NETTALI.COM - Le Premier ministre, Ousmane Sonko, a prononcé sa déclaration de politique générale (Dpg). Un face-à-face qui était très attendu avec les députés depuis sa nomination en avril dernier. Dans un contexte économique morose, marqué par des attentes sociales particulièrement complexes, le Premier ministre a détaillé sa feuille de route et expliqué concrètement aux Sénégalais ce que son gouvernement compte faire à court et à long terme.

Une Dpg en fin d’année, sous haute tension pour le gouvernement. Au pied du sapin, des dossiers brûlants attendent d’être traités. Depuis sa nomination, le gouvernement n’a pas eu de répit. Les attentes sociales sont énormes. La Dpg étant souvent un moment décisif pour asseoir une légitimité, le Premier ministre devra détailler sa feuille de route et ses principaux objectifs. Face aux attentes populaires grandissantes en plus d’une économie sous pression, Ousmane Sonko doit préciser ses intentions pour le Sénégal, contenues dans le ‘’projet’’ présenté aux Sénégalais. Le discours devra être clair et limpide. Mamadou Sy Albert, analyste politique croit savoir que tout devra tourner autour des orientations politiques et économiques. «Pour les populations de manière générale, y compris les travailleurs du secteur formel ou de l'informel, il y a le pouvoir d'achat qui est un vrai problème au Sénégal. Il y a eu des mesures d'urgence pour baisser les prix de certaines denrées de première nécessité, mais après 8 à 10 mois, la flambée des prix est là.»

Il faudra, selon lui, que le gouvernement dise quelle solution proposer pour maîtriser le pouvoir d’achat et aller vers la souveraineté alimentaire. Pour l’analyste, les syndicats sont sur le qui-vive parce qu’il y a un problème d'application des engagements de l'ancien régime. «Est-ce que le gouvernement a une manne financière pour solder tous les accords avec les anciens secteurs ? Là c'est un gros souci. Les travailleurs attendront une décision dans ce sens. Tous les syndicats sont en ordre de bataille avec la menace de dépôt de préavis. Est-ce que le gouvernement est prêt à respecter les engagements, est-ce qu'il aura les points financiers pour les respecter, ça c'est important.»

L’autre aspect de la crise sociale, c'est le chômage. Mamadou Sy Albert : «Quelles réponses ils vont avoir ? Ils ont annoncé l'auto groupement de tous les projets qui concernaient la jeunesse. Quelles réponses ils vont donner? Une chose est de réorganiser le système, mais autre chose : trouver une réponse en matière de formation professionnelle et technique, en matière de soutien financier au projet. C'est une demande au niveau particulièrement des jeunes sénégalais qui sont diplômés. Ceux qui n'ont pas de diplôme, ceux qui sont dans le secteur informel, comment ils vont transformer le secteur informel ? Là aussi c'est une attente. Maintenant les jeunes qui vont à l'étranger, la vague est toujours là.» Au-delà des attentes, le Premier ministre aura en face de lui les députés de l’opposition qui ne lui feront pas de cadeaux. Son discours devra tenter de les convaincre.

Exercice extrêmement difficile. Ousmane Sonko, selon Mamadou Sy Albert, devra dire à ses adversaires comment les réformes issues des conclusions des assises de la justice seront appliquées. «On parle d’une justice indépendante, quel est le contenu d'une justice indépendante et du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif? Là aussi, c'est un problème qui peut cristalliser les divergences parce que l'indépendance de la justice, ça va faire appel à la prochaine Cour, la haute Cour de justice, la réédition des comptes, le parquet financier, mais s'il n'y a pas de consensus, c'est sûr et certain qu'on n'est pas sorti de l'auberge parce que les gens vont dire que la prochaine étape, ça va être la chasse contre ses adversaires. Il y a aussi la question maintenant des libertés, les libertés d'expression. Il y a un problème sérieux de gestion des réseaux sociaux.»

