NETTALI.COM - Y’avait-il vraiment matière à se précipiter pour communiquer sur des chiffres que l’on considère comme faux, alors que la Cour des comptes, seule institution habilitée, ne les a pas encore certifiés ? C’est en tout cas à un vrai procès du régime passé que le Premier ministre Ousmane Sonko s’est livré, lors de sa récente sortie.
Un fait qui commence à être bien habituel mais qui ne devrait plus étonner puisqu’Ousmane Sonko a cette fâcheuse tendance à s’attaquer à ses adversaires et à ses détracteurs. Dans cette affaire de « faux chiffres », il est, comme il l’avait fait récemment, allé plus vite que la musique et a annoncé ce qui pouvait attendre.
Pour rappel, lors d’une de ses sorties, le mercredi 4 septembre, il avait par exemple pas prédit qu’il n’y aurait pas « de motion de censure d’ici le 12 septembre », « et que le 12 septembre, s’il plait à Dieu, les gens auront autre chose à faire que d’être députés à l’Assemblée nationale». Il avait aussi, figurez-vous, annoncé que le chef de l'Etat, Bassirou Diomaye Faye allait prendre des décrets pour bloquer le fonctionnement des deux institutions dirigées par Abdoulaye Daouda Diallo et Aminata Mbengue Ndiaye.
Des situations qui avaient été prédites et qui se sont finalement réalisées.
Une posture d’opposant et de gouvernant pas si différente que ça
Des sorties de ce genre, à la façon sniper, ce n’est pas ce qui manque en effet avec notre cher PM. Mais ne devrait-il pas se rendre à l’évidence que ce qui lui avait réussi en tant qu’opposant, pourrait moins lui sourire en tant que chef du gouvernement ?
Les deux statuts requièrent en effet des postures différentes. Il était en effet beaucoup plus approprié pour Ousmane Sonko, opposant jouissant d’une énorme popularité, de défier et de critiquer à sa guise, Macky Sall et son régime, surtout dans un contexte politique très tendu, marqué par de la répression et de nombreuses arrestations. Il n’y mettait pas beaucoup de forme, mais tant qu’il était opposant, cette posture pouvait être comprise et relativisée, la vie d’opposant sous nos cieux étant loin d’être simple.
A contrario, dans une posture de gouvernant, il ne s’agit plus de démolir, de critiquer, d’utiliser n’importe quelle sorte de propos, voire de répéter ce que tous les Sénégalais savent déjà, mais il s’agit au contraire de construire et surtout d’appliquer un programme révolutionnaire, chanté sur tous les toits et qui a fait beaucoup d’émules, surtout chez les jeunes, aux attentes très fortes et en quête de changement.
Eh bien, la vérité c’est qu’une fois au pouvoir, la perspective s’inverse et le paradigme change. Il faut donc expliquer son projet aux populations et faire preuve de pédagogie dans son action. C’est ce qu’on appelle en somme, poser des actes significatifs, avec rigueur, méthode, sérénité, transparence, ne parler que pour dire des choses intéressantes et utiles, et surtout bien choisir ses messages et ses mots. Ce qui veut dire, maîtriser sa communication et contrôler les actes qu’on pose.
C’est justement ce cap qu’Ousmane Sonko n’a pas pour le moment réussi à franchir. Il s’est si souvent appliqué à critiquer le régime de Macky Sall, sous toutes ses formes et sous toutes ses tares et à démontrer à quel point, il a pillé nos ressources. Mais une fois arrivé au pouvoir, six mois après, avec son programme pas encore dévoilé, sans oublier l’absence d’embellie économique, le PM a préféré continuer sur cette lancée en cherchant à davantage noircir le tableau de la gouvernance, chaque jour, tout en menaçant de ses foudres, ceux qui auraient pillé les ressources publiques. Il qualifiera même son leg, d’état en ruines, allant jusqu’à prôner la renégociation des contrats signés par l’ancien régime sur le dos des Sénégalais.
