NETTALI.COM - L’idylle d’autrefois entre Ousmane Sonko et Barthélémy, deux « Domou Ndèye » (frères jumeaux) que l’idéal politique semblait unir, s’est, dans le temps, progressivement muée en désamour et adversité, exacerbés par des tensions cycliques. 

Leurs rapports étaient à la vérité devenus exécrables, marqués par de l'hostilité manifeste, du déballage sans bornes et du dénigrement presque permanent. Pouvaient-ils survivre à un environnement politique sénégalais où ce sont les alliances de circonstances sur fond d'intérêts qui prédominent ? Un aspect que beaucoup occultent dans l'analyse, oubliant que les deux hommes sont jeunes, de la même génération, d’un tempérament va-t’en guerre, avec une ambition en bandoulière qu’ils ont en commun. Deux béliers, pour reprendre un adage wolof, pouvaient-ils continuer à cohabiter dans le même enclos ? L’idylle s’est en tout cas terminée par un jeu de la mort, à la façon Bruce Lee. Tant que l'alliance permettait de renforcer chacun des deux jeunes loups, tout pouvait aller.

Les germes de la tension étaient en réalité semés depuis la période du dialogue national organisé par l’ancien président Macky Sall, en mai 2023. Les deux n’avaient cessé de s’accuser mutuellement de trahison. N’oublions pas également l’épisode de ce qui est considéré comme une éviction anormale d’Abasse Fall, du poste de premier adjoint au maire de Dakar. Au nom de la parité, il avait été remplacé par Ngoné Mbengue de « Taxawu Sénégal », suite à un vote qui l’avait opposée à Marie Rose Faye de Pastef. Une pilule difficile à avaler à l’époque, mais enfouie quelque part sous la langue.

Et puis arriva l’escalade de la violence. De l’appel d’Abass Fall du Pastef à ses militants à prendre leur revanche, avec armes, couteaux, machettes etc pour se venger, en passant par le saccage, à 4 heures dans la même nuit, du siège du parti "Taxawu Sénégal", pris d’assaut et incendié, jusqu’à ces attaques de Saint-Louis avec ses blessés, suivie de l’emprisonnement de 81 agents de sécurité de Taxawu.

Mais qu’est-ce qu’ils ont ce don pour les retournements de vestes, nos chers politiciens ! Dans cette opération de dépossession de Barthélémy Dias de ses mandats de député et de maire, le camp d’Ousmane Sonko a semblé devenir tout d’un coup amnésique. C’est vrai qu’avec les politiciens, la loi est tantôt bonne, tantôt mauvaise, et dans certaines situations, ils n’en font même pas référence. C’est selon… Tout n’est en réalité, avec eux, qu’une question de circonstances et d’intérêt.

Il n y a pourtant guère longtemps, rappelons-le, Ousmane Sonko himself défendait Barthélémy Dias contre la tentation de Macky Sall de retirer à ce dernier, ses mandats de députés et de maire de Dakar, en « instrumentalisant la justice ». Il avait en effet estimé que c’est le peuple qui avait choisi Barthélémy Dias et voulait bien de lui malgré le qualificatif « d’assassin » qu’on lui collait.

Qu’est-ce qui a changé entre temps ? Barthélémy Dias n’est-il plus le choix des électeurs de Dakar pour être leur maire ? Autre temps, autre époque, les vérités d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui.

Et pourtant, Macky Sall dont le leader de Pastef dénonçait la tentation de récupérer les mandats de Barth, les a laissés intacts, malgré la condamnation de Barth devenue définitive sous son règne. Mais, ironie de l’histoire, c’est le camp de ce cher Sonko qui les lui arrache aujourd’hui, et tour à tour.

Une révocation qui passe mal 

Et même si on peut supposer que l’acte est fait sous le sceau de la légalité suivant les arguments avancés dans le camp de Pastef, la question de sa légalité et son caractère éthique sont discutés.

Selon un des avocats du pool commis par Barthélémy Dias, les choses vont bouger. «Nous avons déposé les requêtes. Deux recours sur la radiation à l’Assemblée nationale et la révocation à la mairie de Dakar.» «Il y aura des recours pour excès de pouvoir devant la Cour d’Appel, mais nous n’avons pas encore validé le document», a-t-il précisé.

Selon lui, le délai étant suspensif, Barth, jusqu’à preuve du contraire, reste maire. Quand est-ce que la Cour d’Appel devra rendre sa décision ? «Il n’y a que la juridiction saisie qui peut se prononcer.»

