NETTALI.COM - Le pari sera risqué. A tous les niveaux. Qu’il décide de rester Premier ministre ou de devenir Président de l’Assemblée nationale, le choix va être, sans doute, très difficile pour Ousmane Sonko. Tout son avenir politique en dépend.

C’est un nouveau challenge qui s’impose. Un nouveau défi politique à relever. Pour tout son avenir politique. Après la brillante victoire de Pastef/Les Patriotes aux élections législatives de ce dimanche 17 novembre, Ousmane Sonko va devoir dessiner un autre chemin politique qui pourra peut-être s’inscrire dans la continuité ou dans un autre virage. Les choses sérieuses commencent pour lui. Le choix adéquat peut être vite trouvé ou parsemé d’embuches. Le pari aussi peut être risqué à chaque niveau : celui d’opter de rester à la Primature ou d’aller à l’Assemblée nationale, comme l’ont plébiscité les Sénégalais l’ayant gratifié d’une majorité qualifiée à l’Hémicycle au sortir des Législatives. Dr Abdou Khadre Sanogo, Sociologue et analyste politique, est formel : ça va être très difficile pour Ousmane Sonko d’opérer un choix, parce qu’il a déjà, aujourd’hui, impulsé l'action gouvernementale. Pour lui, tout ce qui est en train de se faire aujourd'hui, en fait, se passe au niveau du cercle gouvernemental. Dr Sanogo reste convaincu que le meilleur moyen de s'approcher de l'exercice du pouvoir, c'est d'être au niveau de la sphère présidentielle. A son avis, entre le Premier ministre et le Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, il n'y a pas de fossé. Il y a un lien direct. En restant à la Primature, Ousmane Sonko peut être au courant de tout ce qui se passe au niveau des politiques publiques, les grandes décisions à prendre. Mais surtout, ça lui permettra aussi d'avoir une maîtrise, en tout cas, pas exclusivement de l'appareil exécutif, mais de savoir ce qui s'y passe. Que Ousmane Sonko reste Premier ministre, dit Dr Sanogo, ça va lui permettre de toujours avoir la main et d'éviter aussi cette distance entre lui et le président de la République. Et stratégiquement, compte tenu de tout ce qui se dit et surtout «les oiseaux de mauvais augure» qui parlent de possible et potentielle dissension, cette proximité-là peut-être va davantage donner de verve au duo.

«Si Ousmane Sonko va à l'Assemblée, il ne pourra plus être informé des choses étatiques, extrêmement confidentielles»

Dès l’instant que Sonko va décider de s’éloigner de la sphère de l'exécutif, avise Dr Sanogo, il ne va exister que dans le champ du législatif. Et cela peut lui donner le réconfort d'être directement le potentiel remplaçant du président de la République, en cas d'empêchement, mais ça l'éloigne davantage aussi de la sphère de l'exécutif. Mais pour Dr Abdou Khadre Sanogo, si Sonko reste encore Premier ministre, il a la possibilité de choisir son homme de confiance pour être Président de l'Assemblée, parce que, compte tenu de la configuration actuelle des choses, surtout de tous les dossiers soulevés ces derniers temps, avant qu'il n'obtienne la majorité plus que confortable à l'Assemblée nationale, c'était sous l'impulsion et sous l'égide de son statut de Premier ministre. «Le risque est que si Ousmane Sonko va à l'Assemblée nationale, il ne pourra plus être informé des choses, en tout cas étatiques, extrêmement confidentielles, qui se passent au niveau purement gouvernemental. Évidemment, il va avoir le contrôle de l'appareil politique, mais il risque aussi de céder un champ», prévient le sociologue et analyste politique. Mais, il refuse d’être péremptoire et pense que l'intelligence politique d’Ousmane Sonko ne va pas lui jouer un mauvais tour. «S’il est l’Assemblée nationale, il va contrôler l'action gouvernementale, l'impulser et être en parfaite discussion quotidienne avec le président de la République pour apporter les réformes nécessaires», indique-t-il.

Pour Dr Abdou Khadre Sanogo, dans le contexte actuel où l’on parle de l’ère d’un nouveau Premier ministre avec des lois qui passeront à l'Assemblée et qui lui donneront davantage de possibilités institutionnelles afin qu'il puisse aussi avoir le maximum de liberté possible pour impulser les vrais changements qu'il a théorisés depuis qu'il était dans l'opposition, le mieux est que Ousmane Sonko reste à la Primature. Il est le Président de son parti (Pastef) et jouit de toute la légitimité populaire nécessaire de ses militants.

