NETTALI.COM - C’est avec organisation et méthode que le parti Pastef/Les Patriotes a réussi à ‘’enterrer’’ les partis politiques classiques, leurs idéologies et à s’imposer comme nouveau maître du jeu politique Sénégalais. Cela, grâce au charisme politique de son chef de file, Ousmane Sonko qui a vendu aux Sénégalais son ‘’Projet’’.
C’est un chemin bien tracé. Une voie parsemée d’obstacles bien sûr, mais qui a conduit à une marche stratégique vers le pouvoir le 24 mars 2024 et à la victoire, haut la main, aux élections législatives du 17 novembre dernier. Fondé en janvier 2014 par de jeunes cadres de l’administration publique sénégalaise, du secteur privé, des professions libérales, des milieux enseignants et des hommes d’affaires qui, pour la plupart, n’ont jamais fait de la politique, le parti Pastef/Les Patriotes est une aspiration légitime de tout un peuple, cristallisée par une génération profondément convaincue de la gravité de la situation. Ce parti, porté par un homme, Ousmane Sonko, prône le don de soi pour la patrie. Pour lui, l’intérêt supérieur du Sénégal doit être au-dessus de toute autre considération individuelle ou partisane. Chaque Sénégalais doit participer à la construction sans fin d’un Sénégal prospère, libre et fier. Cette option et cette stratégie construites dans la continuité des actes et du discours, surtout de son leader Ousmane Sonko, ont permis aujourd’hui à Pastef de réussir à pousser les Sénégalais à tourner le dos aux partis politiques classiques et à leurs idéologies exaltées depuis les indépendances et même au-delà.
Pour Khalifa Diagne, Psychologue-conseiller, aujourd’hui, l’ère des partis classiques adossés à des idéologies est dépassée. C’est une tendance mondiale. C’est ce que le leader de Pastef a compris en bâtissant un discours pragmatique axé directement sur les préoccupations des Sénégalais. Un discours qu’il oppose savamment à celui des partis classiques, dont les leaders sont indexés comme étant l’incarnation du système à déconstruire. La tâche lui a été facilitée aussi par le constat d’échec des partis qui ont déjà géré le pays sur la base de promesses en vertu de leur idéologie, notamment les deux les plus connus au Sénégal, à savoir le socialisme et le libéralisme. Dans un autre registre, souligne le Psychologue-conseiller, le parti Pastef a contourné le monopole des médias classiques pour les remplacer par le digital comme moyen de propagande. «Je dis souvent qu’il est impossible de faire face au Pastef sans arriver à l’égaler ou le dominer dans la bataille du digital. C’est un parti qui joue la musique à l’ère du temps. Ses partisans, pour la plupart, composés de jeunes, n’ont pas connu les méthodes des partis classiques. Non seulement les anciens ne peuvent pas les y maintenir, mais ils arrivent, au contraire, à exercer leur influence sur la vieille garde», dit Khalifa Diagne. Ousmane Sonko, indique-t-il, est le maître du jeu, l’élu de sa génération et le porteur du discours qui accroche, pour ne pas dire du mot d’ordre à suivre. «Entre lui et ses partisans, il y a ce qu’on appelle en psychologie sociale une infusion affective», explique le Psychologue-conseiller.
«Les facteurs qui expliquent l'ascension fulgurante de Pastef»
Professeur de Sociologie, Djiby Diakhaté explique les aspects qui ont fait que Pastef ait pu arriver à ‘’enterrer’’ aujourd’hui les partis politiques traditionnels. Pour lui, il y a un ensemble de facteurs qui expliquent l'ascension fulgurante de Pastef et, corrélativement, la régression des partis classiques au Sénégal. Le premier qui lui semble important, c'est au niveau du vécu des populations. Il faut voir, dit-il, que pendant une certaine période, il y a des conditions de vie excessivement difficiles connues par les populations qui bricolaient des solutions de survie au quotidien. C'est des pirogues qui étaient empruntées pour rallier l'Europe dans des conditions excessivement dangereuses. C'est des situations particulièrement complexes pour bon nombre de la population sénégalaise. Et il faut ajouter à ça la pandémie de Covid-19 qui a mis les populations dans un régime de confinement. Une sorte d’ablation de la liberté des populations. Et c'est dans ce contexte-là qu'un discours a été formulé, un discours de liberté, un discours de rupture. A partir de ce moment-là, on a noté un ralliement fort des populations à ce nouveau discours, à ce nouvel idéal, pointé du doigt par les dirigeants de Pastef. Et cet idéal-là a fait l'objet d'une adhésion, d'une appropriation massive de la part d'un bon segment de la population, notamment des jeunes et des gens qui, jusque-là, se sont sentis exécutés, frustrés, ou alors ont senti subir une injustice de la part du régime du Président Macky Sall. La deuxième chose, souligne le Professeur Djiby Diakhaté, c'est que l'organisation des partis politiques classiques ne révèle pas la pratique de la démocratie interne.
