« La dette restera là, elle ne disparaîtra pas par l’enchantement d’une motion de censure », a taclé Michel Barnier à la tribune, estimant que « dans quelque temps, cette réalité-là se rappellera à tout gouvernement, quel qu’il soit. » « Cette motion de censure que vous vous apprêtez à approuver, dans une conjonction des contraires, rendra tout plus grave et difficile. Voilà ce dont je suis sûr », a voulu alerter le locataire de Matignon avant le vote solennel des parlementaires.
C’est la première fois que l’activation de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution aboutit à la chute d’un gouvernement. Seul précédent : la censure du gouvernement de Georges Pompidou, le 4 octobre 1962, mais celle-ci était intervenue après le dépôt d’une motion spontanée, telle que prévue par l’article 49, alinéa 2.
« Vous chuterez dans le déshonneur »
Il fallait ce mercredi, pour renverser le gouvernement, au moins 288 voix car le seuil de la majorité absolue de 289 sur 577 députés, d’ordinaire nécessaire pour l’adoption d’une motion de censure, n’était pas requis en raison des trois législatives partielles en cours. Le groupe piloté par Marine Le Pen avait également déposé sa propre motion, mais c’est celle du NFP qui a été mise aux voix la première car elle disposait d’un plus grand nombre de signatures.
« Votre échec était annoncé et il fut finalement cuisant », a lancé depuis la tribune Éric Coquerel, le président LFI de la commission des finances. « Vous chuterez dans le déshonneur », a estimé ce proche de Jean-Luc Mélenchon, fustigeant les « tentatives de compromis avec l’extrême droite » menées par le gouvernement. « Cette aspiration à un front réactionnaire est une insulte vis-à-vis de tous les électeurs qui ont permis à vos maigres soutiens de siéger encore dans cette chambre pour faire barrage », a tonné l’élu de Seine-Saint-Denis.
Ce lundi, Michel Barnier a fait le choix d’engager la responsabilité du gouvernement pour faire adopter le budget de la Sécu. Cette décision est intervenue après plusieurs renoncements budgétaires de dernière minute, comme l’annulation de la surtaxe sur l’électricité ou la réduction des crédits alloués à l’Aide médicale d’Etat.
Autant d’annonces interprétées par les oppositions de gauche et de nombreux commentateurs comme des concessions faites au Rassemblement national, pour obtenir la mansuétude de Marine Le Pen et de ses 123 députés qui n’ont cessé de durcir le ton contre l’exécutif ces dernières semaines. Peine perdue, c’est précisément grâce aux voix du RN que la motion déposée par la gauche a pu être adoptée.
« La politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget, un tel gouvernement, un tel effondrement »
« Nous avons voulu croire que vous ne seriez pas le simple continuateur d’un système rejeté lors des dernières élections mais un bâtisseur sincère », a déclaré Marine Le Pen lors d’une prise de parole bousculée par les huées. « Vous avez refusé jusqu’au bout de retenir ne serait-ce qu’une partie raisonnable mais essentielle de nos mesures », a déclaré la députée du Pas-de-Calais à propos des nombreuses lignes rouges budgétaires qu’elle avait fixées. « Vous n’avez apporté qu’une seule réponse : l’impôt, l’impôt, toujours l’impôt ! 40 milliards d’euros d’impôts nouveaux dont 20 milliards pour les entreprises », a-t-elle dénoncé.
La fille de Jean-Marie Le Pen a également balayé les accusations du bloc central, qui lui reproche de précipiter le pays dans le chaos alors que le déficit public accuse un dérapage historique. « La politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget, un tel gouvernement, un tel effondrement ». Théorisant une éventuelle démission d’Emmanuel Macron, « président d’une République qui n’est plus tout à fait, par sa faute, la Cinquième », elle a conclu son discours sur l’alternance qui « viendra bientôt, peut-être très vite ».
Michel Barnier invoque « les lourdes conséquences » d’une absence de budget
En arrivant à la tribune à la fin de la discussion commune pour répondre à ses détracteurs, Michel Barnier a été longuement ovationné par les députés du bloc central. « Ce n’est pas par plaisir que j’ai présenté des mesures presque exclusivement difficiles dans ce budget », a déclaré le Premier ministre avant de défendre les principales dispositions portées par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. « Nous l’avons préparé en quinze jours », a-t-il tenu à rappeler.
Il a longuement détaillé les « lourdes conséquences » qu’aurait l’absence de budget avant la fin de l’année : « Perte de pouvoir d’achat pour les Français », « absence de recrutement de policiers ou de militaires », ou encore l’impossibilité de financer les mesures « très attendues » à destination des agriculteurs.
« L’incohérence des semeurs de chaos »
Au cours des autres prises de parole, les soutiens du gouvernement ont largement dénoncé l’association des voix de la gauche et du RN sur le même texte. « Il y a tant à dire sur l’alliance entre le RN et LFI qui est en train de se nouer », a estimé l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, désormais chef de file des députés macronistes, avant de citer Alexis de Tocqueville : « En politique, la communauté des haines fait presque toujours le fond des amitiés. » Il a appelé les socialistes à se désolidariser de leur alliance avec les insoumis. « Jean-Luc Mélenchon, présent dans les tribunes, a écouté religieusement l’orateur LFI, puis Madame Le Pen. Il s’est levé et est parti au moment où Boris Vallaud (chef de file des députés socialistes, ndlr) a pris la parole. Il la respecte plus que vous ! », a-t-il pointé.
« Les voix des extrêmes se mélangent créant une alliance objective pour faire chuter le gouvernement, et ensuite ? », a interrogé le député Horizons Laurent Marcangeli. Laurent Wauquiez, le président du groupe LR, a épinglé « l’incohérence des semeurs de chaos », avant d’interpeller directement la patronne des députés RN. « Madame Le Pen, vous vous apprêtez à voter pour ceux qui traitent les policiers d’assassins, vous vous apprêtez à voter pour ceux qui traitent les terroristes de résistants », a lancé l’ancien président du Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes.
Pour sa part, le PS Boris Vallaud a évoqué son « projet de non-censure pour gouverner sans 49.3 » après le départ du gouvernement Barnier. « Un Premier ministre de gauche, conduisant la politique de la Nation en cohérence avec la volonté des électeurs […], et une Assemblée qui cherche des compromis », a-t-il résumé.
A noter que le Premier ministre est désormais tenu de remettre sa démission au président Emmanuel Macron, et ce dernier devra nommer un autre Premier ministre. La tâche sera tout aussi complexe pour son successeur puisque chacun des trois grands blocs (gauche unie, camp présidentiel et extrême droite) est capable de se retirer et de faire tomber le gouvernement. Pour dénouer l'impasse, le président français ne peut déclencher de nouvelles élections, car il faut attendre un an avant la prochaine dissolution de l'Assemblée nationale, soit l'été prochain. Le gouvernement de Michel Barnier n’a pas eu le temps d’adopter le budget de 2025 qui prévoyait de réduire le déficit public à 5 % du PIB, afin de satisfaire en partie les demandes de l’Union européenne. Le nouveau premier ministre pourrait décider d'adopter un budget édulcoré, avec des concessions aux partis d’opposition, ou alors de reconduire le budget de 2024 avec un gel des dépenses de l’État.