Entre promesses et réalités

Toutes les attentes sociales sont basées sur des promesses. Le tandem Diomaye-Sonko a beaucoup promis. Entre la campagne pour la Présidentielle et la campagne pour les Législatives, plusieurs réformes et mesures phares ont été annoncées. Cette Dpg devra creuser l’écart entre les promesses et la réalité. Dire avec cohérence ce qui sera fait. Mamadou Sy Albert : «La question de la transformation de l'agriculture sénégalaise, je pense que les gens attendent une politique claire sur les filières, sur l'exploitation des filières, les investissements qu'il faut faire, les objectifs à court et à long terme dans le domaine agricole. L'industrialisation aussi, aujourd'hui c'est les matières premières, qu'est-ce qu'on entend par souveraineté par rapport au pétrole, au gaz, l'or, etc. Quelle est la politique d'industrialisation du Sénégal ? Je pense que ces deux secteurs-là, quand c'est clair, on verra quelle est la place du secteur privé national.» 

L’analyste reste convaincu que sur le plan économique, le Premier ministre doit éclairer la vision, le projet du Sénégal dans un an, dans cinq ans. «Maintenant, il y a les questions phares qui touchent les secteurs sociaux, santé, éducation, transport. Quelles sont les mesures sociales ? Je pense que ces secteurs-là, quand même, veulent avoir une bouffée d'oxygène. Donc, qu'est-ce qu'ils vont prendre comme décision phare ? Je pense que ça, quand même, c'est important.» Pour la classe politique, la décision phare, d’après l’analyste, c'est vraiment de prendre la décision de faire des concertations pour que d'ici à deux ans, on n’ait pas les mêmes problèmes aux élections locales. «Le premier ministre devrait peut-être annoncer la décision d'organiser, après toutes les élections qu'on a vécues, qu'on ait un moment d'arrêt, faire des concertations, avoir des consensus sur le code électoral, qu'on ne soit pas dans ce cercle vicieux depuis presque 2012 jusqu'à maintenant.» L’une des mesures phares sera aussi de dire ce qu’il propose  au niveau des territoires. «Est-ce que les 8 pôles régionaux vont satisfaire la demande qu'il y a au niveau des régions?. Comment ils vont se traduire en termes d'emplois? En termes de création d'emplois, en termes de production locale ? C'est vrai qu'ils ont parlé des accords avec certaines sociétés minières, mais concrètement comment ça va se traduire les renégociations? Est-ce que ces renégociations vont permettre à l'État d'avoir de l'argent pour soutenir le secteur privé? Pour moi, peut-être la grosse question, c'est le secteur privé national.»

Une promesse en acte ?

Depuis qu’ils ont pris leur marque dans le champ politique, Diomaye et Sonko ont promis la rupture d’avec les pratiques et politiques antérieures. Dans cette Dpg, le sceau de la rupture devrait y être imprimé, tant dans le discours que dans les réformes à venir. Mamadou Sy Albert : «Pour marquer la rupture, il faut que  dans les deux ans, ou trois ans à venir, qu'il n'y ait plus d'interférence entre le gouvernement que Sonko dirige, et la politique. Il faut qu'il y ait séparation. Comme le président n'est plus membre du Pastef, ils ne doivent plus confondre l'État et le parti. Ousmane Sonko doit se dégager davantage des pressions politiques, des débats politiques, des polémiques contre-productives, et s'atteler à l'administration. Il doit administrer. Et c'est difficile de faire en même temps l'administration publique et la politique. Vous versez toujours dans la politique politicienne. Je pense que ça, quand même, personnellement, Ousmane Sonko doit faire un effort.»

L’autre point de rupture pour l'avenir, c'est l'indépendance de la justice, selon M. Sy. «C'est ça qui peut stabiliser ce gouvernement-là. Et si la justice n'est pas indépendante, on va vers les mêmes situations, les mêmes conflits, les mêmes critiques. Je crois qu'il faut quand même trouver une mesure pour qu'on soit prêt à une justice indépendante.»