NETTALI.COM - La tension monte et la bouteille menace d’exploser si la tutelle reste immobile. Entre les étudiants et le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, l’épreuve de force amorcée à Ziguinchor trace désormais son sillon dans les autres Universités sénégalaises.

Ziguinchor rugit, bras de fer tendu. Saint-Louis bronche, Thiès tonne, Bambey rouspète et Dakar maugrée. La colère, telle une marée montante, envahit les Universités publiques sénégalaises, balayant le calme d’un bout à l’autre du pays. A l’Université Assane Seck, l’escalade a atteint son sommet. A Gaston Berger, Iba Der Thiam, Alioune Diop et Cheikh Anta Diop, la tension s’épaissit comme une fumée suffocante. Mais c’est à Ziguinchor que tout a éclaté. La fermeture brutale du Campus social et la dissolution des organisations estudiantines ont mis le feu aux poudres, conséquence directe des troubles du vendredi 22 novembre qui ont ravagé infrastructures et biens matériels. Ce jour-là, la colère s’est matérialisée dans les flammes. Trois véhicules du Rectorat, symboles d’un ordre contesté, ont été réduits en carcasses calcinées. Ces actes, dénoncés avec fermeté, ont poussé le Conseil académique et le Centre des œuvres universitaires sociales à sévir. Par un communiqué au ton tranchant, ils ont annoncé des mesures jugées à la hauteur de la gravité des événements.

Solidaires avec leurs camarades du Sud, les leaders des regroupements étudiants des autres universités montent au créneau. Ils condamnent et fustigent les décisions qu’ils jugent «irréfléchies» et «extrêmes». Cette fronde, nourrie par un sentiment d’injustice, trouve un écho particulier dans les propos d’Alpha Issaga Diallo, président de la Coordination des étudiants de l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis. «Ces mesures tombent au pire moment», déplore-t-il, un brin d’amertume dans la voix. «Nous vivons un chevauchement des années académiques. Nous sommes déjà très en retard. Depuis quelques années, chaque perturbation, même minime, paralyse nos universités.» Il évoque les blessures encore fraîches laissées par le régime précédent : «L’Université Cheikh Anta Diop avait été fermée pendant six mois. À l’Ugb, cela s’est reproduit à maintes reprises. Ces pratiques doivent cesser.» Son collègue de Thiès, Adama Sow Kébé, trouve également les mesures injustes et répressives. Pour Sow Kébé, président de la Conférence des amicales d’étudiants de l’Université Iba Der Thiam de Thiès, cette fermeture constitue une atteinte directe au droit à l'éducation qui devrait être protégé en toutes circonstances. «Ce n’est pas la solution adéquate dans pareille situation. Elle est même discriminatoire, car dans cette même université, une Ufr continue ses enseignements au détriment des autres.»

Serigne Gackou Aïdara, coordonnateur des écoles et instituts de l’Ucad, se dit scandalisé par cette dissolution des Amicales des étudiants de l’Université de Ziguinchor qui est d’ailleurs, à son avis, contreproductive parce que compromettant de fait toute volonté de stabilisation de l’espace universitaire. Alors que le dépit de Mouhamed Maleyni Lô, président de l’Amicale des étudiants de l’Ufr Economie management et ingénieure juridique (Ecomij) de l’Université de Bambey, est perceptible à travers le téléphone. «Rien ne justifie une dissolution d’amicales et une fermeture des campus devant des revendications fondées», peste-t-il. Et c’est parce qu’il les considère légitimes et quasi communes que les organisations des universités publiques entendent mettre en branle tous les moyens pour faire face à la tutelle. «C’est une position avant-gardiste, parce que si ces mesures passent à Ziguinchor, elle pourrait se reproduire ailleurs. Nous devons dépasser des fermetures d’université ou dissolution d’amicales. C’est une décision extrême. Pour que les cours reprennent et que les Amicales fonctionnent correctement, nous n’hésiterons pas à employer tous les moyens dont nous disposons, mais nous privilégions, pour le moment, le dialogue. L’Université sénégalaise a déjà perdu assez de temps», préconise Serigne Gackou Aïdara de l’Ucad.

Abdourahmane Diouf sous le poids des promesses

Les étudiants de l’Ugb comptent, eux également, étaler leur ingéniosité pour arriver à leur fin. Le mot d’ordre de suspension des inscriptions administratives jusqu’à nouvel ordre, décrété depuis une semaine, pourrait être corsé, selon Alpha Issaga Diallo, si rien n’est fait pour diligenter leur désidérata. A l’image de Ziguinchor, Saint-Louis dénonce, à travers ce plan d’action, le non-respect des engagements pris par le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdourahmane Diouf, au cours de sa visite à Sanar. «Il nous avait promis la livraison du chapiteau du restaurant numéro 2 et la plateforme du village O. Si l’autorité ne s’attèle pas à redémarrer les travaux, non seulement ce mot d’ordre sera maintenu, mais aussi nous passerons à la vitesse supérieure. Nous ne pouvons pas continuer dans cette situation surtout que, cette année-ci, elle a décidé, en violation de l’article 3 relative à l’orientation des nouveaux bacheliers, de nous envoyer 5 500, alors qu’il n’y a pas de logements supplémentaires», argumente le président de séance de la coordination des étudiants de Saint-Louis. Il ajoute que, depuis 2021, aucun acte concret n’a été posé. La situation des restaurants est restée inchangée, renseigne-t-il, tandis que le Wifi demeure quasi inexistant dans le Campus social. A cela, s’ajoute la revendication de la construction d’un nouveau village universitaire.

La situation est similaire à Thiès où c’est le branle-bas de combat. Adama Sow Kébé : «En septembre, lors de notre rencontre, le ministre s’était engagé à faire reprendre en octobre les travaux de nos différents pavions qui devaient s’achever dans un délai de 2 mois. Rien ne s’est déroulé comme il l’avait dit et la moindre explication ne nous est donnée sur la raison du blocage. Et le ministre communique sur l’orientation des nouveaux bacheliers, faisant fi des engagements qu’il avait pris.» La Conférence des Amicales des étudiants de de l’Université Iba Der Thiam qui a déposé lundi dernier, au Rectorat, un préavis de grève devant arriver à terme le 02 décembre, compte se faire entendre à partir de cette date à travers une cessation d’activités pédagogiques et des journées sans ticket.

La reprise du chantier du complexe composé de logements de 1 000 lits, d’un restaurant de 2 000 places et d’un service médical, c’est ce que réclament les représentants des apprenants de l’Université Alioune Diop de Bambey. Pour Mouhamed Maleyni Lô, président de l’Amicale des étudiants de l’Ufr Ecomij, le Campus social supporte tant bien que mal l’effectif actuel, mais si le ministre Abdourahmane Diouf décide de faire rejoindre, d’ici mars, les 3 500 nouveaux bacheliers orientés, il devra mettre les mesures d’accompagnement. «Lors de notre rencontre, le ministre nous avait promis de construire des chapiteaux et des amphithéâtres. Nous n’avons que deux bâtiments à Bambey et deux petits amphithéâtres de 200 places chacun. Nous faisons les Travaux dirigés au Nouveau Lycée distant de 5 km. C’est le Rectorat qui met à notre disposition des bus et il y a toujours des problèmes. Le Rectorat avance des tensions de trésorerie pour ne pas nous transporter.» Autant d’engagements qui pèsent sur les épaules du ministre Abdourahmane Diouf. Des promesses que les étudiants ne se lassent de les lui rappeler. Ça sent la levée de boucliers.