NETTALI.COM - Mamina Daffé, ancien coordonnateur du Prodac, est en garde à vue à la Division des Investigations Criminelles (Dic). Des rapports de la Cour des comptes révèlent des irrégularités graves, comme la location de véhicules pour le ministre Abdoulaye Diop à 37 millions FCfa et des marchés attribués sans appel d'offres, dont un contrat de 1,3 milliard FCfa signé avec de faux documents.

Mamina Daffé, ancien coordonnateur et figure centrale du Programme des domaines Agricoles Communautaires (Prodac), se trouve aujourd'hui au cœur d'un scandale financier. Il est déjà la première «victime» d'une affaire explosive qui pourrait bien faire tomber d'autres têtes. «Tous les autres », confie un enquêteur. Ce dossier qui lui a fait passer, hier mercredi, ses premières heures de garde à vue, fait partie des cinq premiers dossiers confiés au Pool judiciaire financier (Pjf), dont les magistrats ont été nommés par le Président Bassirou Diomaye Faye, dans le cadre de la reddition des comptes.

L'enquête préliminaire, menée par la Division des Enquêtes criminelles (Dic) avait déjà mis en lumière des irrégularités, mais c'est la réouverture du dossier qui à mis au jour des pratiques peu orthodoxes. Au centre de l'affaire, des rapport accablants de la Cour des comptes sur la gestion du programme Prodac couvrant la période de 2015 à fin 2018. Ces rapports, particulièrement celui de 2018, révèlent que le Prodac, au-delà de ses propres missions, aurait contracté des marchés pour le compte du ministère de l’Emploi, à l’époque dirigé par Abdoulaye Diop. Cela, malgré le fait que ce ministère disposait de sa propre commission des marchés. Une incohérence flagrante qui n'a pas échappé aux contrôleurs. Mais c’est surtout la rubrique intitulée «Cabinet du Ministre» qui a le plus interpellé alors que le ministère de l'Emploi n'était ni une direction ni un service du Prodac. Pourtant, c'est la commission des marchés du Prodac qui a géré ces procédures, permettant au ministère de contourner ses propres obligations légales. En procédant ainsi, le Prodac a enfreint les dispositions du Code des marchés publics. Mamina Daffé, ancien coordonnateur, a justifié cette démarche en affirmant avoir reçu des instructions du ministère : «Le Prodac a reçu instruction du Cabinet du Ministre de l'Emploi, de l'Insertion Professionnelle et de l'Intensification de la Main d'Œuvre, par correspondance n° 00500/MEIPIMO/SG du 11 mai 2018, de procéder au règlement de dépenses au titre de la gestion 2017 et à l'exécution de celles prévues en 2018 pour le bénéfice du ministère.» Mais quelles étaient ces dépenses ?

2 véhicules loués à 37 millions FCfa pour le compte du ministre Abdoulaye Diop

La plus flagrante concerne la localisation de véhicules pour Abdoulaye Diop, alors ministre de l'Emploi. A la tête de ce ministère, sous lequel était logé le Prodac, un programme censé lutter contre la précarité en milieu rural par la promotion de l'entrepreneuriat agricole des jeunes et des femmes, Abdoulaye Diop aurait à l’époque sollicité Mamina Daffé pour répondre à des besoins logistiques urgentes. Ce dernier se plie à la demande, louant deux véhicules 4X4 pour son «boss». Le contrat de location, prévu pour une semaine renouvelable, se transforme en une période de conservation prolongée des véhicules par le ministre, portant la facture totale à 37 millions de francs Cfa : 18 millions pour l'un, 19 millions pour l'autre.

200 millions FCfa au frère de Souleymane Jules Diop pour des motopompes

Mais Abdoulaye Diop n'était pas le seul à bénéficier des «largesses» de Mamina Daffé. Un certain M. Chaupin, frère de l'ancien ministre Souleymane Jules Diop, a également profité d'un marché de fourniture de motopompes d'une valeur de 200 millions FCfa. «Sans contrat en bonne et due forme, bien avant même que l'appel d'offres (Dao) ne soit lancé.»

Le scandale prend une tournure plus grave avec l'attribution du marché des Pivots, cette fois pour le compte du Prodac. Ce marché, portant sur l'aménagement de 360 ​​hectares (24 Uae) dans plusieurs zones agricoles communautaires, a dû être soumis à l'Armp, après que la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) ait rejeté la procédure initiale. Le Prodac, dans une lettre envoyée à l'Armp, expliquait que la direction des marchés publics avait pourtant approuvé la passation du marché par appel d'offres restreintes le 2 novembre 2018. Mais la procédure ne suit pas son cours : «Le quorum n 'ayant pas été atteint le jour fixé pour l'ouverture des plis, un procès-verbal de carence a été dressé et la Commission des Marchés a été, à nouveau, convoquée.»

Un marché de 1 milliard 300 millions FCfa passé avec de faux documents

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La Dcmp, par lettre du 13 août 2018, donne son accord pour un appel d'offres restreintes avec les entreprises suivantes : Agripro, Sotracom sa, Somaphy West Africa sa, et Sifacom Sarl. Cependant, lors de l'ouverture des plis, un détail crucial saute aux yeux : seules deux entreprises ont soumis leurs offres. Sifacom Sarl propose 1 513 580 371 FCfa, tandis que Somaphy West Africa Sa, l'adjudicataire, propose 1 180 094 400 FCfa. Selon l'article 67.5 du Code des marchés publics, dans un appel d'offres restreintes, il doit y avoir au minimum trois offres pour que la procédure puisse continuer. La Dcmp remarque que l'ouverture des plis a eu lieu le jour suivant la date prévue, après une séance marquée par l'absence du président et des membres de la commission des marchés. Un manquement grave qui, selon l'Armp, a suffi à annuler la procédure : «Les motifs présentés pour continuer la procédure ne sont pas suffisants pour justifier une décision d'opportunité. » La procédure est donc annulée, mais rien n'est rectifié. Un autre marché similaire, pour les mêmes Pivots et les mêmes montants, a été signé par le coordonnateur du Prodac de l'époque, Mamina Daffé. L'entreprise adjudicataire, représentée par un certain M. Diagne, associé à un Libano-Sénégalais, a même reçu des documents administratifs signés par le Prodac pour lever des centaines de millions dans une banque locale. Tout cela, sans ordre de service.