NETTALI.COM - Entre Ousmane Sonko et Barthélémy Dias, l'idylle s'est vite muée en guerre des tranchées. Autrefois empreints d'une grande cordialité, leurs rapports ont aujourd’hui pris une tournure explosive. L'affrontement a atteint un niveau de tension inédit, franchissant un point de non-retour. Analyse d'une rivalité politique irréversible.
La belle photo a perdu de son éclat, jaunie par le temps et les désillusions. Cet après-midi de juillet 2022, la coalition Yewwi Askan Wi (Yaw), en campagne électorale pour les Législatives, fait vibrer les rues de la capitale. En vedettes, Ousmane Sonko, leader de Pastef, et Barthélémy Dias, tête de liste départementale à Dakar, l'image d'unité est belle. Tout sourire, les deux hommes arborent fièrement le drapeau national, incarnant l'espoir d'une opposition radicale, rassemblée et radicale, vers un objectif unique et commun : combattre Macky Sall.
Figures de proue de Yaw et symboles d'une alliance et d'un personnel politique neuf et jeune, le maire de Dakar et le leader de Pastef/Les Patriotes se posaient en parfaits amis et jumeaux inséparables, toujours l'un à côte de l'autre, échangeant des rires francs et des chuchotements malicieux, empreints d'une grande complicité et connivence.
Mais l'histoire a depuis un certain temps pris un virage brutal. Les sourires ont disparu, effacés par les tensions. Barthélémy Dias et Ousmane Sonko ne figurent plus sur la même affiche électorale. Les masques sont tombés, révélant une fracture profonde. L'idylle politique s'est brisée, laissant place à des rapports tendus, voire même explosifs.
Pourtant, tout semblait les prédestiner à une entente solide. Relativement jeunes, populaires et ambitieux, ils avaient de quoi former un duo redoutable. Mais leurs trajectoires se sont croisées pour mieux s'entrechoquer. Ce qui semblait être une alliance durable s'est muée en une rivalité acharnée, où les ambitions personnelles ont pris le pas sur la camaraderie. Amis d'hier, adversaires d'aujourd'hui, Barthélémy Dias et Ousmane Sonko incarnent désormais les frères ennemis de la politique sénégalaise. «C'est un choc des ambitions. Chacun a des ambitions qui lui sont propres», analyse Babacar Dione, journaliste et expert politique. Une complicité prometteuse, sacrifiée sur l'autel des intérêts
Idylle, complicité, attaques, violation de la charte de Yewwi…trahison
Dans l’opposition Ousmane Sonko et Barthélémy Dias jouaient dans la même cour. L’un de Pastef, l’autre de Taxawu Sénégal, ils apparaissent comme les deux faces d'une même pièce. On croit déjà tout savoir de leur histoire. Ils ont les mêmes objectifs. Le même ennemi. Macky Sall, est l’homme à abattre.
Premier test réussi : les Locales. Ousmane Sonko défend fortement Barthélémy Dias face à Khalifa Sall qui lui aurait préféré Soham Wardini. Barthélémy Dias est confirmé tête de liste et va à l’assaut de la mairie de Dakar avec le soutien de Ousmane Sonko. Yewwi Askan Wi brise les codes et bouscule le baobab Benno Bokk Yakaar (Bby). Barthélémy Dias est élu maire de Dakar au grand bonheur de Ousmane Sonko. Barth jubile. Les frères jumeaux s’embrassent. Ils vivent leur intimité, sans heurts. Barth se plaît même à appeler Ousmane Sonko "Domou Ndeye". Il est son farouche défenseur face au régime de Macky Sall dans l’affaire "Adji Sarr".
Deuxième test : Les Législatives. Barthélémy Dias est encore confirmé tête de liste de Dakar et atterrit à l’Assemblée nationale, là où Ousmane Sonko, tête de liste nationale, est privé du Parlement, après l’invalidation de la liste des titulaires. Au sein de Yaw, tout est presque parfait. Sauf que dans leur charte, la confiance et l’entente y occupent une bonne place. Mai 2023, Barthélémy Dias organise le Forum de l’Économie, Sociale et Solidaire, avec la ville de Dakar. Sonko brille par son absence. Macky Sall y répond présent. Il se permet même l’accolade, des tapes amicales et échanges d’amabilités avec Khalifa Sall et Barthélémy Dias.
Premier heurt : Barth déclare : «J'ai invité Ousmane Sonko au forum mondial, mais il a refusé de venir. Je prends acte. Mais je pense qu'on doit faire preuve d'élégance.» Dans le même mois, Macky Sall invite la classe politique au dialogue national. Yaw décline. Taxawu répond. Ousmane Sonko est dans tous ses états. Il accuse Taxawu de deal avec Macky Sall. Barth lui rétorque qu’il est au courant de tout. Entre accusations et contre-accusations, les deux se livrent à une guerre par presse interposée. Les mots volent bas. Yaw se radicalise et vire Taxawu de la coalition pour violation de la charte de la Coalition, pour trahison, actes de défiance à l'égard du groupe parlementaire et de collusion avec Benno Bokk Yakaar. Cela intervient aussi après l’éviction du responsable de Pastef Abass Fall de son poste de premier adjoint au maire de la ville de Dakar. Le ton est haut entre les deux. Connu pour sa pondération, Khalifa Sall ne réagit presque pas, mais Barth’ cogne et tire sur tous. Puis Ousmane Sonko est emprisonné. On accuse encore Taxawu d’avoir sacrifié le leader de Pastef. La suite on la connaît. Sonko sort de prison, auréolé de gloire, son candidat Bassirou Diomaye Faye passe au premier tour de la Présidentielle avec 54%, là où Khalifa Sall, candidat de Barth, peine à dépasser le cap des 1%. Barth se fait tout petit et se concentre sur sa mairie. Les élections législatives de novembre dernier ravivent les choses. Barth est tête de liste de Samm Sa Kaddu, Sonko, tête de liste de Pastef. La dernière semaine de campagne est décisive. Barth et Sonko déterrent la hache de guerre. Les mots sont violents. Le ‘’Gatsa Gatsa’’ reprend sa place. Barth voit 84 membres de sa garde rapprochée arrêtés. La tension monte. Le feu couve. Le 17 novembre, Sonko confirme toute sa suprématie. Il obtient 130 députés. Barth en a trois. Au lendemain de l’installation, Barth est radié de l’Assemblée. La messe semble dite. Ci-git l’idylle entre Sonko et Barth.
