NETTALI.COM - Au terme d’une campagne électorale de trois semaines, les électeurs seront aux urnes dimanche 17 novembre pour élire les 165 députés de l’Assemblée nationale. Des élections à forts enjeux politiques.
Ce 17 novembre 2024, les Sénégalais se déplaceront aux urnes pour élire les 165 nouveaux députés de l’Assemblée nationale, qui, normalement siégeront pour 5 ans. Cent-douze le sont au scrutin majoritaire à un tour dans les départements et à l'étranger (pour 15 d'entre eux) et 53 autres au scrutin proportionnel sur une liste nationale. Un geste simple et paraissant anodin, mais ô combien important pour la gestion du pays. Huit mois après la prise de pouvoir par le Président Bassirou Diomaye Faye, ce sera la première élection que ses services organisent, après la dissolution de l’Assemblée nationale le 12 septembre dernier. Premier test grandeur nature pour le tandem Diomaye-Sonko, ces élections cachent des enjeux stratégiques, tant au niveau national que départemental. En lice, de grands noms de la scène politique, Ousmane Sonko, Barthélémy Dias, Macky Sall, Amadou Bâ, Thierno Alassane Sall…41 listes pour 7,3 millions d’électeurs. Les enjeux sont nombreux, mais à chaque coalition son défi. Son objectif. Ses ambitions. «Les enjeux sont liés au contrôle par les Etats-majors politiques de la seconde institution du pays qui est l’Assemblée nationale. L’Assemblée joue un rôle extrêmement important, il est le second pouvoir après l’exécutif qui est entre les mains du parti Pastef. Il s’agit pour le pouvoir de consolider son pouvoir en renforçant sa maîtrise sur l’Assemblée et pour l’opposition d’imposer la cohabitation au pouvoir en place en essayant d’avoir la majorité au niveau du Parlement», résume Assane Samb, journaliste et analyste politique. Le décor est campé.
«Avoir une majorité qualifiée, c’est-à-dire les 3/5 des députés»
L’enjeu dépend alors du camp où on se situe. Pour le pouvoir, au-delà d’une victoire, il y a aussi l’ampleur qui est en jeu. L'exécutif a besoin d'une majorité des trois cinquièmes pour réviser la Constitution, comme promis, sans passer par le référendum. Alassane Ndao, Docteur en Sciences politique, Maître de Conférence titulaire à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis : «Pour le pouvoir, l’enjeu, ce n’est pas juste d’avoir une victoire électorale au soir du 17 novembre, l’enjeu, c’est d’avoir une majorité qualifiée, c’est-à-dire les 3/5, 99 députés parce que c’est une majorité stratégique qui permet de faire passer un certain nombre de réformes à caractère constitutionnel jusqu’en 2029.» Assane Samb conforte son argumentaire : «Pour le pouvoir, l’enjeu est double. Il ne s’agit pas seulement de gagner la majorité au sein du Parlement, mais surtout d’avoir une majorité absolue à plus de 2/3, ce qui fait un total supérieur à 99 députés, afin de pouvoir mener à bon port les réformes souhaitées, parce que si jamais ce n’était pas le cas, même si la majorité est acquise, le pouvoir aura des difficultés à gérer et à mener à terme certaines réformes.» Ousmane Sonko en est convaincu. Dans tous ces déplacements, la tête de liste de la coalition Pastef et non moins Premier ministre n’a cessé d’appeler ses militants à voter massivement pour une majorité confortable. 150 députés, c’est l’objectif qu’il s’est fixé.
«Conquête ou reconquête pour l’opposition»
De son côté, l'opposition claironne qu'en huit mois, Ousmane Sonko a beaucoup parlé et peu agi. Barthélémy Dias, Amadou Bâ, Macky Sall ont dit partout qu’il serait suicidaire d’accorder la majorité au pouvoir. Leur objectif : imposer la cohabitation au régime. Le passé récent a montré qu’une cohabitation forcée avec une majorité parlementaire hostile que, sans le soutien du législatif, l'exécutif aurait du mal à tenir la promesse de transformer l'État, instaurer la justice sociale, combattre la corruption et rétablir l'indépendance d'un pays aux partenariats politiques et économiques diversifiés. Assane Samb y voit plus : «Il y a deux types d’opposition. Takku Wallu où le Président Macky Sall et son équipe jouent leur avenir politique parce que les menaces sont là et sont à peine voilées avec la Haute Cour de justice. Il est certain que si le Pastef gagne le pouvoir absolu, beaucoup de caciques de l’ancien régime seront poursuivis, même le Président Macky Sall pourrait ne pas y échapper. Ils sont dans une dynamique de survie politique. Macky Sall aurait même du mal à revenir au pays. Pastef aussi ne souhaiterait pas voir la majorité lui échapper. Ce serait comme perdre le pouvoir. Ce serait un désaveu de la vision proposée aux Sénégalais. Ce sera le début de la fin du pouvoir de Pastef.» Pour Dr Ndao, l’enjeu de ces élections législatives devrait être autre qu’une cohabitation pour l’opposition dans sa globalité. Il dit : «Pour l’opposition, on a du mal à s’y retrouver parce que contrairement à ce que l’on pense, il n’y a pas une seule opposition, il y a deux oppositions. Pour chaque opposition, il y a des enjeux stratégiques. Il y a une opposition classique qui a toujours été présente dans le champ politique, l’enjeu, c’est de voir s’ils peuvent rebondir après l’échec cuisant de la Présidentielle. La plupart de ces candidats ont eu du mal à avoir un score honorable. Pour l’autre opposition, l’idée, c’est de faire une percée, de profiter de la recomposition de l’espace politique pour pouvoir s’imposer comme des opposants incontournables. Si certains sont dans une logique de reconquête, d’autres sont dans une logique de conquête. Prendre le relais, supplanter les autres. Il y en a qui sont dans une phase d’apprentissage de prise de contact.»
