NETTALI.COM - Alors que le Sénégal se prépare pour les élections législatives prévues le mois prochain, le climat politique semble s’assombrir. Les arrestations et les convocations se multiplient, visant des figures de l’opposition et certains chroniqueurs critiques du régime en place. L’incarcération récente de personnalités telles que Kader de Sen TV et Cheikh Yérim Seck, suivie des convocations de Bougane Guèye Dany et Diegui Diop, a soulevé une vague d’indignation.
Pour certains, il s’agit d’un resserrement de l’étau contre toute voix dissidente. Pour d’autres, ces mesures seraient justifiées par des dérapages médiatiques. À l’approche des Législatives, la justice sénégalaise se retrouve ainsi au coeur d’un débat brûlant. Cheikh Yérim Seck, célèbre chroniqueur et ancien journaliste de “Jeune Afrique”, a passé la nuit dans les locaux de la Division spéciale de cybersécurité, après une convocation mardi. Interrogé par les enquêteurs, il a été placé en garde à vue, sur ordre du procureur.
Selon plusieurs sources, cette arrestation serait liée à certaines de ses récentes déclarations lors d’une émission sur la 7TV. Bien que les raisons exactes de sa convocation ne soient pas officiellement confirmées, les spéculations vont bon train. Les révélations faites par Seck sur des affaires sensibles, notamment dans le domaine de la politique, auraient dérangé au plus haut sommet de l'État. Son placement en garde à vue, qui intervient alors que le Sénégal traverse une période de grande effervescence politique, est perçu par de nombreux observateurs comme une tentative de musèlement des voix dissidentes à l’approche des élections.
Bougane Guèye Dany : entre accusations et dénonciations
Le leader du mouvement Gueum Sa Bopp, Bougane Guèye Dany, est lui aussi dans le viseur de la justice. Une information confirmée par le journaliste Madiambal Diagne, indique que la police est activement à sa recherche. Dans une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux, Bougane a déclaré être prêt à répondre à la justice, tout en dénonçant ce qu'il considère être une manoeuvre orchestrée par le Premier ministre Ousmane Sonko. “Ousmane Sonko, quand tu veux éliminer un adversaire politique, il faut que tu t’armes de courage, il faut que tu te salisses les mains”, a-t-il lancé. Il accuse directement Sonko de se servir de la police et de la justice pour tenter de réduire ses adversaires au silence avant les Législatives.
Ces accusations graves témoignent d’un climat politique de plus en plus délétère, où la ligne entre la justice et la politique semble se brouiller.
Vague de réaction des opposants
Les récentes arrestations et convocations de figures médiatiques et politiques ont soulevé une question centrale : la justice sénégalaise est-elle instrumentalisée à des fins politiques ou ces personnalités ont-elles réellement franchi une ligne rouge ? Les critiques à l’encontre du régime se multiplient, dénonçant un usage abusif des institutions judiciaires pour écarter des adversaires politiques et des chroniqueurs critiques.
Thierno Alassane Sall, une figure de l’opposition, a exprimé son inquiétude face à ce qu’il qualifie de “dérive autoritaire”. Il dénonce un pouvoir qui, selon lui, n’accepte plus la critique : “Ceux qui ont littéralement inondé l’Assemblée nationale de discours injurieux, cherché systématiquement à dénigrer d’honnêtes citoyens, sont allergiques à la critique aujourd’hui.” Une déclaration qui fait écho à la perception croissante d’une restriction des libertés d’expression et d’opinion au Sénégal.
Alioune Tine, une figure respectée de la société civile, appelle au calme et au respect des principes démocratiques. Selon lui, il est essentiel que Bougane Guèye Dany et les autres acteurs politiques puissent préparer les élections législatives dans des conditions sereines : “Il faut laisser Bougane Guèye aller préparer les Législatives avec sa coalition, comme tous les autres dirigeants politiques.”
S’agissant de Kader Dia, il estime qu’on doit le laisser rejoindre sa rédaction. “Kader Dia, journaliste à la SenTV, ne peut pas être arrêté ou aller en prison pour une chronique. Ça se règle par un démenti. Kader Dia doit être libéré immédiatement pour rejoindre sa rédaction”, a-t-il tweeté. Son appel à la retenue reflète une préoccupation générale de voir la démocratie sénégalaise menacée par une politisation excessive de la justice.
Face à cette situation, la coalition Sàmm sa Kàddu prend à témoin l’opinion publique nationale et internationale sur les menaces croissantes que le régime actuel, dirigé par le président Ousmane Sonko et le Premier ministre Bassirou Diomaye Faye, fait peser sur les fondements de la démocratie et les libertés individuelles et collectives. Parlant de “provocation” et “d’insulte à la démocratie”, elle considère que la convocation d’un candidat est une tentative de déstabilisation et de divertissement. “OUI à la reddition des comptes, mais dans le RESPECT des droits des citoyens”, a posté sur X Moundiaye Cissé.
À quelques mois des élections législatives, où chaque camp affûte ses armes, les arrestations de figures de proue telles que Cheikh Yérim Seck et Bougane Guèye Dany suscitent des interrogations. Ces actions sont-elles des réponses légitimes à des abus verbaux ou bien s’inscrivent- elles dans une volonté délibérée de museler l’opposition ? Pour certains analystes, la frontière entre la critique légitime et le dérapage verbal devient de plus en plus floue. Les personnalités médiatiques et politiques visées par ces actions judiciaires sont souvent connues pour leur francparler, voire leurs prises de position controversées.
Le débat sur la liberté d'expression
L’un des débats centraux soulevés par cette vague d’arrestations et de convocations est celui de la liberté d’expression. Au Sénégal, pays souvent cité comme modèle démocratique en Afrique, les récentes actions de la justice à l’encontre de certaines figures de l’opposition et des médias ravivent le débat sur l’équilibre entre la liberté d’expression et la responsabilité dans le discours public.
Pour les partisans du pouvoir, il est essentiel de réprimer les propos diffamatoires et les fausses accusations, qui peuvent envenimer un climat politique déjà tendu. Mais pour les détracteurs, il s’agit d’une attaque directe contre la liberté d’opinion, valeur fondamentale de la démocratie sénégalaise.