Sur les ondes de la RFM, le leader du mouvement Taxawu Sénégal, Khalifa Sall a apporté son soutien à son poulain. « Pourquoi le ministre de la justice a-t-il attendu qu’il soit réélu, qu’il ait une deuxième légitimité, pour agir ?», s’est-il d’emblée interrogé avant de souligner le caractère «gênant» de cette démarche qu’il qualifie d’« inacceptable».

Abdou Mbaye, ancien Premier ministre et leader de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT), a lui exprimé son indignation via sur Facebook. “Je pensais très sincèrement que la méchanceté en politique était condamnée à disparaître avec l’avènement du nouveau régime. Mais la continuité est de mise”, a-t-il fustigé, appelant le gouvernement à se concentrer sur les priorités sociales des Sénégalais.

De son côté, Samba Ndong, haut conseiller, a dénoncé un manque de cohérence de la part du nouveau régime. “Cette révocation ne respecte pas la parole donnée. La loi doit être appliquée dans toute sa rigueur, mais encore faut-il que cela soit juste”, a-t-il ajouté. Il met en avant le caractère équivoque des textes juridiques applicables à la situation du maire de Dakar.

L’affaire met en lumière un vide juridique relevé par Ndiaga Sylla, expert en droit électoral. L’article L.277 du Code électoral stipule que la décision de déclarer un conseiller municipal démissionnaire devient exécutoire, sauf recours devant la Cour d’appel dans les dix jours suivant la notification. Or, selon Ndiaga Sylla, “il fallait préciser le caractère suspensif du recours”. Cette lacune rend l’interprétation de la loi sujette à controverse. De plus, les conditions d’inéligibilité énoncées dans les articles L271 à L276 ne prévoient pas explicitement la situation de Barthélemy Dias. Cela pose un problème d’interprétation qui renforce les doutes sur la légalité de la décision prise par les autorités.

Élimane Kane, membre influent de la société civile, s’interroge : “Après Khalifa Sall et Ousmane Sonko, à qui le tour ? Hier, c’était Khalifa Sall, aujourd’hui, c’est Barthélemy Dias. Demain, ce sera le tour d’un autre opposant redouté.” Pour lui, cette succession de cas montre une tendance inquiétante où des opposants politiques, souvent populaires, se retrouvent exclus du jeu politique, à la suite de condamnations judiciaires ou administratives.

Le juriste Samba Ndong, tout en reconnaissant la nécessité d’appliquer la loi, pointe un paradoxe : “Barthélemy Dias est élu au suffrage universel direct. Être élu par ce biais est différent des scrutins d’autrefois où il fallait être conseiller municipal avant de briguer le poste de maire.” Pour lui, le vide juridique actuel ne permet pas de trancher avec certitude la légalité de la révocation.

Toujours est-il que pour l’heure, Barthélémy Dias est révoqué (en attendant son recours ) et bouté hors de la mairie par des forces de l’ordre qui auraient pu faire preuve d’un peu plus de retenue dans leur manière d’interrompre la conférence de presse programmée.

Il est en tout cas bien loin le jour où nos politiciens décideront d’agir pour des raisons de démocratie réelle, plutôt que pour des questions de règlements de comptes politiques sous-jacents, drapés du voile du droit.

Une histoire politique sénégalaise, marquée par des règlements de comptes

Qu’est-ce qu’ils sont féroces entre eux, nos chers politiciens ! Surtout lorsqu’ils cherchent à conserver leur pouvoir ou à éliminer un adversaire gênant. De Senghor à Macky, en passant par Diouf et Wade, l’histoire se répète de manière têtue et nous montre que chaque président a, à sa façon, réglé ses comptes avec l’opposant du moment.

Senghor a eu son moment avec Mamadou Dia, alors que c'était l'idylle parfaite entre eux les deux, à un moment donné. Abdou Diouf a eu le sien avec Wade qui a été maintes fois emprisonné. De même que Wade avec Idrissa Seck dans l’affaire des chantiers de Thiès qui accouchera du fameux protocole de Rebeuss ; sans oublier Macky Sall qui était convoqué à un moment donné à la sûreté urbaine dans une affaire de supposé blanchiment d’argent. Macky n’est pas en reste, il a eu son moment avec Karim Wade, finalement condamné pour enrichissement illicite avant d’être élargi de prison et exilé à Doha ; de même qu’avec Khalifa Sall, révoqué de la mairie de Dakar pour escroquerie sur des deniers publics ; tout comme son récent règlement de comptes avec Ousmane Sonko, jusqu’à son emprisonnement et l’amnistie qui s’ensuivra. Et voilà que maintenant Sonko et ses partisans se mettent à déposséder Barthelemy Dias de tous ses mandats.

