NETTALI.COM - Après l'épisode de 1963 avec l'affaire Mamadou Dia et celui de 2005 avec Idrissa Seck, la Haute Cour de justice a de nouveau été installée par le régime du Président Bassirou Diomaye Faye. Placée sous la responsabilité de l'Assemblée nationale, cette juridiction politique est compétente pour juger le président de la République,  en cas de haute trahison, mais aussi le premier ministre et les ministres pour les infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions. 

C'est le début d'une nouvelle ère, le moment où l'histoire tourne enfin une page et où la reddition des comptes s'impose pour les membres du régime sortant. En tête de cette marche, le Président Macky Sall qui devra faire face à l'exigence de vérité, selon les promesses de campagne d'Ousmane Sonko. Une promesse capitale pour le nouveau pouvoir, et plus encore pour Ousmane Sonko, qui a fait de la reddition des comptes son fer de lance. L'outil pour y parvenir ? L'installation de la Haute Cour de justice, pierre angulaire de ce processus. Dès la campagne pour les Législatives du 17 novembre dernier, Ousmane Sonko n'avait pas hésité à en faire son cheval de bataille : «Si les Sénégalais nous donnent la majorité, dès l'ouverture de l'Assemblée et l'installation des députés, nous mettrons en place cette Haute Cour de justice, seule instance habilitée par la Constitution pour juger les ministres, Premier ministre, et même le président de la République», avait-il prévenu. Aujourd'hui, avec 130 sièges obtenus sur les 165 de la quinzième législature, la majorité qu'il possède est un rocher solide, et  plus rien ne se dresse sur sa route. Le moment est venu de tenir cette promesse avec l’installation,  ce samedi, de la Haute cour de justice.

Origines

Peu connue du public, la Haute Cour de justice existe pourtant dans l’arsenal juridique du Sénégal depuis les indépendances. Il faut remonter à 1959 pour retracer ses origines. A en croire Mawa Ndiaye, Juriste publiciste et Constitutionnaliste, «la notion de Haute Cour apparaît dans la première Constitution de 1959 (voir les articles 25, 26 et 27 de la Loi n° 59 – 003 du 24 janvier 1959) et jugeait les ministres pénalement responsables dans l’exercice de leurs fonctions. L’office de la Haute Cour ne s’étendait pas au-delà des ministres.»

La responsabilité du Président de la République est visée dans le champ de compétence de la Haute Cour un an après (voir l’art. 65 al. 1 de la Loi n° 60 – 045 du 26 août 1960 portant révision de la Constitution). Le texte a subi diverses modifications et évolutions au fil des ans, qui n’ont pas pour autant altéré son essence. La Constitution de 2001 a corrigé les lacunes rédactionnelles sans toucher complètement aux contenus des dispositions. En son article 99, elle institue une HCJ. A l’article 100, il est dit que «la HCJ est composée de membres élus par l’Assemblée nationale après chaque renouvellement. Elle est présidée par un magistrat. L'organisation de la HCJ et la procédure suivie devant elle sont déterminées par une loi organique.» L’article 101 de la Constitution détermine les compétences de la HCJ. «Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée nationale, statuant par un vote au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes des membres la composant ; il est jugé par la HCJ. Le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la HCJ. La procédure définie ci-dessus leur est applicable, ainsi qu'à leurs complices, dans le cas de complot contre la sûreté de l'Etat. Dans les cas prévus au présent alinéa, la Haute Cour est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines, telles qu'elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis.»

Composition et fonctionnement

La loi n°2002-10 du 22 février 2002, adoptée par l’Assemblée nationale le 14 février 2002, porte la loi organique sur la Haute Cour de justice. La HCJ se compose du Premier Président de la Cour suprême, qui en est le Président, et de huit juges titulaires. Elle comprend en outre, un Président suppléant, le Président de la Chambre pénale de la Cour suprême et huit autres juges suppléants. Ces 8 juges et leurs 8 suppléants sont élus après chaque renouvellement de l’Assemblée nationale, dans le mois qui suit sa première réunion, au prorata des groupes parlementaires lors d’un scrutin secret. Dès leur élection, les juges titulaires et les suppléants prêtent serment devant l'Assemblée nationale.