«C’est une guerre de leadership, il fallait que quelqu’un meure»
Une fin bien triste, mais qui ne surprend guère Babacar Dione. Il dit : «Dans un premier temps, on avait l’impression qu’ils avaient tous accepté de faire de Ousmane Sonko leur leader, de manière tacite. Sonko était de fait le leader de Yaw. Ils ont donné trop de place à Ousmane Sonko. Barthélémy Dias était au cœur du combat de Sonko. Sonko avait besoin du soutien de l’opposition et de Barthélémy Dias surtout dans cette affaire Adji Sarr. Barth a joué son rôle de soutien à Sonko. Sonko était toujours au-devant de la scène et les autres leaders venaient en appoint, cela a renforcé leur relation. Mais, tout le monde savait que Barth, tout en étant aux côtés de Khalifa Sall, se préparait pour l’après-Khalifa Sall et Sonko n’a pas caché son ambition d’être candidat à l’élection présidentielle. Leurs chemins se sont séparés.» Pour comprendre cette séparation, il faut, selon Babacar Dione, tout ramener à la politique. «C’est la politique qui les avait réunis et c’est la politique qui les a séparés. Je ne voyais pas une sincérité, une amitié profonde, une relation en dehors de la politique. C’était une rencontre circonstancielle. Quand ils avaient les mêmes objectifs politiques, ils étaient obligés d’être ensemble. Malheureusement, leurs ambitions se sont entrechoquées. Il fallait que quelqu’un meure entre Ousmane Sonko et Barthélémy Dias. En un moment donné, ils ont tu leurs egos pour être ensemble, mais après, quand ils ont senti que leurs chemins devaient se séparer. Barthélémy Dias se battait pour être plus représentatif que Pastef.» Il y a surtout, selon Babacar Dione, un choc entre génération. «Chacun était obligé de se frayer un chemin et malheureusement, cette génération ne pouvait créer un seul leader, un seul patron. Il ne pouvait y avoir qu’un seul chef dans cette opposition. Sonko et Pastef étaient dans dynamique de guerre et à un moment donné Taxawu ne pouvait pas emprunter cette voie. Pastef était fort dans la confrontation. En négociant avec Macky, Taxawu a montré qu’il n’était pas dans la rude confrontation.»
«Le clash était inévitable»
Une différence de style a alors eu raison de la complicité entre Barth et Sonko. Mamadou Sy Albert conforte l’analyse de Babacar Dione. «Le clash était inévitable. C’est une guerre de leadership et d’ego. Taxawu aurait aimé que Khalifa Sall soit le Président, Pastef était sûr de gagner. Comme c’est Barthélémy Dias qui est de la même génération que Ousmane Sonko, il s’est dressé face à lui pour porter le combat de Khalifa Sall. Il pensait que c’était son heure et il a voulu coûte que coûte prendre la place de son mentor pour relever le défi générationnel. Il y avait quelque part quelque chose de personnel, un ego surdimensionné. On le voit même, il ne critique pas la ligne ou les orientations du Pastef, Dias critique Ousmane Sonko en personne.» Mamadou Sy Albert croit savoir que la participation de Taxawu au dialogue a envenimé les choses puisque Pastef avait décidé de boycotter le dialogue. «Certains ont commencé à l’appeler Judas. C’est ce jeu trouble qui fait que Barthélémy Dias s’est radicalisé, Pastef en a fait de même. Il y avait la Présidentielle en perspective. Pendant la campagne, il n’y a pas de conflit ouvert, mais la défaite de Khalifa Sall a cristallisé les divergences parce que Pastef gagne au Premier tour. Pour Pastef, Taxawu s’est compromis avec le Président Macky Sall pour que Pastef n’ait pas de candidat. C’est tout ça qui a créé un climat délétère entre Pastef et Taxawu.» Selon lui, la dernière élection n’était que le prolongement de la Présidentielle.
«Barthélémy est venu en tant que tête de liste et pour lui, son alter égo, c’était Ousmane Sonko. Sa campagne a été marquée par un discours virulent, avec une violence inouïe et tout cela a contribué à les éloigner davantage.» Ça, c’est le présent. Ousmane Sonko et Barth peuvent-ils se retrouver ? Babacar Dione : «Il y a des possibilités qu’ils se retrouvent. Il faut regarder l’exemple de Karim Wade et Macky Sall. Est-ce que Macky Sall n’a pas fait pire à Karim Wade que Sonko en a fait à Barthélémy Dias ? Barth n’a pas été emprisonné par Sonko. Ils lui ont fait perdre un mandat. Tant que les ambitions de Barthélémy Dias resteront intactes, tant qu’il essaiera de devenir président de la République, ils vont se mettre en confrontation, mais il arrivera un moment où, ils seront obligés d’être ensemble parce qu’ils auront les mêmes objectifs.» Qui sait ? En politique, les alliances se font et se défont en une nuit, dit-on.