NETTALI.COM - Une majorité confortable pour le pouvoir ou alors une cohabitation imposée par l’opposition. Telles sont les configurations possibles à l’issue de ces élections législatives anticipées. Mais chacune des deux comporte d’énormes incidences sur la gestion du pays, sur la vie des Sénégalais.
Deux scénarii sont possibles au soir du 17 novembre prochain : soit le pouvoir, incarné par le Pastef obtient la majorité à l'Assemblée nationale et confirme sa domination ; soit l'opposition, représentée par la quarantaine de listes en lice, réussit à imposer la cohabitation en remportant la majorité des sièges.
Chaque hypothèse comporte son lot de risques et d'avantages. Dans un contexte électoral assez tendu et une campagne émaillée de violence de part et d’autre, ces Législatives prennent des airs de second tour de la présidentielle de mars dernier. Après avoir dissous l'Assemblée nationale pour s'assurer une majorité confortable et mettre en œuvre ses réformes sans obstacle, l'État fait face à une multitude de listes en compétition. Parmi celles-ci, certaines se démarquent : "Samm sa Kaddu", conduite par le maire de Dakar Barthélémy Dias ; "Takku Wallu", dirigé par l'ancien président Macky Sall ; et "Jamm Ak Njariñ", dirigé par l'ex-Premier ministre Amadou Ba ; et dans une moindre mesure "Sénégal Kessé" de Thierno Alassane Sall et d'Abdoul Mbaye, drivé par Sall.
Un peloton de tête qui se dresse comme un seul homme face au camp du pouvoir, représenté par le Premier ministre Ousmane Sonko, tête de liste nationale de Pastef.
«De profonds bouleversements »
Du côté du pouvoir comme de l'opposition, chaque camp redouble d'efforts pour séduire l'électorat. Pour l'État, une majorité parlementaire offrirait l'opportunité de déployer sa politique sans entrave, et de mettre en œuvre les réformes jugées nécessaires.
L’analyste politique Abdou Fatah Fall prévoit un profond bouleversement, le cas échéant. «En cas de majorité absolue pour le camp du pouvoir, on va vers de profonds bouleversements, rien n’empêchant désormais le pouvoir d’appliquer la rupture tant prônée. Cela pourrait commencer par la reddition des comptes. Des batailles judiciaires, la descente aux enfers pour certains et certainement beaucoup de transigeance pour la plupart (loin des caméras et des micros).»
Pastef a en effet promis d’installer, dès les premiers mois de la quinzième législature, une Haute Cour de justice pour poursuivre les dignitaires de l’ancien régime, accusés de détournement de deniers publics. Le parti au pouvoir s’est aussi engagé à s’attaquer à l’abrogation de la loi d’amnistie relative aux violences politiques ayant causé la mort de plus de 80 personnes entre 2021 et 2024. Abdou Fatah Fall prédit également des bouleversements sur le plan social, avec, sur le plan de la réorganisation du territoire, la division territoriale en pôles en lieu et place des régions actuelles, promise par Pastef.
«Quoi qu’on en dise, si le régime actuel obtient la majorité, l’Assemblée aura un rôle de chambre d’enregistrement puisque les projets de lois passeront comme lettre à la poste. La seule rupture à attendre tiendra peut-être au fait que les nouveaux députés vont davantage assumer leur rôle de contrôle de l’action du gouvernement, comme l’a souvent essayé un Guy Marius Sagna.»
Une majorité mécanique, pourrait-on dire, ce que l’opposition, Pastef y compris, a toujours dénoncé. Mais pour l’enseignant-chercheur en Science politique Dr Alassane Ndao, le terme est galvaudé. «Une majorité est forcément mécanique, le terme est galvaudé et dévalorisé, mais le rôle d’une majorité, c’est d’être un support efficace pour le pouvoir exécutif, particulièrement dans notre contexte africain. Certes, il y a le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs, mais cela ne remet pas en cause ce qu’on appelle la discipline partisane, il va falloir avoir une majorité qui soit alignée sur les projets politiques que le pouvoir exécutif va mettre en place.»