Une révocation de Barth de son mandat de maire qui n’est pas sans rappeler celle de Khalifa Sall même si ce ne sont pas pour les mêmes raisons. C’est en effet en 2017 que les ennuis judiciaires commencent pour l’ancien patron des Jeunesses socialistes. Il est notamment accusé d’avoir profité de ses fonctions pour « détourner » la somme d’un milliard 800 millions de FCFA. Khalifa Sall est incarcéré depuis dans l’affaire dite de la « caisse d’avance » de la mairie de Dakar et est condamné à 5 ans de prison le 30 mars 2018, une peine confirmée par la Cour d’appel de Dakar, le 30 août 2018, et la Cour suprême, le 3 janvier 2019. Il sera révoqué de ses fonctions de maire de la capitale sénégalaise, au lendemain de la confirmation de sa condamnation par la Cour d’appel.Khalifa Sall va recouvrer ainsi la liberté après plus de deux ans de détention. Il a bénéficié d’une remise de peines intégrale avec ses codétenus Mbaye Touré et Yaya Bodian. Privé de ses droits civiques dans l’affaire de la caisse d’avance, Khalifa Sall n’a pas  pu se présenter à l’élection présidentielle de 2019.

Ironie du sort, celui qui avait fait cavalier seul, sous la bannière de « Taxawu Dakar » pour se faire élire à la tête de la mairie Dakar avant de la perdre après des ennuis judiciaires, sera remplacé par un de ses lieutenants les plus en vue, Barthélémy Dias lors des élections locales de 2022.

M. Dias sera lui aussi rattrapé par ses ennuis judiciaires qui remontent à 2011. En 2017, il avait été condamné pour « coups mortels », dans l’affaire de l’attaque de sa mairie de Mermoz-Sacré-Cœur, à deux ans de prison, dont six mois ferme, ainsi que des dommages et intérêts de 25 millions de francs CFA à verser à la famille de la victime. Le verdict a été confirmé en appel en septembre 2022. En décembre 2023, la Cour suprême avait rejeté le pourvoi introduit par les avocats de Barthélémy Dias. Lors de l’ouverture de la session parlementaire, le ministre de la Justice a officiellement saisi le bureau de l’Assemblée nationale pour procéder à la révocation du mandat de M. Dias.

En application des dispositions de l’article 61 dernier alinéa de la Constitution et l’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, dernier alinéa, le bureau de l’institution parlementaire, réuni le jeudi 5 décembre 2024, a procédé à la radiation de M. Barthélémy Dias. Après l’Assemblée nationale, l’opposant Barthélémy Dias a été déchu de son poste de maire de Dakar.

L’affaissement du niveau des politiques et de la politique

Tout cela pour dire qu’on n’est pas sortis de l’auberge avec de telles pratiques politiciennes. L’on est, de nos jours, de plus en plus versés dans les intrigues politiciennes, que dans la vraie politique qui doit conduire à des débats constructifs centrés sur les grandes réformes de l’Etat et ses grands chantiers, tels que l’industrialisation du pays, la politique agricole, l’emploi des jeunes, la formation, l'organisation du secteur des transports etc.

La politique, telle qu’elle se mène sous nos cieux, n’est pas à la vérité, productrice de progrès démocratique et encore moins d’un quelconque renforcement des institutions. Cela est sans doute lié à l’affaissement du niveau des politiques (comme des autres secteurs d’ailleurs de la vie nationale), avec un débat de plus en plus au ras des pâquerettes, teinté de propos incendiaires et violents, sur fond de discours populistes, au point que le seul génie déployé est de type musculaire. Il y a comme une sorte de carence qu’on cherche à camoufler avec la poussière de la meute. Disons que la politique s’est gravement dépréciée sous nos Tropiques.

Il y a aujourd’hui comme une sorte de « rachitisation » continue des us et codes. La culture tik-tok ou fast-food empêche les jeunes loups de la politique de proposer à leurs cibles, en majorité des jeunes, d’ailleurs de moins en moins cultivés avec un niveau d’études qui se déprécie de plus en plus, et acquis à leur cause, des contenus structurés qui vont leur permettre d’avoir plus de lisibilité sur la gestion de la cite et sur l’avenir qu’on leur propose.

