NETTALI.COM - Accusé d’avoir fait partie de ceux qui ont falsifié les finances publiques et traîné dans la boue pour des chiffres qui restent à être certifiés par la Cour des comptes, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Mamadou Moustapha Ba, s’en est allé hier lundi 4 novembre, après quelques jours dans le coma, à la suite d’un malaise entre l’hôtel où il logeait en France et une pharmacie où il se rendait pour acheter des médicaments. Retour sur le parcours d’un digne fils du Sénégal et de Nioro du Rip ! Des amis espèrent néanmoins une enquête pour faire la lumière sur cette affaire.
“Grand, il a vécu. Grand et digne, il est parti”. Ce témoignage de l’ancien ministre de la Culture, Aliou Sow, résume bien le parcours de Moustapha Ba, l'ancien enfant de troupe né à Nioro, il y a environ 59 ans et décédé hier 4 novembre en France. En attestent les témoignages issus de tous les bords politiques, y compris parmi ses contradicteurs les plus féroces, notamment à l’Assemblée nationale. Celui de Guy Marius Sagna en est une parfaite illustration.
Dans un post, le responsable au parti Pastef déclare : “Nous étions de camps totalement opposés. Nous avons croisé le fer du dialogue en commission comme à l'hémicycle. Jamais il n'a esquivé les questions que je soulevais.”
De l’avis de l’ex-opposant radical membre de la nouvelle majorité au pouvoir, même si les réponses ne le convainquaient pas toujours, l’ancien ministre avait ce don de susciter l’écoute et le respect. “Ses réponses de ministre des Finances et du Budget ne me convenaient pas toujours. Mais j'éprouvais une forme d'étonnement - de respect - devant son endurance et sa courtoisie à l'hémicycle. Il était une des rares voix avec qui discuter avait encore un sens à l'Assemblée nationale du Sénégal lors de la 14e législature”.
GMS : "Il était une des rares voix avec qui discuter, avait encore un sens à l’Assemblée nationale."
D’une générosité intellectuelle sans pareille, Moustapha Ba pouvait rester une journée entière à discuter de finances publiques, de budget avec des opposants comme avec des membres de la société civile. Toujours avec le même respect, la même courtoisie.
Ancien président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale, Seydou Diouf ne le considère pas comme un homme politique, mais comme un expert. “J’ai connu Moustapha durant mon premier mandat en 2007. À l’époque, il était à la Direction de la Coopération économique et financière, où il s’occupait des investissements dans des secteurs stratégiques comme l'agriculture, les infrastructures, puis comme directeur général du Budget, directeur général des Finances. Il a gravi tous les échelons pour se retrouver à la tête du département. Ce n’était pas un politique, c’était un expert des finances publiques qui a été porté à cette station en raison de ses compétences”, rapporte le député de la 14e législature.
Chez les politiques, le natif de Nioro du Rip fait presque l’unanimité. Il a su dépasser les clivages partisans, pour être au service exclusif de la nation. Seydou Diouf : “C’est un expert qui a traversé plusieurs régimes : Diouf, Wade jusqu'à Macky Sall qui avait fait de lui son ministre. Il avait une très grande connaissance des leviers des finances publiques. Il vous parlait du budget comme il vous parlait de sa vie au quotidien. Rien dans le budget ne lui était étranger. Le Sénégal perd vraiment un digne fils”, insiste M. Diouf très ému.
Pour le président Macky Sall, c'est le Sénégal qui "perd un illustre fils, d’une grande probité morale, un cadre émérite, aux qualités professionnelles, humaines et intellectuelles exceptionnelles"
Malick Gackou du Grand Parti, lui, le décrit comme “un éminent serviteur de l’État, qui a servi son peuple avec dévouement”
Un orfèvre des finances publiques
Sorti de l’École nationale d’économie appliquée (ENEA) devenue École supérieure d’économie appliquée (ESEA), Moustapha Ba aura fait presque tout son parcours au sein du département des Finances. Plus de 30 ans, selon certains témoignages. Ancien Premier ministre de Macky Sall, Amadou Ba, qui a suspendu sa campagne pour les Législatives, témoigne : “Je le connais depuis plus de 25 ans. Il était à l’époque un agent, après chef de division, par la suite directeur de la Coopération économique et financière, après directeur général du Budget, quand j'étais ministre des Finances. Il est resté à son poste jusqu'à sa nomination comme ministre des Finances dans un gouvernement où j’étais le Premier ministre. Ce qu’il a fait pour ce pays est inestimable.”
En tant que ministre des Finances de 2013 à 2019, Amadou Ba a travaillé de manière très étroite avec son ancien directeur général du Budget. Selon lui, Moustapha est l’un des meilleurs de sa génération. “Dans le domaine budgétaire, je n'ai pas vu dans ce pays quelqu'un de plus compétent. Dans le domaine de la coopération, il est difficile de trouver quelqu'un qui est plus compétent”.
