NETTALI.COM - Le président de l'ONG Urgences panafricanistes, Kemi Seba, a été interpellé mardi à Paris par la DGSI, suspecté d'intelligence avec une puissance étrangère, avant d’être relâché jeudi sans poursuites. Ces dernières années, son discours souverainiste et anti-occidental a séduit plusieurs juntes militaires, sous influence russe, au Sahel.

Les renseignements français le surveillent de près. L'activiste panafricaniste Kemi Seba a été interpellé, mardi 15 octobre, et placé en garde à vue dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), suspecté d'intelligence avec une puissance étrangère. Un crime passible de 30 ans de prison et 450 000 euros d'amende. Il a finalement été relâché jeudi matin, sans poursuites. Lors d'une conférence de presse, son avocat Juan Branco avait expliqué que les enquêteurs l'interrogeaient "sur une large" période de faits, "à partir de 2017", "en représailles de son combat contre le néocolonialisme".

Kemi Seba, de son vrai nom Stellio Gilles Robert Capo Chichi, était de passage en France pour visiter son père "malade" quand il a été "projeté contre une vitre par une dizaine de personnes cagoulées", a précisé Me Juan Branco. Déchu de sa nationalité française en juillet dernier, l'activiste de 42 ans disposait d'un passeport diplomatique en sa qualité de "conseiller spécial" du chef de la junte militaire nigérienne, le général Abdourahamane Tiani, qui a pris le pouvoir en juillet 2023 et chassé les troupes françaises de Barkhane. "Kemi Seba était sur le territoire européen de façon légale, il ne faisait l'objet d'aucune interdiction de territoire", a indiqué son avocat.

Discours souverainiste et racialiste

En France, Kemi Seba a été plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale. Ancien leader de la Tribu Ka, groupuscule radical dissout par le gouvernement en 2006 pour antisémitisme, l'activiste a depuis continué à faire connaître ses positions néo-panafricanistes sur les réseaux sociaux, où il cumule plus d'un million et demi d'abonnés, et publié plusieurs ouvrages. "Il a un discours radical avec deux idées claires : il faut que les Africains prennent leur destin en main, et pour cela, il faut chasser les Occidentaux. C'est un discours populiste qui gomme toute complexité de la situation", commente Jonathan Guiffard, chercheur à l'Institut français de géopolitique et à l'Institut Montaigne.

Sa radicalité lui joue parfois des tours, comme au Sénégal, en 2017, lorsqu'il est expulsé après avoir brûlé un billet de 5 000 francs CFA. Ou au Burkina Faso, quand il est condamné en 2019 à deux mois de prison avec sursis pour outrage au président Roch Kaboré. C'est à cette période que son nom arrive aux oreilles d'Evguéni Prigojine, l'ancien chef de la société paramilitaire privée Wagner, tué dans un crash d'avion en août 2023. L'oligarque russe, à l'époque proche du Kremlin, veut se servir de l'activiste béninois pour ses opérations de déstabilisation au Sahel. "Kemi Seba vient du même cocon idéologique que Dieudonné, il a développé un discours d'émancipation des Africains très racialiste. Son message souverainiste explique son alignement avec les juntes sahéliennes et la Russie", analyse Jonathan Guiffard. Kemi Seba a notamment fréquenté l'idéologue ultranationaliste russe Alexandre Douguine, qui inspire une partie de l'extrême droite française.

"Entrepreneuriat d'influence"

En 2023, une enquête menée conjointement par Jeune Afrique, Arte et Die Welt a révélé que Wagner avait financé à hauteur de 440 000 dollars des opérations de l'ONG Urgences panafricanistes sur le continent africain entre 2018 et 2019. "C'est de l'entrepreneuriat d'influence. On cherche à se faire de l'argent et à s'utiliser réciproquement pour faire valoir un message, en l'occurrence du néo-panafricanisme radical pour Kemi Seba, et côté russe un agenda très souverainiste, anti-néocolonial. L'idée est de légitimer la présence russe parallèlement au discrédit de la présence française", analyse Maxime Audinet, chercheur spécialiste de la Russie à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem).

Selon Kemi Seba, la collaboration avec Evguéni Prigojine aurait pris fin quand ce dernier lui aurait demandé de mener des actions violentes. "Kemi Seba n'a jamais masqué ses actions et partenariats avec de très nombreuses forces géopolitiques qui font contrepoids à la puissance américaine, que ce soit le Venezuela, Cuba ou la Russie", l'a défendu mercredi son avocat Juan Branco.

Un rayonnement difficile à mesurer

Lors d'une conférence tenue à Bobigny (Seine-Saint-Denis) en mars 2023 et captée par une équipe de France 24, Kemi Seba a revendiqué avoir joué un rôle dans les bouleversements géopolitiques au Mali et au Burkina Faso et s'en était pris au président sénégalais d'alors, Macky Sall : "Si tu ne laisses pas [l'opposant politique] Ousmane Sonko tranquille, tu vas comprendre aussi", sous-entendant que le Sénégal pourrait connaître les mêmes putschs qui ont secoué la région.

Ces dernières années, le département d'État américain a identifié Kemi Seba comme "un important colporteur de désinformation et de propagande russes". En France aussi, le député Renaissance et ancien président de la commission défense de l'Assemblée nationale, Thomas Gassilloud, l'a accusé d'être un "relais de la propagande russe" et de servir "une puissance étrangère qui alimente le sentiment antifrançais".

Est-ce pour cette raison que l'activiste a été arrêté par la DGSI ? "Si son influence réelle est difficile à évaluer, c'est aussi une manière pour la France de montrer qu'elle prend au sérieux les activités de subversion russes à son égard", estime le chercheur Jonathan Guiffard. Une chose est sûre : Kemi Seba devrait profiter de cette interpellation pour mettre en avant son image de "martyr politique", et continuer à gagner en influence, au moins sur les réseaux sociaux.