NETTALI.COM -  Alors qu’on n’a pas fini de parler du scandale de l’ONAS –marché passé par entente directele ministère de l’Hydraulique se fait encore remarquer dans un marché attribué aux Chinois dans des conditions jugées peu transparentes. Cette fois, c’est sous le couvert du Fonds souverain des investissements du Sénégal (FONSIS).

C’est à croire que le ministère en charge de l’Hydraulique a un vrai problème avec le Code des marchés publics. Après le scandale ONAS (Office national de l’assainissement du Sénégal), c’est aujourd’hui au tour du projet Grand Transfert d’Eau (GTE), lancé en grande pompe, avant-hier, jeudi  à l’hôtel Terrou Bi de Dakar après son attribution à l’entreprise chinoise Sinohydro, filiale de Power China. Dans des conditions pour le moins opaques.

Et c’est le coordonnateur national du Forum civil qui est monté, en premier, au créneau pour alerter l’opinion. Sur son compte X, Birahime Seck interpelle le département ministériel. “Nous espérons que le ministère de l’Hydraulique nous dira s’il a utilisé ou non le gré à gré pour choisir Sinohydro dans le cadre du projet GTE. Ceci ressemble plus à une opération de camouflage de procédure, ce qui serait contre la transparence”, fulmine le coordonnateur du Forum civil.

Lors de la cérémonie de lancement du projet, le Ministre, réagissant aux questions des journalistes, a essayé d’apporter des éclairages. Selon lui, il faut juste comprendre que ce marché a été passé par le Fonds souverain d’investissement stratégique (Fonsis), une structure qui a, selon son argumentaire, ses propres procédures. “Un fonds souverain a la possibilité, par ses propres procédures et ses règles –et c’est comme ça que fonctionnent les fonds souverains de partout dans le monde- de lancer ce type de projets, d’y aller avec les partenaires de son choix après une sélection méticuleuse. Et ce sont ces partenaires qui doivent amener l’intégralité du financement…”, se défend le ministre.

Des experts parlent de méconnaissance des textes ou de la mauvaise foi

Pour les spécialistes des marchés publics, soit le ministre méconnait vraiment les règles régissant les marchés publics. Soit il est de très mauvaise foi. En effet, de tout temps, l’ARMP devenue ARCOP a considéré que des structures comme le FONSIS ne sauraient se soustraire à son contrôle. Plusieurs audits ont d’ailleurs épinglé le fonds qui refusait de se soumettre au contrôle. Mais depuis les dernières réformes, le doute n’est plus permis. “Dans la dernière réforme, le législateur a bien voulu régler définitivement ce problème. … Désormais, il est clairement spécifié que, les institutions financières, les institutions constitutionnelles, toutes sont des autorités contractantes et sont soumises au Code des marchés publics”, renseigne un des experts contactés par EnQuête qui a préféré garder l’anonymat.

En fait, avant, le Fonsis n’était pas seul dans son refus de se soumettre au Code des marchés publics. Dans ce lot, il y avait aussi des institutions comme l’Assemblée nationale, le Conseil économique social et environnemental, le Haut conseil des collectivités territoriales, mais aussi les institutions sociales comme l’Ipres et la Caisse des dépôts et consignations.

D’ailleurs, Ousmane Sonko lui-même s’est toujours insurgé contre cette soustraction de certaines de ces institutions au contrôle des autorités contractantes. C’est donc pour mettre un terme à ce désordre que le texte a été revu dernièrement. Depuis lors, même les institutions constitutionnelles ont essayé d’entrer dans les rangs. L’IPRES aussi avait commencé à faire des efforts. Quant au Fonsis, il continue de faire la résistance, en se cachant derrière son caractère de fonds souverain.

Pour le ministre, le fait de ne pas suivre le Code des marchés publics ne signifie nullement absence de transparence. “…Le Fonsis a dit qu’il a consulté un certain nombre d’entreprises parmi les plus grandes et les plus importantes. Avec des critères et un certain nombre de considérations techniques et financières. Et un choix a été fait sur des bases transparentes. Il n’y aucun problème à ce niveau. Nous demandons à tous les Sénégalais intéressés de se rapprocher de nos services et ils auront des réponses…”, s’est défendu Cheikh Tidiane Dièye.

