CONTRIBUTION - Les législatives anticipées du 17 novembre 2024 ne sont pas simplement une bataille pour des sièges parlementaires ; elles représentent un véritable test de consolidation politique pour le duo Diomaye-Sonko après leur victoire éclatante de mars 2024. Au Sénégal, depuis plus de deux décennies, les élections législatives post-présidentielles apparaissent comme un prolongement inévitable du sacre présidentiel, où les nouveaux dirigeants surfent sur ce que l'on appelle “l'effet lune de miel”. Cette période de grâce – où l'enthousiasme populaire suscité par les attentes positives élevées étouffe les critiques – est souvent le moment idéal pour asseoir un pouvoir solide.

Mais ce moment béni ne dure jamais longtemps : il s’agit d’agir vite, avant que les promesses électorales ne soient mises à l’épreuve et que l’illusion ne se dissipe. Cet “effet lune de miel”, dont Abdoulaye Wade en 2000 et Macky Sall en 2012 ont largement profité, leur a permis de verrouiller rapidement le pouvoir en raflant une majorité parlementaire, dégageant ainsi une voie royale pour leurs réformes.

Mais aujourd’hui, la vraie question est : Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko peuvent-ils répéter cet exploit, ou la lune de miel du PASTEF sera-t-elle de courte durée ? Alors que les premières fissures apparaissent et que les critiques s'intensifient sous le poids de la demande sociale, l'euphorie post-présidentielle de mars tiendra-t-elle jusqu’en novembre ? Résistera-t-elle à l’épreuve à l'épreuve de la réalité post-élections législatives ?

I - Quand Wade écrase Diouf en 2001 et Sall roule sur Wade en 2012

En 2000, Wade a remporté la présidentielle au second tour avec 58,49 % des suffrages, mettant fin à quarante ans de règne du Parti Socialiste (PS). Sa coalition, Sopi, a consolidé cette victoire en obtenant 49,6 % des voix aux législatives de 2001, ce qui lui a permis de contrôler 89 sièges sur 120 à l'Assemblée nationale (74,2 % des sièges). Le PS, affaibli depuis le congrès sans débat de 1996, n'a recueilli que 17,4 % des voix et 10 sièges, contre 93 en 1998. L’électorat sénégalais, las du statu quo, a vu en Wade l’incarnation du changement, lui a octroyant une majorité écrasante. De manière similaire, Macky Sall a su reproduire ce schéma en 2012. Après avoir battu Wade au second tour de la présidentielle avec 65,80 % des suffrages, il a consolidé son assise politique lors des législatives de la même année, sécurisant 53,06 des voix. Sa coalition, Benno Bokk Yakaar (BBY), a remporté 119 des 150 sièges à l’Assemblée nationale (soit 79,3 %), renforçant son pouvoir de manière décisive. Cependant, le contexte diffère largement avec le PDS, qui n’a pas su s’adapter au rejet de Wade après sa tentative de troisième mandat. Le parti a vu son influence s'effondrer, obtenant seulement 15,23 % des voix et 12 sièges. L'effet lune de miel a, une fois encore, joué en faveur de Macky Sall, lui permettant de disposer d'une confortable majorité législative. Le taux de participation de 36,67 % aux législatives de 2012, bien qu'inférieur à celui de 2001 (67,4 %), témoigne de la mobilisation du noyau dur de l'électorat de BBY, souvent déterminant dans un contexte où l’opposition est fragmentée et démobilisée. Les dynamiques électorales de 2001 et 2012 révèlent que les législatives, qu'elles soient anticipées ou post-présidentielles, prolongent souvent la victoire du président. Portés par l'effet lune de miel, une opposition affaiblie et un vent de changement, Wade et Sall ont tous deux obtenu une majorité législative. Ce schéma illustre un système politique fortement centré sur le président dont la popularité dicte l'issue des législatives. Mais cette fois, Diomaye et Sonko pourront-ils réécrire l’histoire ?

II - Mars a fait les yeux doux à Diomaye qui savoure sa lune de miel politique

À première vue, on pourrait croire que Diomaye et le PASTEF sont en marche pour répéter le scénario classique de leurs prédécesseurs : une victoire éclatante aux législatives. Comment ne pas y croire, après les 54,28 % des voix récoltées dès le premier tour de la présidentielle, balayant le régime de Macky Sall et sa coalition BBY comme un vieux souvenir du passé et réduisant les autres candidats à des figurants politiques ?

Amadou Ba, candidat de l’ancienne majorité présidentielle, a terminé deuxième avec 35,79 % des voix, un score honorable mais insuffisant face à la dynamique de changement incarnée par le tandem Diomaye-Sonko. Les autres figures politiques sont restées marginales : Aliou Mamadou Dia (PUR) a recueilli 2,80 %, tandis que Khalifa Sall (MTS) et Idrissa Seck (Rewmi) ont enregistré des scores décevants, respectivement 1,56 % et 0,90 %. Des candidats comme Thierno Alassane Sall (RV) avec 0,58 % et Boubacar Camara (PCS-Jengu Tabax) avec 0,52 % se sont battus pour des miettes, à peine capables d’atteindre le demi-point symbolique.

Mais le plus frappant, c’est l'effondrement monumental des partis historiques, totalement incapables de résister à la montée en puissance du PASTEF. Ces formations, jadis dominantes, sont désormais éclipsées par une polarisation féroce entre l'APR et le PASTEF, laissant derrière elles des vestiges politiques à la dérive.