«Si Sonko envoie d'autres personnes au niveau du prétoire et au niveau de l'Hémicycle, c'est là où il va gagner. Il sera à la fois dans l'exécutif et dans le législatif, puisqu'à l'Assemblée, il y aura de fidèles militants qui ne lui feront pas faux bon en termes de confiance et de fidélité. S'éloigner de la sphère où on exerce potentiellement le pouvoir, ça peut quand même faire naître certaines incompréhensions. Pour que Sonko soit au courant, il faudrait qu'il soit avisé. Même s'il est, sur le papier, la deuxième personnalité de l'État (s’il va à l’Assemblée), avec tous ses avantages, avec sa prééminence, certes, à mon avis, tout ce qu'ils (Sonko et Diomaye) ont théorisé au niveau du Projet ne s'exécuterait pas au niveau de l'Hémicycle. Compte tenu du fait que c'est le duo qui a pris ensemble le pouvoir et qui voudrait l'exercer ensemble, il me semble être un peu incohérent que Sonko aille à l'Hémicycle. Ça va être un choix très difficile, très risqué», dit Dr Sanogo. Il prévient que si Ousmane Sonko prend l’Assemblée nationale, on va y voir une certaine dualité entre lui et le Président Bassirou Diomaye Faye. «On va commencer à dire qu'il y a une jurisprudence ici, qui est toute fraîche dans le cerveau des Sénégalais, celle de Mamadou Dia et du Président Léopold Sédar Senghor. Très vite, les langues vont commencer à se délier. Être de l'autre côté ensemble, et avoir une maîtrise sur l'Assemblée nationale, c'est beaucoup plus judicieux», explique le Sociologue et analyste politique

«Quitter la Primature pour permettre au Président Diomaye de respirer, être à l’abri des attaques et se préparer pour 2029…»

Assane Samb, journaliste et analyste politique, a une autre vision des choses. Il pense que la meilleure posture pour Ousmane Sonko, c'est d'aller occuper le siège de président de l'Assemblée nationale. Il donne plusieurs raisons. D'abord, souligne-t-il, l’Assemblée nationale est un siège de prestige, parce que son Président est la seconde personnalité de l’Etat. Deuxièmement, il sera à l'abri des attaques, parce que simplement, il n'est plus au centre de la gestion des affaires publiques. Sonko sera couvert. Et troisièmement, il va permettre au Président Bassirou Diomaye Faye de respirer davantage, parce que la dualité dont on parle au sommet de l’Etat, même si elle n’est pas encore effective, est aujourd’hui rampante. On l’a pressentie. Il faudrait donc qu’un des leaders s’éclipse au profit de l’autre.

«En allant à l’Assemblée nationale, cette démarche aura pour avantage de permettre à Ousmane Sonko d'être mieux préparé pour la Présidence de 2029. Le deal, c'est quoi ? C'est que le Président Diomaye puisse continuer sa gestion, tranquillement, avec un autre Premier ministre qui lui est totalement soumis, et que le Premier ministre actuel aille au niveau de l'Assemblée nationale, et que Diomaye ne se représente pas à la Présidentielle de 2029. Comme ça, le Premier ministre qui sera nommé va servir à Sonko de fusible, parce que lorsqu’il y aura des problèmes, on dira que ce n'est pas Sonko. Et ça lui permettra davantage de se préparer pour être en première ligne en 2029, être candidat et pouvoir gagner les élections. Mais s'il continue ce duo-là, ce qui risque de se passer, c'est que soit, ils (Diomaye et Sonko) réussissent ensemble, soit, ils échouent ensemble. Et s’ils échouent ensemble, ils seront tous les deux écartés en 2029. La stratégie la plus intelligente et avantageuse, c'est de permettre au Président Diomaye de respirer et que le Premier ministre Sonko aille à l'Assemblée», a fait savoir Assane Samb. Pour éviter ce choc frontal entre légitimité de Sonko et légalité du pouvoir de Diomaye d'une façon continuelle au point d'aboutir à la dualité, le mieux, dit-il, est que Sonko aille occuper le poste de président de l'Assemblée nationale.

Pathé Mbodj, journaliste et analyste politique, est du même avis. Si Ousmane Sonko, indique-t-il, veut se mettre en perspective, il doit aller à l'Assemblée où il pourra se préparer un avenir. Les gens, souligne-t-il, pensent que «Sonko devrait libérer le Président Bassirou Diomaye Faye. C'est en allant à l’Assemblée nationale qu'il pourrait le faire mieux. Il s'occuperait de lois et du contrôle de l’action gouvernementale. Mais s’il reste Premier ministre, la dualité risque de continuer. On l’a sentie sur la nomination de Samba Ndiaye au poste de Pca de la Sn-Hlm et on l’a aussi pressentie lors de la campagne électorale pour les élections législatives. Parfois, Diomaye et Sonko ne sont pas d’accord sur les orientations et les approches. Si ça continue comme ça, il y aura une dualité, source de blocage au sommet de l’Etat. Ils vont difficilement réussir et tous les deux seront comptables du bilan», avertit Pathé Mbodj. Enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, Moussa Ndior soutient que le fait que Sonko aille à l’Assemblée va permettre d’éviter la dualité au sommet de l’Etat. Et à l’Assemblée nationale, il aura la même légitimité que le président de la République, puisque tous les deux sont élus au suffrage universel direct. Il ne court pas le risque d’être dégommé à tout moment par le chef de l’Etat qui peut se démettre de son Premier ministre. «Sonko a plus d’avantages en allant à l’Assemblée nationale que de rester Premier ministre», argumente M.Ndior.