NETTALI.COM - En se soumettant au message traditionnel à la Nation du 31 décembre, le président de la République va s'exprimer dans un contexte fortement marqué par la récente Déclaration de politique générale (Dpg) de son Premier ministre, encore fraîche dans les esprits et qui continue d'occuper les débats. Une prise de parole qui pourrait être celle de l'affirmation ou du faux pas.

Ce sera son baptême du feu. Le 31 décembre 2024, le Président Bassirou Diomaye Faye s'apprête à gravir l'un des sommets symboliques de son mandat : son premier discours de fin d'année à la Nation. Cette cérémonie, ancrée dans l'imaginaire collectif, est bien plus qu'un simple rituel républicain : il est une tribune où se cristallisent les attentes, les espoirs et les critiques des différentes couches de la population. Cette édition de 2024 s’annonce d’autant plus singulière qu’elle s’inscrit dans un contexte où la parole présidentielle doit rivaliser d’ingéniosité pour éviter les écarts de redondance. Quelques jours plus tôt, le 27 décembre, le Premier ministre Ousmane Sonko avait dévoilé devant l’Assemblée nationale les grandes orientations de la politique gouvernementale à travers la traditionnelle Déclaration de politique générale (Dpg). Un exercice qui, en théorie, devait avoir lieu dans les trois mois suivant sa nomination en juillet, mais qui, avec ce retard, s’est finalement tenu dans une ambiance marquée par des débats marathon en hémicycle. Les réformes prioritaires et les mesures à mettre en œuvre pour ce mandat y furent exposées avec minutie, suscitant un véritable foisonnement d’échanges entre les élus du peuple.

Ce 31 décembre, c’est donc au président de se prêter à l’exercice de l’adresse à la Nation. L’enjeu ? Offrir une vision synthétique et inspirante, tout en se gardant de tomber dans les redites des annonces faites par son chef de gouvernement. Dr Momar Thiam, spécialiste en communication et marketing politique, décrypte l’importance de ce moment : «L’adresse à la Nation du chef de l’Etat en fin d’année est plus qualifiée de présentation de vœux. C’est une tradition républicaine qui tourne autour d’une communication directe entre le président de la République et l’ensemble des citoyens, puisqu’on va entrer dans une nouvelle année, et c’est l’occasion de présenter les vœux, mais aussi de réaffirmer toutes les orientations de sa politique envers le pays, orientations où il demeure le maître d’œuvre, mais où le coordonnateur, le chef d’orchestre, demeure le Premier ministre.»

Une opportunité rare, celle d'unir un pays par-delà ses failles

Malgré tout, face à cette proximité des deux discours, une question s'impose : le Président saura-t-il captiver l'attention et insuffler un souffle nouveau à son message, ou risque-t-il de se heurter aux écueils de la redondance ? Abdou Fatah Fall, analyste politique, souligne un contexte peu habituel, où le poids des attentes s'ajoute à celui de la répétition. Cette prise de parole pourrait être celle de l'affirmation ou celle du faux pas. «Le discours de fin d'année du Président Diomaye survient dans un climat politique chargé, à peine quelques jours après la Déclaration de Politique Générale (Dpg) du Premier ministre Ousmane Sonko. Avec la fatigue potentielle des discours politiques et les attentes croissantes des Sénégalais, le chef de l'État doit trouver le juste ton pour capter l'attention du public.» Les mots justes qui feront vibrer l’âme de la Nation et captiver une population à l'écoute, sur le fil entre l'espoir et le doute. Abdou Fatah Fall éclaire cette nécessité : «Le président pourrait commencer par faire un bilan des événements politiques marquants depuis son élection, en indiquant que le temps des alertes est désormais révolu. Il annoncera la nécessité d'une transition vers la justice, noté que des comptes seront rendus sur les événements ayant jalonné la période depuis 2021.»

