NETTALI.COM - La vague de licenciements se poursuit dans plusieurs sociétés et entreprises publiques. Port autonome de Dakar (Pad), Eiffage Sénégal, Hôtel Radisson de Diamniadio, Fongip, Anaser… autant de structures où les employés se retrouvent sur une corde raide. Face à cette situation, les organisations syndicales tirent la sonnette d’alarme et dénoncent une spirale de décisions qui fragilisent davantage les travailleurs dans un contexte économique déjà tendu.

C’est la dernière affaire connue du grand public, rapportée à grand renfort médiatique, mais certainement pas le dernier cas de licenciement d’une grande ampleur en date. Au Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip), plusieurs agents ont été licenciés par l’Administratrice générale, Ndèye Fatou Mbodj. Les motifs avancés pour justifier ces renvois sont des absences non justifiées, selon la Direction du Fongip. Mais du côté des employés, qui ont saisi l’Inspection du travail, les absences en question remontent à avant l’arrivée de Mme Mbodj. «Certaines personnes reçoivent des demandes d’explications et, même après s’être justifiées, sont renvoyées vers les Ressources humaines», souffle une source proche des concernés. Du côté de la Direction, la version est tout autre. «La demande d’explications n’est pas un motif de licenciement. Les agents concernés, qui ont accumulé plusieurs jours d’absence, n’ont pas fourni de justificatifs recevables», soutient le responsable de la communication.

Certains employés ont été réaffectés, mais pour d’autres, les licenciements sont actés. Interpellée par la Rfm, Ndèye Fatou Mbodj s’explique avec fermeté : «Il y a eu des licenciements, parce qu’il y a des agents qui ont plus de 80 jours d’absence non justifiés, des agents qui ont été recrutés et qui n’ont même pas le Bac et qui occupent des postes de responsabilité. Il y a des chauffeurs qui sont recrutés et qui n’ont pas de permis de conduire. C’est un scandale !» Face à ces irrégularités, l’Administratrice affirme qu’elle ne reculera devant rien. Mais tandis que la polémique enfle, le bras de fer entre la direction et les employés laisse entrevoir un dossier sensible aux multiples répercussions sociales.

1 000 personnes ont perdu leur emploi en août

Les séries de licenciements dans les entreprises publiques se multiplient depuis un certain temps. A l’Agence nationale de la sécurité routière (Anaser), le climat entre les employés et le Direction est délétère. Les agents de la boite dénoncent de graves dysfonctionnements et une  gestion est entachée de violations flagrantes des dispositions légales et réglementaires en matière de droit du travail. Ils reprochent au Directeur général, Atoumane Sy, nommé au mois de juillet dernier, de procéder à des licenciements successifs et abusifs, de soumettre le personnel à des pratiques managériales contraires aux principes fondamentaux de respect et de dignité dans les relations de travail. En outre, des cadres expérimentés et essentiels à la mission de l’agence se retrouvent menacés par des mesures de redéploiement envisagées dans des conditions ni concertées ni organisées, suscitant une vive inquiétude au sein du personnel. Et parallèlement, le Dg procède à de nouveaux recrutements, dénoncent les agents, qui sollicitent l’intervention des autorités compétentes. L’hôtel Radisson de Diamniadio n’est pas en reste. 26 travailleurs ont été renvoyés ce mercredi. En mouvement d’humeur, les employés ont déversé leur bile sur la direction de l’hôtel.

«La direction avance des raisons économiques pour justifier les licenciements en série dont nous sommes victimes, alors qu’après avoir remercié des travailleurs, leurs remplaçants turcs prennent immédiatement service. C’est le cas de tous les chefs de département qui ont été remplacés par des Turcs», explique Omar Dieng, Président du Collège des délégués du personnel. A l’en croire, la direction de l’hôtel est dans la dynamique de remplacer tout le personnel par leurs compatriotes turcs. Dans une note en date du 23 octobre 2024, adressée au Collège des délégués du personnel, la direction de l’hôtel affirme avoir respecté les dispositions légales, notamment les Articles L60 à L62 du Code du travail sénégalais, et avance comme motifs justificatifs une amélioration des standards de sécurité, la satisfaction de la clientèle et une plus grande efficacité opérationnelle. Mais pour les syndicats, il s’agit avant tout d’un désengagement vis-à-vis des obligations sociales, au profit d’une logique purement économique. Au Port autonome de Dakar (Pad) également, des employés ont perdu leur travail. Il s’agit de plus de 700 contractuels temporaires qui n’ont pas été renouvelés, au mois de juillet. La direction a évoqué des contrats arrivés à terme et non renouvelés suite à une mission d’audit. L’intersyndicale a dénoncé des licenciements abusifs et une mauvaise gestion du Dg Waly Diouf Bodian. Du côté d’Eiffage Sénégal, ce sont plus de 1 000 personnes qui ont perdu leur emploi au mois d’août. L’entreprise française a dû arrêter ses chantiers à cause de dettes de l’Etat.

