NETTALI.COM - Elle était attendue le 13 septembre et elle a finalement eu lieu le vendredi 27 décembre 2024. On parle de cette déclaration de politique générale tant attendue qui avait soulevé quelques polémiques quant au moment du passage du Premier ministre devant les députés. Le chef du gouvernement a fini par exposer les grandes lignes de sa gouvernance. Et au regard des quelques tacles reçus de la part d’Abdou Mbow, Aïssata Tall Sall, Pape Djibril Fall, Mbaye Dione, etc, l’on peut bien conclure qu’il a eu raison de ne pas avoir fait cette Dpg sous l’ancienne majorité.
Mais qu’est-ce qu’elle fut longue cette Dpg ! 104 pages à lire. Nul doute que l’utilisation d’un prompteur aurait été plus opérant pour Ousmane Sonko ; voire l’utilisation de bullets points qui lui auraient permis de mieux asseoir ses commentaires, pour le tribun qu’il est. Ce qui aurait été plus communicatif. A la vérité, le PM Sonko est bien moins à l’aise avec la lecture des discours formels, exercice pour lequel, il a d’ailleurs eu à buter, par moments, sur les mots. Son discours est en plus bien plus incisif et fluide en wolof. Bref.
Toujours est-il que devant l'Assemblée nationale le vendredi, le PM a abordé plusieurs sujets d'intérêt national. L’on retiendra la volonté affirmée de son gouvernement de revenir sur la loi d’amnistie votée sous Macky Sall, la fermeture prochaine de toutes les bases militaires étrangères au Sénégal, la nécessité de revoir la politique fiscale du pays, l’instauration d’une taxe sur les appels entrants et l’application de la réciprocité sur les visas, etc.
Le PM a aussi fait part de son pari sur le privé national dont il veut faire le moteur de la création de richesses et d’emplois, le levier de développement du tissu industriel, en misant sur des filières telles que l’agro-industrie, les industries extractives, les industries manufacturières en ciblant les produits textiles, d’habillement et du cuir ou le montage local de produits industriels de consommation courante, des matériaux de construction ou des industries de services à haute valeur ajoutée.
Sur le sujet éducation, Ousmane Sonko a fait part de sa volonté de renforcer ce secteur et a annoncé « l’élimination totale des abris provisoires d’ici 2029 ». Le Chef du Gouvernement a aussi annoncé que les daaras seront intégrés dans le système éducatif. De même, la formation en alternance sera fortement développée, pour ainsi garantir à de nombreux jeunes un apprentissage pratique et une transition rapide vers l’emploi.
Dans le domaine de la santé, dans toutes les régions, des unités de prise en charge précoces des maladies chroniques et des épidémies seront mises sur pied. Aux défis dans le domaine de la santé s’ajoutent la pharmacopée et la médecine traditionnelle "qui ne seront pas en reste".
De même, sa volonté de restructurer les entreprises publiques, a été affirmée.
Sur la question de la gestions des Mines et hydrocarbures, le Premier ministre nous a appris que le Sénégal va lancer le First Gas à partir de 2025. L’ambition est de maximiser l’impact local des hydrocarbures et d’en faire une locomotive de la diversification économique. Tout comme, il a déclaré l’engagement « sans faiblesse aucune, de l’évaluation des contrats et pratiques en place dans les secteurs des hydrocarbures et des mines, afin de corriger ce qui doit l’être, sans tarder... »
Autant de sujets résumés et non exhaustifs certes, mais essentiels abordés dans cette déclaration de politique générale, où l’on n’a pas senti la tonalité souverainiste tant entonnée par le Pastef, faiblir. Bien au contraire, avec la récente volonté de réappropriation de nos symboles et le travail mémoriel en cours avec la valorisation de nos héros nationaux et l’érection à venir d’un mémorial pour les tirailleurs, l’on note une ferme volonté de défendre les intérêts du Sénégal et de ne plus se laisser dicter sa conduite par un quelconque pays. Ce qui est en soi une posture louable, à condition d’avoir les moyens de son autonomie et de son affirmation.
C’est en tout cas dans cette logique qu’il faut placer cette volonté de fermeture prochaine de toutes les bases militaires étrangères au Sénégal, même si sur cette question, il s’agit de peser le pour et le contre et de voir dans quelle mesure une présence de la France (avec Wade, l’effectif avait baissé) nous est préjudiciable ou pas. Car dans le rapport entre le Sénégal et le pays de Marianne, l’on a senti une grande crispation d’Ousmane Sonko. Une relation entre deux états souverains qui ne devrait plus être appréciée à l’aune des émotions ou des sentiments personnels, mais plutôt à celle du rééquilibrage dans les rapports. Devrions-nous penser une seconde que si la France a récemment reconnu le massacre de Thiaroye 44, c’est parce que cela lui a plu de le reconnaître de son plein gré, alors qu’elle avait des décennies devant elle pour le faire ? C’est consciente du terrain qu’elle est en train de perdre en Afrique et de sa volonté de ne pas en rajouter avec la perte de pays aussi stratégiques que le Sénégal dans sa sphère d’influence, qu’elle a été contrainte à cette reconnaissance.
