NETTALI.COM - Revoilà le dossier Wari qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. L’affaire a été appelée lundi dernier 2 décembre 2024 en audience spéciale au niveau de la première chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar. Après plaidoiries, le tribunal a pris la ferme décision de la mise en délibéré de la cause au 6 janvier 2025 afin que le droit soit dit.
Wari, qui aurait dû être une vraie success-story, s’est terminée en queue de poisson. Pourtant, les choses semblaient bien se passer pour Wari, une société qui était devenue non seulement florissante, mais que les consommateurs avaient adopté, au point que le slogan “warima” était intégré dans le langage populaire. Wari avait étalé ses tentacules jusqu’en Côte d’Ivoire où la société de transfert d’argent a fini d’établir ses quartiers. Signe que la société se portait bien, le concept de “Wari-moi” était, en effet, lancé à Abidjan avec une forte couverture médiatique. Bien avant Orange Money et Wave qui trônent aujourd’hui sur la galaxie florissante des transferts d’argent, Wari a brillé de toutes ses étoiles sénégalaises. Mais ce n’était là que la vitrine.
Dès 2010, les quatre associés de Wari, des Sénégalais, ont fini par multiplier les procédures contre Kabirou Mbodje. Celui-ci est décrit sous les traits d’un Julian Assange, qui avait fini de profiter des révélations de Wikileaks, sans en être réellement le “cerveau”. A Wari aussi, on pense que Kabirou Mbodje a accaparé une boîte qui ne lui appartient pas tout seul, en procédant de façon quasi clandestine à des manoeuvres multiples qui l’ont hissé tout seul au sommet. Avant sa chute vertigineuse à fort fracas médiatique.
Avec la complicité de tenants de l’ancien régime, Kabirou Mbodje avait réussi à passer entre les nasses des filets de Dame Justice. Jusqu’au jour où il est arrêté à Paris et placé en détention le 3 novembre 2022 à Paris, à la prison de la Santé, pour une affaire présumée de triple viol commis en octobre 2022. Son avocat avait du reste réfuté les faits. “Mon client nie avec la plus grande fermeté les accusations portées contre lui. Il est parfaitement serein. L’instruction permettra de faire la lumière sur les faits et la réalité de ce dossier”, avait réagi auprès de l’AFP Philippe Zeller, avocat du suspect.
Sous contrôle judiciaire en France, il n’a pas pu assister à l’audience de lundi dernier de la première chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar. Motif évoqué par ses conseils qui ont brandi une lettre du juge français : ses déboires judiciaires en France. Ce qui n’empêchera assurément pas le juge sénégalais de se prononcer sur cette affaire qui tient en haleine les concernés depuis une douzaine d’années.
Rappel des faits
L’affaire opposant Kabirou Mbodje à ses ex-collaborateurs Malick Fall, Seyni Camara et Cheikh Tagué a plusieurs fois été évoquée au niveau de la justice. Selon ses anciens collaborateurs, le montant du préjudice s’élève à 22 milliards de francs CFA. Ce montant est réparti comme suit : (Wari 16 milliards F CFA et Interactive 6 milliards F CFA).
Selon Malick Fall, s’expliquant sur la genèse de la crise lors d’une audience au niveau de la deuxième chambre du tribunal correctionnel de Dakar, c’est en 2008 que Wari a été légalement créée. De société à responsabilité limitée, la start-up est passée à une société anonyme. Partis de zéro pour faire de Wari le leader sur le marché, Malick Fall et Cie reprochent à Kabirou Mbodje de les avoir écartés de la société qu’ils ont créée ensemble.
Le prévenu aurait orchestré des manoeuvres frauduleuses pour les appauvrir. Ce, en maquillant les résultats de la société pour justifier une augmentation de capital. “Il a volontairement caché le capital de 2012. Il a dissimulé les résultats pour ne pas faire une augmentation par réserve. Il l’a fait pour justifier qu’on n’a pas suffisamment de fonds propres. L’augmentation du capital nous a dilués”, déclarait Malick Fall.
“Nous trois avions 39 %. En 2013, Kabirou augmente le capital, en le multipliant par 10. Alors que la société s’offrait des 4x4 et autres privilèges, il est venu dire que la société bat de l’aile et qu’il faut augmenter le capital à hauteur de 300 millions. De 39 %, on s’est retrouvé avec un peu plus de 3 %. Il a falsifié les états financiers”, renchérit Malick Fall.
Quant à Seyni Camara, il relève que, depuis la création de Wari et de la société Interactive, ils n’ont reçu aucun sou. D’après eux, Kabirou Mbodje a détourné les fonds pour créer sa propre société, avec le silence coupable de l’inspecteur aux comptes. Seyni Camara relève que ce dernier n’a jamais accepté de leur remettre les rapports sur le contrôle des comptes de la société. “Cela fait 10 ans qu’on court derrière ces documents. Le commissaire aux comptes était resté introuvable”, s’est-il désolé au cours de l’audience.
L’homme, que les parties civiles accusent d’être de mèche avec le prévenu, a pourtant été entendu à la barre, en tant que témoin. Dans ses déclarations, Louis Gérald Gari avoue : “J’étais chargé d’effectuer les contrôles, pour les années 2013, 2014 et 2015. J’ai fait deux rapports que j’ai remis à l’Ofnac. Je n’ai pas répondu à l’interpellation des plaignants, car ils m’indiquaient ce que je devais faire. J’ai noté des incertitudes que j’ai mises dans mon rapport d’opinion. Les incertitudes concernent le transfert de fonds vers d’autres filiales.”
Pour conforter ses propos, il annonce qu’il détient ces documents que les parties civiles ont eu du mal à avoir, pendant une décennie. Pour une meilleure compréhension de cette affaire, le juge avait d’ailleurs emprunté les rapports au témoin, afin de les étudier, ainsi que les conseils des parties civiles.
Quant à Kabirou Mbodje, cité dans ce dossier, il brille par son silence et son absence à la barre. Considéré comme un self made man à la fois audacieux et dur en affaire, son ascension été freinée suite à sa mise à l’écart dans le processus d’acquisition de Tigo Sénégal au profit du groupe du milliardaire Yérim Sow, de Xavier Niel, Patron de Free et du groupe Axian de la famille malgache Hiridjee.
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