«On ne peut parler de création d'emploi en licenciant des employés»

Cette vague de licenciements et d’arrêts de travail, véritable drame social pour des employés soutiens de famille, ne laisse pas indifférentes les organisations syndicales. Secrétaire général de la Cnts/Fc (Confédération nationale des travailleurs du Sénégal/Forces du changement), Cheikh Diop déplore la situation. «Cette vague de licenciements et de violations des droits des travailleurs est en contradiction avec les objectifs que visent les nouvelles autorités depuis leur arrivée. Parce qu'on a noté dans leurs discours, la volonté de renforcer l'emploi, notamment l'emploi des jeunes. Ils ont également envisagé de convoquer la quatrième Conférence sociale sur l'emploi et l'employabilité des jeunes. Ce sont des thèmes de référence dans la nouvelle gouvernance du pays, et ces vagues de licenciements sont en contradiction avec cette volonté et cette orientation que nous voulons donner à la politique de l'emploi, à l'emploi tout court.» M. Diop rappelle que création d'emploi rime avec renforcement de l'emploi déjà existant. Et pour renforcer l’existant, il faut d’abord respecter les droits des travailleurs dans leur intégralité. «Le respect des droits des travailleurs participe au renforcement de l'emploi déjà existant, qui fait avec la création de l'emploi, la politique de l'emploi, globalement. Donc, on ne peut pas parler de création d'emplois et de bonne politique d'emploi, tout en licenciant. Voilà pourquoi nous pensons qu’il faut mettre un terme à ces licenciements et à la perte des emplois déjà existants, pour véritablement parvenir à une bonne politique d'emploi.» Le Sg de la Cnts/Fc annonce que très prochainement, les organisations syndicales faîtières envisagent de rencontrer les autorités pour discuter de toutes ces difficultés qui assaillent le monde du travail.

Lamine Fall, Secrétaire général adjoint de la Cnts, abonde dans le même sens. «L’Etat avait promis des emplois, donc les autorités doivent consolider ce qui est déjà là et créer d’autres emplois. Même si le licenciement est inévitable, car cela peut être nécessaire pour l’entreprise, il faudrait voir comment accompagner les travailleurs sur le plan social. Il faut reconnaître qu’il y avait beaucoup de recrutements politiques, des gens qui étaient payés à ne rien faire, donc les audits sont parfois nécessaires pour faire le point. Mais on ne peut pas se délester comme ça d’employés, il faut en discuter et voir comment organiser des plans sociaux pour leur permettre de survivre.» Elimane Diouf, Secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes (Csa), rappelle qu’il existe un décret qui autorise certaines entreprises à faire recours à des Contrats à durée déterminée (Cdd), et lorsque l’entreprise a des difficultés, ils se séparent de ce personnel. «C'est un décret que nous avons longtemps dénoncé qui doit être revu dans le cadre de la révision du Code du travail. Les employés sont les premières victimes en cas de difficultés de l’entreprise, surtout dans le Btp (Bâtiments et travaux publics). C'est vraiment déplorable et nous ne cessons de le dénoncer depuis un certain nombre d'années. Cette vague d’arrêts de travail et de licenciements est surtout liée à l’arrêt de beaucoup de chantiers, aux difficultés financières liées au retard de paiements de l’Etat… Et c’est dommage pour ces pères et mères de famille.»

«Les recrutements politiques gangrènent les sociétés nationales et l’Administration»

Des raisons économiques, un recrutement pléthorique et népotique légué par le prédécesseur sont les motifs souvent évoqués pour justifier les limogeages. Mais Cheikh Diop signale que même s’il s’agit de licenciements économiques, il y a un processus à respecter. «Les licenciements économiques sont encadrés par la loi, par les textes qui régissent les relations professionnelles. Il y a un processus auquel l'Inspection du travail et les délégués du personnel sont impliqués. Donc, se réveiller un bon jour, licencier des travailleurs et parler de licenciements économiques, nous ne pouvons pas l'accepter. Si l'entreprise veut procéder à un licenciement économique et qu'elle emprunte les procédures légales, on n'a rien à dire, parce que ce sera prouvé que c'est un licenciement économique. Mais licencier et prendre comme prétexte une situation économique, nous ne pouvons pas l'accepter.» Le Sg de la Cnts/Fc estime, par ailleurs, qu’il faudrait opérer une rupture concernant certaines pratiques. «Les recrutements politiques  gangrènent les sociétés nationales et l’Administration de manière générale. Aujourd'hui, la situation de La Poste est un exemple révélateur. La Poste rencontre d'énormes difficultés et, au diagnostic, on se rend compte que c’est en grande partie à cause des recrutements politiques. Au niveau des collectivités territoriales également, les travailleurs se battent depuis deux ans pour que leur situation salariale soit mise à niveau, mais l’Etat peine à satisfaire ces revendications. Et tout ceci est le résultat des recrutements politiques qui ont été opérés dans ce secteur, pour caser un personnel militant. Je crois que nous devons arrêter ces pratiques, parce qu’elles ne sont pas viables.»

Dans la même veine, Elimane Diouf estime que réaliser un audit d’entreprise est une chose normale, mais il ne faudrait pas s’en servir pour licencier de manière abusive. «Renvoyer des personnes pour aller recruter d’autres à leur place, c’est inacceptable. Il faudrait que les travailleurs qui ont eu des Contrats à durée déterminée (Cdd) puissent être prioritaires quand les audits seront terminés et qu'il y ait des recrutements à faire.» Un employé qui perd son travail, c’est une difficulté pour toute une famille, ajoute Lamine Fall.