Il rappelle que le Sénégal a traversé trois dernières années assez difficiles, sur le plan de la stabilité politique et de la gestion publique. «C’était très compliqué, avec une série de crises et de violences, et on subit jusqu’à présent les contre-coûts de cette période avec une situation économique difficile, un endettement très élevé… Donc que Pastef obtienne une majorité confortable permettrait de faire passer les réformes qui vont définir la gouvernance, et cela permettra aussi d’assainir l’espace politique et d’avoir un climat de stabilité pour attirer les investisseurs…. Donc beaucoup d’aspects positifs.»
«Tout un pan du paysage politique qui va disparaître »
Ce qu’il faut plutôt se demander c’est quelles seront les conséquences d’une victoire de Pastef sur le pluralisme démocratique, estime Dr Ndao. «Parce que cela supposerait que l’opposition soit encore plus affaiblie, et en attendant d’avoir une nouvelle opposition qui se réforme et se reconfigure, le pluralisme partisan va être plus ou moins mis en berne. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de contrepouvoir qui va veiller au bon respect des principes démocratiques. Le pouvoir judiciaire peut être un contrepouvoir efficace, et il y a aussi la société civile qui va jouer son rôle de veille et d’alerte, notamment en cas de dérives. Donc il n’y a pas un risque aussi grand qu’on le pense.»
Abdou Fatah Fall est du même avis. Si les promesses faites par les tenants du pouvoir actuel se tiennent, c’est tout un pan du paysage politique qui va disparaître. D’où la lutte farouche des leaders de l’opposition pour empêcher le régime en place d’obtenir une majorité absolue. En témoins, les coalitions et inter-coalitions qui ne se caractérisent que par leur hétérogénéité, des alliances plus que contre nature, mais qui sont dictées par la realpolitik, analyse-t-il. «De manière officielle, l’opposition veut obtenir la majorité parlementaire pour offrir un équilibre au sein de l’Assemblée, et surtout éviter un diktat du pouvoir, explique M. Fall, mais plus officieusement, il y a l’annonce de la dissolution de certaines institutions qui sonne comme le glas de l’existence politique de beaucoup de ténors qui vont se retrouver désormais sans niche ni clientèle politique, et surtout l’installation de la Haute cour de justice et la reddition des comptes pour la plupart de ceux qui ont été les figures marquantes du régime précédent.»
«En cas de cohabitation, on ira forcément vers un blocage institutionnel »
En cas de majorité, l’essentiel de la stratégie de l’opposition sera de se servir de son pouvoir pour négocier sa survie, et travailler à obtenir la mise en minorité du Pm Ousmane Sonko, qui semble être leur tête de turc.
«Toutes les alliances qui ont été nouées poursuivent leurs buts et suivant les résultats des urnes, les réajustements des uns et des autres vont respecter cette même dynamique», indique l’analyste politique.
Seulement pour le Dr Ndao, la cohabitation parlementaire ne serait pas une si bonne idée dans nos systèmes africains. «Nous n’avons pas une élite politique qui a une maturité politique suffisante pour permettre de vivre une cohabitation en toute tranquillité, c’est impossible. Si même certains systèmes démocratiques très anciens ont du mal à vivre tranquillement la cohabitation, à fortiori les pays africains qui sont toujours dans une logique de construction démocratique. Pour le cas du Sénégal, j’estime qu’en cas de cohabitation, on ira forcément vers un blocage institutionnel, et ce sera au détriment de la gouvernance économique et politique du pays. Mais il ne faudra pas y voir un équilibre des pouvoirs, on sera dans une situation de blocage, surtout si l’opposition est constituée de l’ancienne majorité présidentielle.»
Un risque réel, prévient-il, mais on verra si l’opposition est suffisamment armée pour imposer la cohabitation à l’Assemblée nationale.