De ce point de vue, il y a une nette différence entre les hommes politiques actuels et leurs aînés, mieux formés politiquement et plus cultivés. Ce sont ces hommes-là à l’intégrité reconnue (Amadou Makhtar Mbow, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Mamadou Lamine Loum, etc), à qui nous devons les Assises nationales, ou plus exactement le projet de réforme des institutions d’ailleurs toujours d’actualité. UN document synthétique de référence, produit grâce à une approche inclusive de tous les pans de la société sénégalaise dans la transpiration et l’éthique discursive.

On oublie souvent que la politique n’a pas commencé dans ce pays en 2012, ni en 2019 et encore moins en 2024. Et qu’à des moments déterminés de la vie de cette jeune nation, les vertus de la discussion et l’intelligence consensuelle ont régulièrement pris le dessus sur les instincts basiques, guerriers, fermés et souvent suicidaires.

Il est d’ailleurs bien incompréhensible, avec toute l’expérience politique acquise par notre pays, depuis plus d’un siècle, qu’on en arrive là.

Mettre fin à la persécution de l’opposant et donner du sens à la liberté d’expression

Si l’on veut se prémunir contre les tentations de ceux qui sont au pouvoir, quels qu’ils soient, de soumettre leurs opposants, nous devrons œuvrer à nous débarrasser de toutes ces peines accessoires dans les décisions de justice qui amènent à déclarer tel ou tel homme politique inéligible ou conduire à le déposséder de son mandat. La France dont nous avons hérité cet aspect du droit, a évolué depuis longtemps sur ce plan, alors que nous en sommes toujours à débattre sur ces sujets.

De même, nous devons nous débarrasser de toutes ces lois liberticides (articles 56 à 100 du Code pénal, 39 du Code de procédure pénale …) qui semblent plus être votées pour servir d’arme à l’exécutif avec pour objectif de neutraliser de l’opposant, voire tous ceux qui cherchent à faire entendre leurs voix, au nom de la liberté d’expression.

Les Assises de la justice ont produit un rapport, la majorité est aujourd’hui acquise par le pouvoir actuel. Il s’agit dès lors de mettre en pratique toutes les réformes en tenant compte de ces recommandations, de manière à avoir non seulement une justice plus indépendante, mais également une justice plus efficace qui prendra davantage en compte les aspirations du peuple.

De même, le mode de scrutin dans le cadre des élections législatives pourrait être changé dans le sens de faire des députés, des représentants de leurs circonscriptions, plutôt que des armes à la disposition des majorités mécaniques qui continueront à les utiliser pour lever le doigt sans parfois même savoir ce qu’ils votent et pourquoi ils votent.

Refusant d'abdiquer, suite à sa révocation, le lundi matin 16 décembre, le désormais ex-maire de Dakar, Barthélémy Dias, lors d’une visite de chantier des routes à la Cité Keur Gorgui, a été confronté à un déploiement d’un dispositif policier inattendu. Plus surprenant encore, l’accès à l’Hôtel de Ville a été interdit aux agents municipaux et aux élus. Une situation inédite et lourde de conséquences pour l’administration de la capitale, selon la cellule de communication qui dénonce un véritable rouleur compresseur de l’Etat sur Barthélémy Dias.

Un mandat de 5 ans en tout cas, ça passe vite. Et il est bien difficile de ne pas trouver un homme politique sur terre qui ne pense pas à sa réélection. Avec un peuple sénégalais aussi versatile, il faut vraiment ne pas avoir expérimenté l’histoire politique de ce pays de gens très émotifs pour poursuivre sur la voie de l’acharnement contre un opposant donné.

Le camp de Pastef, dans un passé récent, nous a fait siffler les oreilles avec l’argument selon lequel, il a hérité d’un pays en ruines. Une raison suffisante pour se consacrer aux urgences d’un pays qui a besoin de se réarmer au plan éthique et moral, de redresser les entreprises publiques pour la plupart sous perfusion, de trouver des financements pour l’économie, etc. Bref, de quoi mettre en route l’agenda 2050 qui nécessite tant de réformes et d’engagement. Surtout que le président Diomaye Faye avait fait savoir qu'ils ne sont pas là pour adopter une posture vindicative. Mais parfois, ce que l'on fait, est plus important que ce qu'on dit.