«On s'est rendu compte que c'est les mêmes constantes et les autres sont relégués au statut de variables. Tout se fait essentiellement autour d'un noyau avec une personne qui incarne toute la force et qui distribue, qui redistribue, qui promeut ou qui exclut. Donc, dans ce contexte-là, on se rend compte que beaucoup de militants de ces partis qui étaient là vivaient une certaine injustice et attendaient une alternative», indique-t-il. Pastef en a saisi l’occasion pour proposer ainsi une alternative pour beaucoup d'éléments de la population sénégalaise. A cela s’ajoute l'organisation interne de Pastef qui met l'accent sur la base. Dans la pratique politique de Pastef, la force est redonnée à la base. Les militants qui, jusque-là, faisaient figure de présence cosmétique, notamment à l'occasion des grands meetings, sont aujourd’hui valorisés. Ils ont droit à la parole, à une reconnaissance de la part des autorités du parti. «Vous avez tout de suite quelque chose qui développe une solidarité interne, une coopération interne, une reconnaissance des militants. Et ce besoin-là, est un besoin important qui semble être satisfait par l'organisation mise en place par le Pastef», confie Professeur Diakhaté. Qui note que Pastef a donné la parole à ces gens-là qui, jusque-là, étaient considérés comme des groupes qui devaient se contenter de suivre une élite. Pastef cherche à remettre le centre d'intérêt au niveau de la base. Ce qui constitue un élément excessivement important en termes de rupture.
«Il y a une image assez mauvaise que les anciens partis ont pu donner aux populations»
Pour Babacar Dione, journaliste et analyste politique, Pastef a un homme, Ousmane Sonko, qui a su drainer des masses, des électeurs. Il n'a ménagé aucun effort pour pouvoir gagner et la Présidentielle du 24 mars 2024 portant Bassirou Diomaye Faye au pouvoir et les Législatives du 17 novembre dernier. «C'était important pour lui. Je crois que les partis de l'opposition ne devraient pas trop s'attendre à gagner ces élections. Il y avait une élection dans les élections législatives. On a élu Bassirou Diomaye Faye en mars 2024. Il lui fallait, lui, Sonko avoir sa propre élection. Et en gagnant, ces élections législatives, il a pu confirmer sa suprématie politique, son leadership politique», a fait savoir Babacar Dione. Il signale que Ousmane Sonko est un leader assez charismatique qui a vendu un projet que les Sénégalais ont suivi. Les populations pensent qu'avec Ousmane Sonko, la rupture peut être dans leur manière de vivre, dans leur manière de faire des choses. Les Sénégalais veulent que leurs conditions d'existence changent. «Il y a une image malheureusement assez mauvaise que les anciens partis ont pu donner aux populations. Il y a un jeune qui vient et quelque part, les populations vont se dire qu'il est conscient de ces problèmes qu'elles sont en train de vivre», dit Babacar Dione. Il fait remarquer cependant que «Pastef, sans être un parti traditionnel, est un melting-pot qui a accueilli des gens qui ont fait partie de l'ancien système». Professeur Djiby Diakhaté signale que la rupture prônée par Ousmane Sonko a croisé des attentes fortes en termes de pratiques politiques et de conduite des politiques publiques. Ça a suscité des attentes beaucoup plus de transparence dans la gestion des affaires publiques, beaucoup moins de condescendance dans le rapport aux populations, beaucoup plus d'ouverture. Sonko, dit-il, s’est engagé à tenir compte des réalités locales. Surtout à reproduire tout cela dans la pratique, la conduite des politiques publiques en termes d'inclusion, de respect des nuances qui existent dans les différentes localités. «Voilà ce qui a donné une force importante à Pastef. Et je crois qu'en ayant cette force, ce qui a existé concomitamment, c'est la fragilisation des partis politiques classiques».
«Les noyaux de résistance qui pourront faire face à Pastef risquent de partir de Pastef lui-même»
Le Sociologue Djiby Diakhaté croit savoir que les noyaux de résistance qui pourront faire face à Pastef risquent de partir de Pastef lui-même. Car, signale-t-il, lorsque dans la pratique, surtout dans la conduite des politiques publiques, certains segments se sentent plus ou moins exclus, ils vont considérer qu'il y a un décalage entre le discours et les promesses qui étaient tenues et le comportement des élites lorsqu'elles sont arrivées aux affaires. «Donc, c'est à ce niveau-là que les premières formes de frustration vont commencer à se manifester et Pastef pourra avoir des résistances internes», avise-t-il. Non sans ajouter également que lorsqu'on est au pouvoir, au bout de quelques instants, il y a un phénomène d'usure qui commence à s'installer. Et cette usure du pouvoir, c'est le type de recrutement, d'exclusion, les combinaisons, les nouvelles formes d'organisation. Toutes ces choses-là génèrent, d'une certaine manière, une sorte de mécontentement, de désespoir parfois chez certaines catégories de la population qui vont avoir tendance à se sentir plus ou moins trahies. «Pastef doit intégrer cette réalité qui traverse de part à part les différentes formations politiques, notamment celles-là qui arrivent au pouvoir. La pratique du pouvoir entraîne le plus souvent certains dysfonctionnements à l'interne, qui créent des résistances, à l'externe, des populations qui ne semblent plus se retrouver dans les valeurs qui avaient été promises et qui étaient édictées par l'élite. Et de ce point de vue-là, ça peut créer progressivement une sorte de fragilisation du parti au pouvoir, surtout s'il n'y a pas un travail de renouvellement des instances, des discours, des idéaux… toujours en tenant compte de la base, ça peut créer ces dysfonctionnements qui peuvent fragiliser un parti au pouvoir», avise Djiby Diakhaté. Le journaliste et analyste politique Babacar Dione le conforte, en précisant que «les partis politiques, même les leaders, c'est un cycle. Abdoulaye Wade a eu pratiquement la même envergure qu’Ousmane Sonko dans les années 80, 90, avant d'accéder au pouvoir, avec la jeunesse d'alors qui l’a suivi». Avec l'exercice du pouvoir, explique-t-il, les gens commencent à relativiser certains discours, certaines promesses. «Maintenant que Pastef est au pouvoir, on ne va plus le juger par rapport à ce que dit son leader, par rapport à son caractère. On va le juger par rapport à son bilan, à ses réalisations…», souligne le journaliste et analyste politique.