NETTALI.COM - A la question de la journaliste de l’AFP qui l’interrogeait sur les mesures à prendre pour répondre aux attentes des populations, le Premier ministre, Ousmane Sonko, lui répondra que la question n’est pas à l’ordre du jour. Une question sur laquelle, il est évidemment attendu depuis belle lurette dans le cadre non seulement de son « projet » mais encore dans celui de la Déclaration de politique générale. Une réponse qui renforce finalement l’idée que l’option du point de presse était loin d’être fortuit puisque cela offrait l’occasion au PM de dérouler sa communication à sa guise.

Ce qui était à l’ordre du jour ce jour de point de presse-là, eh bien c’était cette opération de destruction massive contre la gouvernance Sall. Même la 22ème commémoration des morts du Diola qui a créé un traumatisme sans précédent chez les familles des victimes, - soit la grande catastrophe maritime avec près de 2000 morts, sans coupable, - ne parviendra pas à dissuader Ousmane Sonko qui avait décidé de faire sa fête à Macky et Cie.

C’est vrai qu’avec le PM qui est si souvent au four et au moulin, l’on n’est jamais au bout de ses surprises, puisque beaucoup s’attendaient à ce qu’il présentât son projet, même si dans les chaumières, il se susurrait déjà  qu’il allait peindre un tableau sombre de la gouvernance Sall.

Le projet ou plus exactement sa Stratégie Nationale de développement, Bougane Guèye Dany de Gueum sa Bopp, qui est dans une opposition frontale à Ousmane Sonko, a fini de le présenter comme un PSE en moins bon. Bref, le fameux « projet » attendra encore un peu avant d’être dévoilé, même si les Sénégalais sont impatients d’en découvrir les merveilles qui permettront de rendre le Sénégal plus prospère, un pays où il fera mieux vivre. Bref, cet exercice de présentation de ce document dont on nous a tant vanté les bienfaits, n’est pas au fond si simple et le Pm n’est, semble-t-il, pas trop pressé de nous faire découvrir les secrets cachés.

Pour l’instant, ce qu’on peut retenir en gros de ce projet, c’est cette fameuse rupture tant clamée et ce système qu’il faut casser. Peut-être que cette bombe sur une supposée hécatombe financière qu'Ousmane Sonko a lâchée, sera le début du commencement de la purge du système avec ces hommes du système toujours présents au cœur de la gouvernance Sonko-Diomaye !

Toujours est-il qu’Ousmane Sonko nous a décrit un système fait de supercherie et de faux chiffres qui ont permis de gonfler le taux de croissance et réduit le déficit budgétaire. Sans oublier des accusations d’argent qui aurait disparu par on ne sait quel miracle. « Même si nous avions quelques éléments de preuves que la situation du pays n’était pas au beau fixe, nous étions loin de nous imaginer que les choses étaient aussi catastrophiques. Pensant être au premier étage, nous avions promis aux Sénégalais de les amener au sommet. Mais après l’état des lieux, nous nous rendons compte que nous sommes au quatrième sous-sol. Il nous faudra faire un effort de rattrapage qui exigera de tous beaucoup de sacrifices”, a affirmé le PM face aux journalistes.

En des termes plus simples, il faudrait s’attendre à ce que la situation ne s’améliore pas si elle n’empire pas, avec, selon Ousmane Sonko et son gouvernement, plus d’impôts pour les Sénégalais, moins de subventions y compris pour l’énergie, pour ne citer que ces conséquences. C’est pourquoi, affirme Sonko, il est indispensable de dire la vérité aux populations. “On ne peut pas demander au peuple de faire autant de sacrifices sans exiger que les responsables de ce carnage viennent se justifier”, a-t-il insisté avant de citer nommément les anciens ministres chargés des Finances Moustapha Ba, Amadou Ba, Abdoulaye Daouda Diallo et même leur patron le président Macky Sall qui, selon lui, ne saurait ignorer cette réalité.

« Tout ce beau monde a menti au peuple, a menti aux partenaires en falsifiant les chiffres publics, en donnant des données erronées, pour donner une image à la situation économique et financière qui n’avait rien à voir avec la réalité, pour bénéficier de fonds et qui ont été le plus souvent détournés de leur objectif », a fulminé le Premier ministre qui promet que son gouvernement va faire toute la lumière.