«Dakar, Thiès, Mbacké, l’axe central de la victoire»
Les élections législatives se jouent surtout au niveau local. Les départements permettent d’engranger le plus grand nombre de sièges. L’enjeu y est énorme. Dr Ndao : «Les départements occupent une position stratégique. La majorité des sièges est répartie sur la base des listes départementales, ensuite le scrutin est majoritaire à un tour simple. Les départements constituent des lieux d’enjeux électoraux extrêmement importants.» Tout va donc se jouer là-bas. Dr Ndao rajoute : «Il y a des départements qui sont plus ou moins acquis à Pastef, c’est les grands centres urbains : Dakar, Thiès, Saint-Louis, un peu Louga, Kaolack, Ziguinchor. Il y en a d’autres qui constituaient jusqu’ici des fiefs de l’ancienne majorité présidentielle notamment au Fouta, à Fatick, etc. L’enjeu est de voir si ces départements vont basculer dans le giron du parti au pouvoir. Il y a une division de l’Apr, donc un éclatement des voix qui ne milite pas en faveur de la coalition Takku Wallu. Pastef a enregistré de nouveaux soutiens notamment à Matam, à Podor. Il y a d’autres départements qui sont plus ou moins instables en termes de comportement électoral comme Kédougou, Salémata qui peuvent basculer d’un camp comme dans un autre.» Pour Assane Samb, tout se jouera dans l’axe central. « Je parle de Dakar, Thiès, Mbour, et Mbacké. Tout autour, il y a kaolack, Ziguinchor et Saint-Louis, en plus de certaines villes du sud. Ce sont les points centraux sur lesquels il faut se focaliser pour espérer avoir une majorité.»
«Les hauts risques de la bataille départementale»
Au-delà du nombre de députés, la guerre des départements est rendue beaucoup plus compliquée par le mode d’élection communément appelé au Sénégal ‘’Raw Gaddu’’. Plusieurs responsables se cachent derrière la liste nationale. Seuls les plus téméraires oser affronter la bataille des départements. Dr Ndao : «pour le pouvoir, certains responsables sont dans une logique de confirmation. Le risque c’est chez ceux qui sont dans une logique de conquête, qui ont été défait en 2022, puis en 2024 dans leur fief. C’est le cas de El Malick Ndiaye qui n’a pas réussi à lancer sa carrière politique locale, à consolider une identité politique locale. Ça va être un challenge, un défi pour lui, notamment à Linguère. Du côté de l’opposition, on va voir des responsables qui chercheront à confirmer, rayonner dans leur fief depuis très longtemps, Abdoulaye Daouda Diallo en fait partie. Même s’il y a des risques que le Pastef puisse les menacer. Il y en a qui sont dans une phase de reconquête et s’ils n’y parviennent pas, ils perdront toute base électorale qui pourrait constituer une sorte de monnaie d’échange pour convaincre de la nécessité ou de la pertinence de les enrôler dans l’appareil du pouvoir à postériori. Ils jouent leur survie.» Assane Samb de conclure : «La bataille départementale, c’est la vraie bataille. C’est une élection locale au niveau départemental. Il y a 41 listes, ça veut dire que les gens sont tellement concurrencés au niveau local qu’il y a un risque de sortir difficilement du lot. La bataille sera particulièrement rude parce qu’il faudra avoir la majorité absolue pour obtenir le nombre de sièges. Ceux qui sont sur les listes nationales sont beaucoup plus en sécurité. Si vous êtes sur une liste départementale, vous devez impérativement gagner, il y a une obligation de résultats qui pèse sur vous, sur votre carrière politique.»