Le Fonsis parle d’un contrat de partenariat technique

EnQuête a essayé d’en savoir un peu plus en s’approchant du maitre d’ouvrage. D’abord pour voir si un avis d’appel à concurrence a effectivement été lancé quelque part pour informer du lancement de ce processus. Ensuite pour voir quelles étaient les autres entreprises ayant participé à cette procédure. Sur ces questions, aucune réponse n’a été apportée par les services du Fonsis. L’on promet toutefois un communiqué plus détaillé dans les jours à venir pour répondre à ces interrogations. Nos interlocuteurs nous ont toutefois renvoyé à une sortie du DG sur la RFM.

Dans cet entretien, Babacar Gning invite à distinguer ententes directes et contrats de partenariat. “Dans une entente directe, dit-il, l’Etat qui dispose des moyens financiers, choisit directement un prestataire, lui confie un projet et le paie avec des deniers publics. Dans le cas d’espèce, nous ne sommes pas dans une entente directe. Nous sommes dans un contrat de partenariat technique entre le Fonsis et une société privée qui, ensemble, acceptent de prendre en charge sur le plan financier l’ensemble des études techniques et financières du projet, sans aucun débours de l’Etat. L’Etat se réserve le droit de donner suite ou pas une fois que les études seront livrées.

Monsieur Gning ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Selon lui, les textes portant création du Fonsis, lui permettent d’avoir ses propres procédures. Lors de la présentation du dernier rapport de l’ARMP en décembre 2022, cette question de la soumission du Fonsis au code des marchés publics a été au coeur des débats et le gendarme des marchés publics avait dénoncé cette méconnaissance des règles. Depuis, comme cela a été rappelé, les textes ont été changés pour clarifier les choses.

Malgré les précisions apportées à l’article 2 du Code des marchés qui cite nommément, le fonds continue de se rebeller et à défier l’autorité des marchés publics et les partenaires.

Des zones d’ombres

La question que beaucoup se posent dans le secteur de l’Hydraulique, c’est comment ce projet a été soustrait du pilotage du ministère de l’Hydraulique pour être confié au FONSIS ? Est-ce que cela n’a pas été fait uniquement dans le but de contourner les règles relatives aux marchés publics ? Aussi, contrairement à ce qui est véhiculé par les nouvelles autorités, ce projet n’est pas une création du programme de développement du nouveau régime. Cet ancien fonctionnaire au ministère atteste : “Le projet GTE était géré par le ministère de l’Eau et de l’Assainissement. Les études avaient commencé juste après le forum mondial de l’Eau. Il a été retenu de faire un grand transfert d’eau du Lac de Guiers pour alimenter en eau potable le triangle Dakar, Mbour, Thiès (DMT). Par la suite, il a été préconisé d’y ajouter Touba. Mais apparemment, il y a d’autres composantes que je ne maitrise pas trop. Mais le projet en soi est assez vieux. C’est une reprise du Canal du Cayor qui remonte en 1988.

Des études étaient déjà réalisées avec le cabinet CET Tunisie et des dossiers d’appel d’offres préparés

D’autres sources proches du ministère confirment que les études avaient certes été faites, mais elles ont besoin d’être actualisées. “On avait déjà réalisé avec CET Tunisie - un grand bureau d’étude international- les études d’avant-projet sommaire, détaillé, jusqu’aux dossiers techniques d’appel d’offres. Tout cela a été fait”, soutiennent nos sources. Qui précisent : “Les études datent quand même de quelques années. Il faut les réactualiser ; il faut aussi mener des études d’impact environnemental et social, des études pour confirmer le tracé, les impacts sur l’environnement, les populations…. Les études financières…

Il faut préciser que ce projet GTE est juste un volet parmi les différents volets du projet Autoroutes de l’eau. Alors que le projet GTE était géré sous le régime de Macky Sall par le ministère de tutelle, d’autres composantes ont été confiées à l’Office des lacs et des cours d’eau qui a notamment en charge la gestion du Lac de Guiers et du réseau hydrographique. Il faut aussi noter que des discussions très avancées ont été enregistrées dans le financement des études pour la plupart de ces projets.