Ce qui est surtout hilarant à constater, c’est ce déballage permanent et systématique sur des affaires qui n’ont pas cette nécessité à être rendues publiques, puisqu’il ne s’agit au fond que de réparer ce qui est considéré comme préjudice, étant entendu que dans cette information livrée au public (comme sur les « faux chiffres » par exemple), on n’a généralement qu’un seul son de cloche. L’on ne devrait pourtant pas pouvoir tout dire, n’importe où et sous n’importe quelle forme. Mais il semblerait que cela soit un style chez Ousmane Sonko et un mode de gouvernance dont le modus operandi est de vilipender à fond le régime passé. Aussi, ses partisans ne manquent pas de le suivre sur ce terrain. Derniers déballages en date, ce sont les sorties d’El Malick Ndiaye sur le nombre de CDI et de CDD à Dakar Dem Dikk et de Birame Soulèye Diop sur le personnel pléthorique au niveau de son ministère.
Les « faux chiffres » et des arrestations
Mais dans ce style de gouvernance auquel le PM nous a habitués depuis ses débuts, la sortie de trop a été celle sur les « faux chiffres » et les arrestations de l’opposant Bougane Guèye Dany, du journaliste Cheikh Yérim Seck et du chroniqueur de la Sen TV Kader Dia, qui ont suivi. Il était en effet reproché à Bougane Guèye, candidat aux prochaines élections législatives, des propos injurieux et diffamatoires et la diffusion de fausses nouvelles ; au journaliste Cheikh Yérim Seck, déféré au parquet, d’avoir diffamé et diffusé des fausses nouvelles. Il lui était dans cette logique, reproché d’avoir réfuté les chiffres du gouvernement sur les comptes publics. Ce qui veut dire qu’à l’origine de l’arrestation des deux premiers, c’est l’affaire des « faux chiffres » qui a été la cause.
Et même libérés par le procureur de la république, avec un dossier classé sans suite, l’on peut bien s’interroger sur le bilan de cette opération menée par Ousmane Sonko. Ces arrestations ont semble-t-il bien entaché l’image de la gouvernance actuelle qui n’est pourtant qu’à ses débuts, alors que d’aucuns (même si ce n’est pas encore de la même trempe) se mettent déjà à comparer cette dernière à celle de Macky Sall qui aura duré 12 ans.
Et ce n’est guère un hasard si les acteurs de la société civile et les associations de défense des droits de l’homme ont cru devoir sonner l’alerte et dénoncer en chœur, une restriction de libertés, ainsi qu’une atteinte à la liberté d’expression et d’opinion. Longtemps silencieux, le mouvement Y’en a Marre, est sorti de sa réserve pour s'exprimer sur la situation actuelle du pays. Son coordonnateur Aliou Sané, inquiet, ne croyait pas devoir être « là aujourd’hui pour parler parce qu’un opposant a été interpellé par la police à quelques jours des élections pour un délit d’opinion » ; il n’aurait pas cru, « au bout de 6 mois qu’un journaliste serait arrêté parce qu’il a critiqué des chiffres donnés par le gouvernement ».
Des arrestations qui ont finalement causé plus de torts au gouvernement d’Ousmane Sonko et plombé sa sortie sur les « faux chiffres » qui a fini dans une interminable polémique qui n’a fait que rajouter à la confusion. Au même moment où a lieu cette polémique, le FMI a demandé d’attendre les conclusions de la Cour des comptes, même s’il s’est au passage « félicité de l'audit général des finances publiques au Sénégal et de l'engagement du gouvernement en faveur d'une gouvernance solide et de la transparence budgétaire », ajoutant que « les autorités ont communiqué les résultats préliminaires des audits à notre équipe qui collaborera étroitement avec elles dans les semaines à venir pour évaluer l'impact macroéconomique et définir les prochaines étapes ».
