflationnistes hétérogènes au sein de l'Union monétaire. Par exemple, le Sénégal a récemment connu une déflation, avec un taux d’inflation de -0,7 % à fin juillet 2024, tandis que le Niger a fait face à une inflation de près de 15 %. À l’échelle régionale, l’inflation reste légèrement supérieure à la fourchette cible de la Bceao et les réserves de change demeurent inférieures aux niveaux jugés adéquats. Dans ce contexte, maintenir le principal taux directeur à 3,50 % reflète un équilibre délicat. Une augmentation des taux directeurs pourrait être nécessaire si l'inflation devait se révéler persistante et pour renforcer les réserves de change tout en tenant compte des risques pour la stabilité financière. Il est également essentiel que les politiques budgétaires des États membres soutiennent l'effort de stabilisation monétaire en visant un retour à un déficit budgétaire de 3 % du Pib, principalement dans un contexte où le secteur financier est très exposé aux États.
Les prochaines Assemblées annuelles du Fmi sont prévues du 21 au 26 octobre à Washington. Quels sont les enjeux et les priorités qui seront à l'ordre du jour ?
Les prochaines Assemblées annuelles du Fmi et de la Banque mondiale aborderont des enjeux cruciaux pour l'économie mondiale, dans un contexte où la croissance post-Covid-19 s'avère plus faible que prévu avant la pandémie. Ce ralentissement s'explique, en partie, par les retards accumulés dans la mise en œuvre des réformes nécessaires pour stimuler la croissance, en particulier dans les pays à faible revenu et les économies émergentes qui en ont le plus besoin pour leur développement. Ces réunions seront l’occasion de discuter des priorités globales, notamment la nécessité de restaurer les marges budgétaires, de promouvoir des réformes favorisant la croissance durable et de mettre un accent particulier sur des domaines stratégiques, tels que la transition énergétique et la transformation numérique.
Le Soleil