Tout membre de la Haute Cour peut être récusé, s'il est parent ou allié d'un accusé jusqu'au 6e degré en ligne collatérale, s'il a été cité ou entendu comme témoin. Le ministère public ou un accusé ne peuvent citer un membre de la Haute Cour qu'après autorisation de la Commission d'instruction, s’il y a un motif d'inimitié capitale entre l'accusé et lui. Cette Commission d’instruction, créée auprès de la Haute Cour, est présidée par le Premier Président de la Cour d'Appel de Dakar, suppléé, en cas d'empêchement, par le Président de la Chambre d'accusation de ladite Cour et comprenant quatre membres titulaires et quatre suppléants. Le Ministère public près la Haute Cour est exercé par le Procureur général près la Cour suprême suppléé par le Premier Avocat général près ladite Cour en cas d'empêchement. Le personnel nécessaire au bon fonctionnement de la HCJ est mis à disposition par le Premier président de la Cour suprême, et les crédits nécessaires à son fonctionnement sont inscrits au Budget général de l’Etat. Mais les fonctions de juge, de membre de la Commission d'Instruction et de membre du ministère public sont gratuites. Leur exercice n'ouvre droit qu'à des remboursements de frais.

Procédures

La procédure pour arriver devant la HCJ est constituée de trois étapes : la mise en accusation, l’instruction et enfin le jugement. La mise en accusation est votée par l’Assemblée nationale à la majorité des 3/5e des députés. Elle contient les prénoms, noms et fonctions des accusés, l'énoncé sommaire des faits qui leur sont reprochés, et dans certains cas, le visa des dispositions législatives en vertu desquelles est exercée la poursuite. Les membres de la Haute Cour ne prennent part ni aux débats, ni au vote sur la mise en accusation. La résolution est ensuite transmise sans délai par le Président de l'Assemblée nationale au Procureur général.

Débute ensuite la phase d’instruction. Dans les 24h suivant la réception de la résolution de mise en accusation, le Procureur général la notifie au président de la HCJ et au président de la Commission d’instruction. Celle-ci est convoquée sans délai sur ordre de son Président, qui invite chaque inculpé à faire assurer sa défense par un avocat régulièrement inscrit ou par toute personne de son choix. La Commission d'Instruction procède à tous les actes qu'elle juge utiles à la manifestation de la vérité selon les règles édictées par le Code de Procédure pénale, et ses actes ne sont susceptibles d’aucun recours. C’est la Commission d’instruction qui ordonne, lorsque la procédure lui paraît complète, un renvoi ou non devant la HCJ.

La dernière étape de la procédure est le jugement. A la requête du Procureur général, le Président de la Haute Cour fixe la date d'ouverture des débats, qui sont publics, sauf exception. Après clôture des débats, la HCJ statue sur la culpabilité des accusés. Il est voté séparément pour chaque accusé sur chef d'accusation et sur la question de savoir s'il y a des circonstances atténuantes. Le vote a lieu par bulletins secrets à la majorité absolue. Si l'accusé est déclaré coupable, la Cour vote sur l'application de la peine. Toutefois, après deux votes dans lesquels aucune peine n'aura obtenu la majorité des voix, la peine la plus forte proposée dans ce vote sera écartée pour le vote suivant, et ainsi de suite en écartant chaque fois la peine la plus forte jusqu'à ce qu'une peine soit prononcée par la majorité absolue des votants. Les arrêts de la Haute Cour ne sont susceptibles, ni d'appel ni de pourvoi en cassation, mais ils sont susceptibles de révision dans les formes et conditions légales. Les règles de la contumace sont applicables devant la Haute Cour.