Les termes d’un communiqué que d’aucuns ont tenté de manipuler en faisant croire que le FMI confirme le gouvernement. Ce qui n’est pas tout à fait exact. L’on connaît bien la propension de l’institution à user du langage diplomatique. Une posture contraire aurait dès lors été mal venue. Comment le FMI peut-il ne pas encourager celui qui décide de s’orienter vers une gouvernance solide et de transparence budgétaire ?
Répondant aux accusations du Premier ministre sur les « faux chiffres », l’Apr a estimé que “la Cour des comptes est l’unique juridiction compétente pour évaluer la régularité des comptes”. Aussi, a-t-elle regretté que le Premier ministre ait voulu se substituer à la Cour des comptes dans cet exercice d'appréciation des finances publiques de manière si précipitée. Pire, l'APR conteste ainsi des propos faits de «grossières affirmations » qui, selon elle, renvoient juste à «l’incompétence de leurs auteurs et leur ignorance des règles qui gouvernent les finances publiques».
En outre, le parti de l’ancien régime, toujours dans cette optique de contredire les propos du PM, a estimé que « la Cour des comptes ne se prononcera sur le rapport provisoire susvisé qu’après l’avoir soumis aux acteurs concernés, notamment les anciens ministres des Finances pour la période considérée, afin de recueillir leurs observations, dans le respect du principe du contradictoire, avant de rendre ses conclusions ». Elle n’a pas aussi manqué de s’insurger contre le discrédit porté à l'ensemble de l'Administration sénégalaise après cette sortie du 26 septembre.
La sortie d’Ousmane Sonko et l’équation de la conséquence sur l’image du pays
Que penser au finish du coût de cette sortie d’Ousmane Sonko ? Si d’aucuns sont dans le déni et la considèrent comme une opération de vérité en phase avec le Jub Jubal Jubanti, elle est vue par d’autres comme une opération kamikaze qui nuit fortement à l’image du Sénégal, dont la note a été dégradée de Ba3 à B1. L’on est en effet retourné à la situation de 2017. Que des Sénégalais en arrivent à penser que l’image du Sénégal sera restaurée avec ce qu’ils considèrent comme un exercice de vérité, ils se trompent car il y a des tâches qui restent. Cette affaire révélée par Ousmane Sonko, si tant est qu’elle existe, aurait même pu être gérée en toute diplomatie avec le FMI, sans nécessiter d’être exposée au monde entier. Mais à ce stade, il ne s’agissait en l’occurrence que d’un rapport de l’Inspection générale des Finances, donc un document d’un service interne au ministère des finances et dont le rapport n’a d’ailleurs pas été rendu public.
Invité du « Grand Jury » de la RFM, le dimanche 6 octobre, le banquier et ancien Premier ministre Abdoul Mbaye s’est posé la question de l’intérêt à faire autant de show autour d’une communication qui allait blesser de manière certaine le Sénégal. « Très sincèrement, a-t-il dit, je ne comprends pas, il aurait fallu être discret. Par contre, il aurait fallu être bavard sur les solutions qu’on allait apporter sur les engagements qui allaient être pris pour essayer de sortir de Sénégal de ce mauvais pas », a fait remarquer celui-ci qui estime en plus « qu’il y a une guerre contre l’ancien régime dont il ne maîtrise pas les conséquences possibles, au prix de la réputation du pays, au prix de la diplomatie du pays ».
L’ancien PM d’ajouter ceci : « le coup est parti et il y a une perte de confiance sur la comptabilité, sur l’administration sénégalaise, vous avez des politiques qui donnent des ordres, mais on finit par se dire que vous n’avez pas un système comptable fiable. C’est une architecture de statistiques qui est quand même validée, qui a un caractère international, qui est validé par la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International, et puis l’information est partagée au niveau mondial, vous ne pouvez emprunter au niveau sans que ça ne rentre dans des carnets. J’attends les chiffres qui vont corriger le montant de la dette publique, parce qu’être faussaire à ce niveau, c’est quand même quelque chose de difficile»
Abdoul Mbaye ne comprend d’ailleurs pas que le gouvernement « se tire des balles dans les pieds », faisant remarquer au passage que, « la conséquence quand vous êtes surendetté, vous devez penser à une réévaluation de vos dettes, à une restructuration de votre dette, ça peut se faire dans la durée, mais là très sincèrement la chose est trop grave, vous êtes obligés de discuter avec vos créanciers ».