Tout cela nous amène à un constat, à savoir que si les accusations gravissimes proférées par Ousmane venaient à être accréditées, cela voudrait dire que l’Assemblée nationale, le trésor public, les ministres des finances successifs, l’administration des finances, les partenaires financiers, la Banque centrale, sont tous en cause dans cette supposée affaire.

Toujours est-il que depuis le jeudi 26 septembre, nombreux en effet sont les observateurs et experts à se demander comment les institutions de Bretton Woods ont pu ignorer ces réalités.

Le Premier ministre est aussi revenu sur le surfinancement contracté par le Sénégal en 2023 pour le compte de l'année 2024, mais qui a été dépensé par le régime précédent. « Cela veut dire que les partenaires avaient accepté que le Sénégal puisse aller, en termes de levée de fonds, au-delà de ce qui est autorisé annuellement, en prévision du début des quatre premiers mois de l’exercice 2024. Six cents milliards qui auraient dû être dépensés à partir du 1er janvier, mais que le régime sortant a dépensés avant notre arrivée sur l’exercice 2023. C’est extrêmement grave ».

Un tableau sombre dressé par le Premier ministre et commenté par le ministre de l’économie qui a lui mis l’accent sur deux indicateurs essentiels : la dette publique et le déficit public, expliquant que « la dette publique et les déficits budgétaires ont été plus élevés que ce qui a été publié par les autorités sortantes et communiqué à nos partenaires durant la période 2019-2023 », tout en précisant que le déficit annoncé d’une moyenne de 5,5 % du PIB sur la période 2019-2023, s’élève en réalité à une moyenne de 10,4 %, soit près du double. De même sur la dette, il dira qu’en fin 2023, la dette de l’État central hors secteur parapublic était à 15 664 milliards, soit 83,7 % du PIB, alors qu’elle était annoncée à 13 772 milliards, soit 73,6 % du PIB. Il s’agit donc selon lui, d’un supplément de dette contracté et non publié de près de 1 892 milliards, soit 10 % du PIB de plus”. Bref, un tableau bien sombre dressé.

Des sujets et des termes qui d’ailleurs passent au-dessus de la tête des citoyens pour beaucoup analphabètes. De même qu’une bonne partie des Sénégalais instruits qui ne comprend rien à ces questions.

Le taux de croissance par exemple, parlons-en. Il a fait à une certaine époque l’objet de toutes les spéculations à un point tel que certains se demandaient s’il se mangeait ou pas, s’il était inclusif ou pas. Un vrai os à ronger pour les Sénégalais dans un débat qui n’intéressait au fond que les  politiciens qui cherchaient les uns à détruire et les autres à tirer la couverture sur eux. Et pour le Sénégalais, ce qui importait à la limite, c’est qu’il ressente tout simplement ce taux de croissance dans sa marmite et dans ses poches.

Une sortie, des interrogations

Une sortie du Premier ministre sur la situation économique et financière qui ne fait pas en tout cas l’unanimité dans les régies financières. Alors que certains saluent un exercice de vérité, d’autres relèvent que les choses ont toujours marché de la sorte ; Qu’en réalité, on ne peut parler a priori de détournement de deniers publics, mais de techniques pour avoir une maitrise sur les indicateurs, en vue de continuer à bénéficier de la confiance des marchés.

Aussi, ils sont nombreux à se demander comment l’actuel régime peut charger les anciens ministres en laissant en rade l’actuel ministre des Finances qui était chargé de la programmation budgétaire, mais aussi l’ancien directeur du Budget qui est toujours au coeur du système. Cela est d’autant plus incongru, renseigne-ton, que « ce sont les services même qui envoient les données au FMI et non le ministre. Malheureusement là, on est en train de fragiliser ces services », met-on en garde, tout en assurant que cela va avoir des conséquences graves sur la signature du Sénégal.

Rappelons tout de même que Mouhamadou El Aminou Lo, l’actuel Secrétaire général du gouvernement, était avant de rejoindre ce poste, l’ancien secrétaire générale de la Bceao pour quelques années et l’ancien directeur national de la Bceao plusieurs années durant. Cheikh Yérim Seck dira d’ailleurs de lui sur la 7 TV, qu’il est loin d’être sérieux pour avoir passé son temps à nous dire tout le bien qu’il pensait du PSE. De voir ce même Aminou Lo, assis à côté du Premier ministre et commentant même les propos de ce dernier, a fait à la fois rire et provoqué des réactions d’étonnement. Ou était-il pendant tout ce temps ?