Selon l'analyste, une telle approche pourrait résonner auprès d'un large public. Le Président, sous le faisceau des projecteurs, pourrait ensuite pivoter vers des perspectives plus lumineuses. «Il évoquera les priorités des prochains mois, notamment la relance économique et les projets d'infrastructure, pour montrer que des mesures concrètes sont mises en place après la Présidentielle et les Législatives», poursuit M. Fall. Dans ce tableau de promesses, l'action devient la boussole. Cette entrée dans le réel pourrait apaiser les sceptiques, renforçant la confiance d'un peuple en quête de résultats tangibles. Mais le juste ton, ce n'est pas seulement l'annonce de mesures. C'est aussi une mélodie d'unité, capable de traverser les dissonances d'une nation fracturée.  Le président appellera à l'unité des cœurs et à l'esprit de don de soi pour la patrie. "En se positionnant comme un leader au-dessus des chapelles politiques, il pourrait encourager un dialogue inclusif et mobiliser les citoyens autour d'une vision commune pour l'avenir du Sénégal. Cet appel à l'unité pourrait résonner particulièrement bien dans un contexte où les divisions politiques sont marquées», explique Abdou Fatah Fall qui dessine ici les contours d'une opportunité rare : celle d'unir un pays par-delà ses failles.

En articulant son discours autour de ces thèmes,  fait savoir l’analyste, le président Bassirou Diomaye Faye pourrait s'imposer comme un chef d'orchestre réconciliateur. « En évitant la redondance et en proposant des solutions concrètes, il pourrait être perçu très favorablement par la population, qui attend des actes plutôt que des paroles. Ce discours pourrait marquer un tournant dans sa présidence, en renforçant son image de rassembleur et d'homme d'action. Il y aura certainement aussi le renouvellement de la confiance en son gouvernement dans la conduite de toutes ces affaires dans un climat sociopolitique apaisé et la garantie de la restauration et de la consolidation d’un état de droit.»

 «Tisser un lien entre l'élan national et les horizons diplomatiques»

Le Dr Momar Thiam souligne que l'exercice de communication attendu du chef de l'État, ce 31 décembre, ne se limitera pas à une simple présentation de vœux. Il s'inscrit profondément dans le corpus de la politique qu'il ambitionne de déployer, s'adressant avec autant de conviction aux populations sénégalaises qu'aux partenaires internationaux, comme pour tisser un lien entre l'élan national et les horizons diplomatiques. «Donc ce ne sera pas un discours qui aura le même ton ou la même saveur que la Dpg, d’autant plus que ce sont deux personnalités différentes dans leur communication. Le président de la République est quelqu’un de très posé et pondéré, mais droit dans ses bottes et qui s’exprime de manière assez éloquente, il s’est bonifié dans sa communication. Et compte tenu de ces éléments, il va forcément attirer l’attention, d’autant plus que cela fait un moment qu’on ne l’a pas entendu s’adresser directement aux populations. Alors que le Pm est plus du style va-t-en-guerre, d’une nature offensive et dynamique. Donc on aura l’impression d’entendre deux sons de cloche dans la forme, mais dans le contenu, le chef de l’Etat aura forcément la tâche ou l’ambition de réaffirmer ses orientations.» Ces orientations devront s'articuler autour des priorités brûlantes de l'heure : améliorer la qualité de vie au Sénégal en s'attaquant à la baisse des prix des denrées de première nécessité, renforcer les piliers essentiels que sont l'éducation et la santé, et, plus que tout, asseoir une gouvernance exemplaire. «Je ne pense pas que le chef de l’Etat fera l’économie d’une communication autour de ces axes prioritaires qui, à mon avis, rendront son discours beaucoup plus dense et plus captivant, et aura un bon écho auprès des populations. Mais il ne faudrait pas que ce soit une communication juste pour communiquer, il faudra que cet exercice soit bien chevillé à un calendrier, que le cap et l’itinéraire soient bien fixés, c’est là que son discours trouvera l’efficacité productive auprès des populations, pour le placer davantage en haut de l’échiquier.» Pour le spécialiste, le message à la Nation du chef de l'État ne saurait être inaudible. «Au contraire, je pense que les citoyens sénégalais l'attendent avec impatience. Car, justement, c'est le président de la République. Qu'on soit en accord ou en désaccord avec lui, il ne laissera personne indifférent. Son discours pourrait capter un auditoire large, diversifié et attentif, ce qui lui conférerait une portée et une quintessence significative.»