Acteur majeur de toutes les grandes réformes sous Macky Sall, l’homme jouissait d’un grand respect et considération auprès de tous ses collaborateurs. “Dans la conception du PSE (Plan Sénégal émergent), on était ensemble à toutes les étapes : dans la mobilisation des ressources financières tout comme dans la gestion budgétaire. Je peux dire que c'est l'un des fonctionnaires les plus compétents, les plus rigoureux que je n'ai jamais connus. Je le dis très honnêtement”, souligne l’ancien PM.
Porté à la tête du ministère des Finances le 17 septembre 2022, Moustapha Ba a très vite pris ses marques et a été l’un des ministres qui a bien marqué le département. En sus d’avoir des relations cordiales avec les politiques, il a su également bénéficier du respect de ses collaborateurs et inspirait la confiance aux partenaires techniques et financiers.
À l’Assemblée nationale, il ne se contentait pas de s’appuyer sur ses collaborateurs, rapporte Seydou Diouf, pour marquer sa maitrise du secteur. “C’est le ministre des Finances qui avait la main à la pâte. Moustapha Ba ne se contentait pas de recevoir des notes de ses collaborateurs. Il avait cette capacité de synthèse, parce que connaissant parfaitement le département des Finances, maitrisant particulièrement le budget de l'État dans la manière dont il est élaboré, dont il est arbitré, dans la manière dont il est exécuté, mais aussi dans la manière dont il est contrôlé. Il savait répondre à toutes les questions avec une grande aisance parce que ne cherchant pas ses mots”, insiste le président du Parti pour le progrès et la citoyenneté.
Une mort mystérieuse et bouleversante
Chez les proches, on n’en revient toujours pas. Cela faisait quelques jours que Moustapha Ba ne donnait plus de ses nouvelles, selon certains amis. Renseignements pris, on aurait porté à leur connaissance qu’il était victime d’un malaise dans des conditions pour le moins assez troubles. Le jour des faits, il avait quitté son hôtel pour se rendre dans une pharmacie. “C’est entre l’hôtel et la pharmacie qu’il a eu le malaise”, confie une source.
Évacué à l’hôpital, il est resté quelques jours dans le coma. Auparavant, l’homme avait vécu une situation de stress qui inquiétait plus d’un dans son entourage. “C'est vrai qu'il avait une santé fragile. Il allait souvent se soigner en France. Mais il était en pleine possession de ses moyens avant ce malaise. Aussi, je l’ai senti particulièrement stressé et préoccupé lors de nos échanges. Je pense que vu les circonstances de ce malaise, il y aura au moins une enquête pour élucider les raisons de sa mort”.
En attendant, ses amis et proches n’ont eu de cesse d’exprimer leur tristesse. Parmi eux, il y a les anciens enfants de troupes qui l'appelaient affectueusement "Bosquet" et qui lui ont rendu un hommage unanime qui se résume par les qualificatifs d'homme "généreux", "compétent", "travailleur acharné", "humble", "courtois", etc. Des qualificatifs que beaucoup de unes de quotidiens du mardi 5 ont confirmé.
Cité par l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko d’avoir été un des artisans de la falsification des finances publiques, Moustapha Ba a été particulièrement affecté par ces accusations, selon des proches. D’ailleurs, confie-t-on, il avait envisagé d’apporter des éléments de clarification, avant d’en être dissuadé, suite à de nombreuses pressions de son entourage.
Ce qui a fait dire, pour rendre un vibrant hommage au “digne fils” du Sénégal et du Saloum, à l’ancien ministre de Wade, Babacar Gaye, qui a trempé sa plume et chanté les énormes mérites de ce “petit-fils de Maba Diakhou Ba”, qu'"il faut être ignare pour penser que le silence de l’ancien ministre était dû à un quelconque manque de courage".
“Ceux qui ne savent pas faire la différence entre obligation de réserve, dignité et absence de courage se sont acharnés sur lui et ses collaborateurs, l’ont calomnié, vilipendé et traîné dans la boue de manière déconcertante. Que d'ignorants qui se méprennent de sa personnalité, de sa descendance aristocratique et guerrière ! Un petit-fils de Maba ne peut avoir peur de la vacuité d'un discours politicien et du geste perfide”, se désole M. Gaye dans un message teinté d’émotion.
Selon lui, Ba “ne craint que le déshonneur”. Il “est parti, emportant avec lui tout ce que l'État a de sacré et en laissant aux autres leurs frustrations d'une confrontation impossible”. Pour lui, c’est encore là une autre preuve qui montre que l’éminent ministre des Finances est resté fidèle jusque dans la tombe aux principes qui gouvernent le fonctionnement de la République. Son “intégrité” et son “dévouement” envers la nation “demeurent inébranlables jusque dans sa tombe”
AVEC EnQuête