Le journal d’investigation « Enquête » a abordé le sujet le lendemain vendredi, citant des sources qui sont revenues sur les différentes récriminations du Premier ministre. Sur la question du surfinancement, elles expliquent qu’il s’agit, en réalité, de 604,8 milliards. Il était convenu, avec le FMI, de dépasser l’autorisation de 604,8 milliards. « C’est connu depuis novembre 2023, parce que ça devait servir à payer le service de la dette de janvier, février et mars. Et comme ça devait payer le service de la dette, ce surfinancement sur cette période, ils ne devaient pas le trouver sur place. C’est-à-dire qu’au 2 avril, il ne devrait pas y avoir de surfinancement dans les caisses de l’État ».

Mais où sont donc allés les 604,8 milliards en question ? Selon les sources du journal, ce n’est pas exact de dire que les gens ne savent pas où est passé le montant. Une partie est allée aux subventions à l’énergie, comme ils l’ont dit eux-mêmes ; une autre a servi à payer la dette. « L’argent ne peut pas disparaitre comme ça. Le Trésor est en mesure de dire où sont passés les fonds et il l’a dit. La loi de règlement 2023 a été élaborée et transmise à l’Assemblée nationale et à la Cour des comptes, y compris l’utilisation des 604,8 milliards. Ce n’est pas quelque chose qui peut disparaitre », renseignent nos interlocuteurs. Dans le même sillage, il a été abordé la question de la dette bancaire non retracée dans la dette publique globale. Là également, nos sources, tout en reconnaissant que tout n’est pas orthodoxe dans les pratiques, soulignent qu’on ne peut pas parler systématiquement de détournement.

De retour au Sénégal, le ministre des Finances et du Budget, Cheikh Diba s’est prononcé sur la situation des finances publiques. « La production de ce rapport d’audit témoigne, si besoin en était, de notre ferme engagement envers une gestion rigoureuse, transparente et efficiente des finances publiques », déclare Cheikh Diba sur Rfm. Il a aussi souligné que dans la communication du gouvernement, le rapport met en évidence des insuffisances notoires et souligne les défis à relever pour optimiser l’usage efficient de nos deniers publics.

Interrogé par "Le Soleil" quant au fait savoir si le Sénégal est guetté par un risque de surendettement, suivant les chiffres dont il dispose, le nouveau représentant du Fmi Majdi Debbich a fait le commentaire selon lequel, le Sénégal est actuellement classé dans la catégorie de risque de surendettement modéré. Il a fait aussi savoir que le Fmi, en collaboration avec la Banque mondiale, utilise un cadre d’Analyse de la viabilité de la dette (Avd) pour évaluer les risques de surendettement ; et que ce cadre classe les pays selon trois niveaux de risque : faible, modéré et élevé. Une classification qui repose non seulement sur le niveau de la dette, mais aussi et surtout sur la capacité d’un pays à honorer ses engagements en tenant compte des taux d’intérêt et des échéances des emprunts.

Des accusations en tout cas d’une extrême gravité qui ne semblent pas du tout surprendre certains observateurs, tant l’homme est coutumier de ce genre de déclarations.

Mais une sortie dont on se demande tout de même si elle n’aurait pas à voir avec les récentes prévisions du Fonds monétaire International, suite à sa mission du 5 au 12 septembre 2024 et qui décrit une situation peu reluisante.Les conclusions de leur revue sont très peu rassurantes. En effet, l’institution de Bretton Woods a en effet informé que «l'activité économique a ralenti au cours du premier semestre 2024 et les perspectives demeurent difficiles pour le reste de l'année.»

De même, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) sur l’emploi est venu conforter tout cela sur la base d’un rapport alarmant, avec un second trimestre de l’année, c’est-à-dire du mois d’avril à fin juin, durant lequel le taux de chômage a grimpé à 21.6%, alors qu’il était à 18.6 % à la même période de l’année 2023. «Ce qui représente une augmentation de 3 points de pourcentage», signale l’Ansd dans son rapport.