Le PASTEF, qui était arrivé troisième à la présidentielle de 2019, n’a cessé de gravir les échelons depuis les élections locales de 2021. À travers la coalition Yewwi Askan Wi (YAW) – dont il était le pilier – le PASTEF a grandement contribué à la conquête des bastions stratégiques comme Dakar, Thiès et Ziguinchor. Aux législatives de 2022, cette coalition a renforcé sa position, frôlant même l’exploit d'imposer une cohabitation à Macky Sall, en capitalisant sur ses erreurs stratégiques : l'ambiguïté autour de son troisième mandat, la répression des manifestations, et l’exclusion de figures clés comme Sonko qui jouissait d’une grande audience auprès de la jeunesse.

C'est cette jeunesse frustrée et avide de changement qui s'est trouvé un nouveau champion en Bassirou Diomaye Faye, après la mise hors course de Sonko. Diomaye incarne la promesse d'un avenir enfin libéré des vieilles pratiques de corruption. Sa victoire dépasse largement un simple succès électoral : elle symbolise un tournant décisif dans l'histoire politique du Sénégal, marquant l'émergence d'une nouvelle génération réformatrice. La dynamique est si forte que le PASTEF semble, à ce stade, invincible. Mais toute la question est là : combien de temps durera cette lune de miel politique avant que les réalités du pouvoir ne se fassent sentir ?

III - Le PASTEF danse seul : la lune de miel survivra-t-elle à novembre ?

Le PASTEF, désormais aux commandes de l'appareil d'État, a fait un choix aussi audacieux qu'inattendu de se désolidariser de la coalition ayant conduit Diomaye à la présidence. Cette rupture marque un tournant décisif dans l'histoire politique récente du Sénégal, rompant avec la tradition des régimes précédents qui ont systématiquement maintenu leurs coalitions jusqu'aux législatives. Par cette démarche, le PASTEF vise à affirmer son autonomie politique et à renforcer sa légitimité idéologique, en s’adressant directement à un électorat aspirant à un changement radical.

Loin de se contenter d'une simple gestion de l'héritage présidentiel, ce parti semble vouloir redéfinir les contours de son action, en s'appuyant sur une dynamique populaire portée par des promesses de rupture avec l'ordre ancien. Bien que cette posture reflète une grande confiance, elle n'est pas sans risques.

En s'isolant, le PASTEF s'expose à une fragmentation des voix nécessaire à l’obtention d’une majorité parlementaire cruciale pour les réformes promises. Par ailleurs, le paysage politique sénégalais se recompose rapidement avec l’émergence de forces d’opposition structurées. Macky Sall, malgré son retrait, fait un retour spectaculaire à la tête de la coalition Takku Wallu Sénégal, une alliance inédite entre l’APR et le PDS d’Abdoulaye Wade. Ce front, nourri par la nostalgie d’un passé glorieux et des réseaux libéraux, vise à contrer l’ascension de Sonko.

Ce retour pourrait transformer les législatives en un “second tour” de la présidentielle, où l'enjeu serait de contenir le PASTEF et protéger l’héritage de Sall. La réorganisation de l’opposition complique encore la tâche du PASTEF, d’autant plus qu’Amadou Ba entre aussi dans la course avec de nouvelles alliances.

À la tête de la coalition Jamm ak Jariin, bien que marginalisé après sa défaite, Amadou Ba tente de rallier les forces progressistes déclinantes comme le PS et l'AFP. Cette recomposition électorale pourrait disperser les voix et accentuer les difficultés du PASTEF à consolider son emprise sur le paysage politique. Le PASTEF est confronté à un dilemme quasi existentiel : parviendra- t-il à transformer sa victoire présidentielle en hégémonie parlementaire ou s'effondrera-t-il comme ses prédécesseurs sous le poids des désillusions post-électorales ?

L'histoire électorale sénégalaise est pleine d'avertissements. Wade, victorieux avec 58,49 % en 2000, a vu sa coalition Sopi chuter à 49,6 % lors des élections législatives. Macky Sall, triomphant avec 65,80 % en 2012, a subi une régression à 53,06 % pour BBY. Diomaye Faye, malgré ses 54,28 % à la présidentielle, pourra-t-il défier cette malédiction électorale ?

Conclusion

Le principal défi du PASTEF réside dans sa capacité à mobiliser son électorat face à une opposition fragmentée, afin de s’assurer une majorité parlementaire indispensable pour éviter la paralysie politique. Une cohabitation avec une Assemblée hostile compromettrait la mise en oeuvre des réformes ambitieuses du gouvernement Sonko.

Si le PASTEF échoue à maintenir l'élan de mars jusqu’au lendemain du 17 novembre, cela pourrait constituer un réveil brutal, marquant la fin de la lune de miel et l'entrée dans une période d'incertitude politique. Une telle issue mettrait en lumière la fragilité des victoires présidentielles face à la complexité des législatives. Cependant, si le parti parvient à déjouer ces pronostics et à consolider, voire améliorer sa position, il réaliserait un véritable coup de maître. Une victoire renforcée redéfinirait les contours du pouvoir, ancrant le PASTEF comme force dominante, capable de gouverner sans partage et de marquer une rupture historique avec le passé électoral sénégalais.

DR MAMADOU BODIAN Chef du Laboratoire des Études Sociales Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN-UCAD) Université Cheikh Anta Diop de Dakar Mamadou2.bodian@ucad.edu.sn