Mbaye ne manque pas d’ailleurs de s’étonner en ces termes : « je pense qu’il Il y a un premier problème, il y a eu certes les déclarations du Premier ministre Ousmane Sonko, mais il y a eu aussi publication du document de la Stratégie nationale de développement du Sénégal. Et malheureusement les chiffres qui sont contenus dans ce document, jurent avec les ceux qui ont été présentés par Ousmane Sonko. Quels sont les chiffres qu’il faut retenir ? A supposer que ceux livrés par Ousmane Sonko puissent être considérés comme figurant dans un pré-rapport, je pense personnellement qu’il aurait été plus prudent d’attendre la validation de certification de ces chiffres par la Cour des comptes. Enfin, il y a la manière lorsque vous transformer en show politique la communication de données qui s’adressent non seulement aux Sénégalais, mais au monde parce que tout le monde vous écoute et en particulier vos bailleurs et vos partenaires, vous prenez des précautions. Là manifestement, on a préféré donner la priorité à l’accusation d’un régime précédent par rapport aux conséquences. »
Une sortie en tout cas en tout désastreuse pour l’image du Sénégal. De même que les arrestations qui semblent se multiplier avec la garde à vue du chroniqueur de la Sen TV, Kader Dia, les emprisonnements de Bah Diakhaté, l’activiste républicain, d’Imam Ndao et du commissaire Keïta, pour avoir évoqué un différend entre le chef de l’Etat et son PM. Le régime actuel doit en effet penser à ne pas reproduire les mêmes scénarios que ceux avec celui passé. Le rappeur Thiat de Y’en a marre dira de Keïta, que son cas relève du flagrant délit et non d’un dossier qui requiert une instruction. De même, l’on peut citer le cas d’Ahmed Suzanne Camara, emprisonné pour avoir traité de menteurs le chef de l’Etat et son Premier ministre. La question que l’on peut se poser, c’est de savoir si l’ancien président de la république n’a pas été qualifié de la sorte récemment et même durant en tant qu’opposant.
Ce qui est en tout cas attendu du chef gouvernement, c’est qu’il mette son gouvernement au travail, cesse les déballages, ses menaces ainsi que ses interventions sur la reddition des comptes qui ne relève plus de lui, mais plutôt de la justice. Une administration correcte de la justice requiert à la fois sérénité et impartialité et doit éviter de donner l’impression de l’influencer et de violer la présomption d’innocence des personnes en cause. Surtout au moment où les associations de défense des droits de l’homme et de la société civile ont fini de dénoncer les restrictions de libertés.
Rappelons tout de même cette longue période de violation de la liberté d’aller et de venir d’Ousmane Sonko avec les barricades dressées autour de sa maison à la cité Keur Gorgui. Cela avait soulevé un tollé, alors que beaucoup s’interrogeaient sur la base légale d’une telle mesure de l’époque.
Si le Pastef veut réussir cette rupture tant clamée, elle se doit de ne pas regarder dans le rétroviseur et s’inscrire dans une logique d’appliquer un programme ambitieux à la hauteur de sa publicité. Vivement le 14 octobre, soit la date retenue pour enfin dévoiler la Stratégie Nationale de Développement qui va nous permettre d’opérer cette rupture promise, d’améliorer les système tant décrié et d’ouvrir une époque de débats fructueux qui nous feront oublier ces polémiques stériles, empreintes de beaucoup de subjectivités. Mais après, il faudra aussi se battre pour obtenir une majorité confortable pour gouverner, au moment où Macky Sall qui sent la menace de loin, a décidé de venir faire face à Ousmane Sonko. Le duel aura-t-il lieu ou pas en terre sénégalaise ? Personne ne sait.