NETTALI.COM - Contrairement à ce qui a été véhiculé par l’ancienne majorité de Benno Bokk Yaakaar, c’est en fait le Conseil constitutionnel qui a arrêté Macky Sall dans sa volonté de briguer un troisième mandat anticonstitutionnel.
C’est une sortie qui avait complètement échappé aux radars. C’était il y a quelques semaines. Invité en France dans le cadre de l’édition 2024 de la “Nuit du Droit” organisé par le Conseil constitutionnel français, le président Mamadou Badio Camara est largement revenu sur les périodes troubles ayant précédé l’élection présidentielle sénégalaise de mars 2024, avec la volonté prêtée à l’ancien président de briguer un troisième mandat. À la question de savoir si le Conseil constitutionnel a dû intervenir pour faire respecter le droit, il révèle : “Disons qu’il y a eu une demande d’avis sur l’éventualité d’un troisième mandat. L'avis a été donné très rapidement, très vite, sur l’impossibilité de briguer un troisième mandat, compte tenu de la disposition constitutionnelle qui règle le problème et vu le fait que le président venait d’effectuer deux mandats consécutifs. Ça a peut-être influé sur la décision de renoncer à cette tentative de troisième mandat.”
De l’avis de Badio Camara, cette réponse coulait de source. Le dispositif constitutionnel paraissant très clair à ses yeux, depuis le référendum de 2016, qui prévoyait que “nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs”. “Il y a eu un premier mandat en 2012 et un deuxième en 2019. A priori, c’était terminé. Cependant, ses partisans agitaient l’idée, comme c’est souvent le cas, qu’il s’agit d’un homme indispensable, qu’il faut qu’il reste”, a commenté le président du Conseil constitutionnel, non sans préciser que “Macky Sall lui-même a finalement réglé le problème lorsque, quelques mois avant le scrutin, il a déclaré solennellement dans une annonce à la nation sénégalaise qu’il ne serait pas candidat à l’élection présidentielle de 2024 et qu’il ne solliciterait pas un troisième mandat”.
Dans ce contexte très trouble, le président Camara a reconnu qu’il y a eu beaucoup de tensions et de pression sur les juges constitutionnels. “C'est peut-être un peu normal, puisque c’est une élection présidentielle. Les enjeux sont très importants et les politiques peuvent être féroces avec tout ce qui peut contredire ou contrecarrer leur projet”, a-t-il confié, avant d’ajouter : “Mais on a fait l’effort d’exercer notre métier de la manière la plus conforme à la Constitution du Sénégal et aux lois électorales du pays.”
Interpellé sur l’attachement du Sénégal à la démocratie quand tant de pays africains succombent aux régimes autoritaires, il déclare: “On nous a dit que c’était un peu dans l’ADN du Sénégal. C’est aussi, diton, une certaine survivance d’une tradition de dialogue qui est parfois remise en question, de ce que l’on appelait l’arbre à palabres. Quand il y avait un problème, les personnes les plus âgées se retrouvaient sous un arbre pour discuter avec les concernés et préconiser des solutions consensuelles qui étaient acceptées par les parties par respect aux personnes âgées et à ce qu'elles représentent.”
Poursuivant, il note qu’il y a d’autres facteurs liés au tempérament des Sénégalais. “Je me rappelle, le président Senghor a une fois dit : ‘Ce qui le désole, c’est que les Sénégalais ont tous les défauts des Français. Ils sont râleurs ; ils contestent tous. Mais les Français eux, au moins, ils travaillent.”’
Au sujet de la France qui a pris du temps à nommer un Premier ministre et à trouver un gouvernement après les Législatives, il trouve cela déstabilisant pour un pays modèle. “La France ne nous a pas habitués à ce genre de situation : rester je ne sais combien de semaines sans Premier ministre, sans gouvernement… Ça nous a un peu déstabilisés parce que ça reste quelque part notre modèle en matière de démocratie”, a-t-il expliqué.