Des situations que l’on ne peut déconnecter de l’arrêt des chantiers sur le littoral, de Dakar, en passant par Mbour pour aboutir à Saint-Louis qui a créé du chômage, avec un effet en cascade dans le domaine du transport, de la logistique, de la vente de ciment, de fer, de béton, etc sans oublier le commerce de nourriture sur les chantiers ainsi que ses impacts sur l’activité portuaire et les recettes douanières.

S’il n’est pas spécialiste des questions économiques et financières, ce qui pourrait motiver, selon des observateurs, la sortie du Premier ministre, c’est ce contexte d’élections législatives durant lequel, il faut davantage noircir le tableau de la gouvernance Sall. D’autres font même valoir que la nature des législatives n’étant pas la même, c’est l’incertitude qui plane quant aux résultats futurs, surtout que ces élections mobilisent moins, sans oublier que la présidentielle a été un référendum pendant lequel, il a été surtout question de sanctionner la gouvernance de Macky Sall.

Sur un autre plan, d’autres relèvent une volonté d’anticiper par rapport à une situation morose et très difficile déjà prédite avec pour objectif de faire endosser la responsabilité au régime précédent, tout en atténuant la responsabilité de celle actuelle.

Une image du Sénégal, mise à rude épreuve

Ce ne sont pas en tout cas les conséquences qui ont tardé, suite à la sortie du Premier ministre, ainsi que le prédisait déjà certains observateurs. C’est la cote du Sénégal qui s’est trouvée en baisse dès le lendemain, alors que certains journaux du lendemain ont titré sur les « premières conséquences négatives sur les marchés financiers» avec des titres tels que : « les obligations en dollars du Sénégal chutent » ou « le marché des eurobonds réagit négativement ». Et l’on ne peut pas ne pas se demander où tout cela nous mène-t-il ? Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Quel est le projet d’Ousmane ? Si tant est que ce qu’il disait est vrai, peut-on tout dire ou tout faire ? Une question qui appelle certainement des réponses différentes. Certains seront d’accord pour ne pas laisser prospérer la mauvaise gouvernance si c’est le cas ; d’autres seraient pour corriger en douceur si c’est le cas.

Boubacar Diallo dans la chronique "Xew Xewu Jamono" qu’il anime en tout cas avec Ibou Fall sur I-radio, le mardi 1er octobre, nous a en tout cas appris que le Sénégal est devenu la risée dans la sous-région, sur les plateaux télé. Si l’option de Sonko est de dénoncer pour construire par la suite, aussi louable que puisse être l’objectif, il reste que les conséquences sont désastreuses pour l’image du pays.

L’autre question qui mérite aussi d’être posée par-dessus tout, est de savoir la raison de cet empressement à communiquer sur de tels éléments, alors que le rapport soumis à la Cour des comptes, dans le cadre d’un exercice de contrôle des comptes de l’Etat institué par l’Uemoa, n’est pas encore certifié.

Mais que peut bien nous proposer Ousmane Sonko après son opération kamikaze, virer toute l’administration du ministère des finances, les ministres Cheikh Diba et Al Aminou Lo, le Directeur du budget Magatte Niang, celui du trésor, rompre avec les bailleurs, etc ? Autant de questions qui nous amènent à nous demander le projet derrière tout cela.

PS : Bref, une affaire bien embarrassante en tout cas au cœur de la république qui ne manque pas d’avoir quelques liens avec les législatives, et pour laquelle, l’on mettra évidemment du temps pour nous remettre. Mais pendant ce temps, c’est la politique politicienne qui reprend ses droits avec des règlements de compte façon O.K Corral entre Ousmane Sonko et Macky Sall tête de liste de l’inter-coalition… d’une part et Ousmane Sonko contre Barth d’autre part qui serait d’ailleurs inéligible. De même un autre affrontement a lieu entre Macky et Amadou Ba, dans un combat sans bruit. Bougane est aussi en embuscade contre Sonko. Bref, c’est une vraie recomposition politique en cours avec une possibilité de se peser, mais cette fois-ci avec une réalité différente de la présidentielle durant laquelle, il a été plutôt question de virer le régime de Macky Sall. Un référendum en somme.