Sur la question des bases militaires, qu’on ne s’y trompe point, beaucoup d’états, y compris parmi les plus puissants du monde, comptent en leur sein, des bases militaires étrangères : le Japon a ses bases d’Okinawa qui lui assurent une protection contre les menaces nord-coréennes ; de même que la Corée du sud qui s’est inscrite dans la même logique de protection contre la Corée du nord ; l’Allemagne abrite des bases américaines depuis des décennies qui jouent un rôle dans la stabilité européenne ; la France accueille des forces allemandes sur son territoire dans le cadre des accords de défense franco-allemandes, pour ne citer que ces cas-là car la liste est longue.
Loin de vouloir dire que les contextes et les symboliques sont les mêmes, il s’agit de bien réfléchir aux avantages et aux inconvénients de la présence française, car la souveraineté, c’est aussi au-delà de l’économie, une affaire d’enjeu sécuritaire, d’alliances stratégiques et de stabilité, surtout que les terroristes ont été maintes fois signalés à nos portes dans cette sous-région devenue bien instable.
Il ne devrait être nullement question d’opérer une rupture brusque et brutale avec la France, mais de jouer la carte du rééquilibrage des rapports.
Sur le volet financement de l’économie, Ousmane Sonko, pour l’inspecteur des impôts qu’il est, entend trouver les moyens d’un financement de l’économie plus endogène grâce à un élargissement de l’assiette fiscale, les diaspora bonds ou patriotes bonds, etc. Une option qui pourrait ne pas suffire. Sur la question de l’élargissement de l’assiette fiscale, après s’être attaqué aux exonérations non justifiées, l’autre difficulté pour l’Etat, sera, après exploration des niches fiscales, d’enrôler un secteur comme celui de l’informel qui représente la plus grosse part des entreprises au Sénégal. Les enrôler de manière autoritaire, ne sera pas chose aisée. Il s’agira bien au contraire de faire preuve de pédagogie, sans oublier des mesures incitatives à instaurer.
Sur une question comme celle des « diaspora bonds » ou « patriots bond », la prudence est de mise, car la dénomination, en plus d’être restrictive en termes de segmentation, laisse déjà penser qu’elle est exclusivement réservée à la diaspora ou aux patriotes, en référence aux membres de Pastef. Ce qui pourrait réduire et amoindrir la portée. Il est question de lever des bons du trésor, mais l’émission doit être ouverte à tous, à l’épargne des Sénégalais (si tant est qu’ils en aient encore) en y intégrant évidemment la diaspora. C’est cela qui, semble-t-il peut être plus porteur, en termes d’élargissement de la cible et de communication. Il n’est d’ailleurs même pas sûr que l’engouement noté (cotisations) dans la diaspora, avec les participations à l’effort de conquête du pouvoir par le Pastef, puisse être de même envergure qu’avec cette émission à venir, qui relève plus d’une disposition d’une épargne conséquente et d’une volonté d’y consacrer une partie.
Tout cela ne signifie pas pour autant qu’en bénéficiant de sources de financements issus de recettes internes, le Sénégal serait à l’abri du concours des partenaires traditionnels économiques et financiers. C’est en tout cas l’option que semble vouloir privilégier le gouvernement actuel en recourant moins à eux et en se tournant en plus vers d’autres partenaires. Bref, une nouvelle stratégie de financement sur laquelle le gouvernement cherche à tracer sa voie, et sur laquelle, il faudra bien trouver le bon équilibre.
Sur la question de l’application de la réciprocité des visas aux pays qui nous l’imposent, même si cela est une décision logique et peut être parfaitement comprise, il reste que le Sénégal doive chercher à concilier la logique d’attirer de manière optimale des touristes et celle d’exercer une prérogative souveraine. Dans un contexte d’inexistence d’une politique touristique digne de ce nom et d’une offre touristique attractive, comparée aux pays du Maghreb, est une destination qui n’est plus très courue. Il serait dès lors plus indiqué d’être prudent sur la question. De plus, l’expérience éphémère de l’application des visas sous Macky Sall, stoppée au bout de six mois, doit servir d’exemple afin ne pas reproduire un système qui a plus porté préjudice aux fils d’émigrés ne détenant pas la nationalité sénégalaise ; sans oublier un système d’attribution des visas loin d’être huilée et efficace d’une administration pas très préparée et procédurière en plus. Il aurait été plus judicieux, au moment où l’on cherche à attirer les investisseurs et des touristes, de plutôt instaurer une taxe à l’entrée, dans un contexte où le besoin de financement de l’économie, veut être assurée de manière endogène.
De même sur la question de l’abrogation de la loi d’amnistie, c’est un débat de juristes qui s’est installé quant aux conséquences du vote de cette loi. Et dans le camp du pouvoir comme celui de l’opposition, l’on s’amuse à se faire peur. Une décision dont on attend de voir les développements et pour laquelle, même si les autorités entendent évoluer, elles doivent se garder de tomber dans le piège d’enfoncer le pays dans une polémique permanente qui empêchera l’économie de tourner. Une question qui ne sera en tout cas pas facile à dénouer.
Mais dans cette affaire d’abrogation de la loi d’amnistie loin d’être simple d’ailleurs, la gestion du dossier connexe d’indemnisation qui l’a précédée, est venue compliquer les choses car les critiques ont commencé à fuser. Et parmi les plus récurrentes, figurent le manque de transparence, les inégalités perçues dans la distribution des fonds et l'absence de communication claire, avec un mécontentement particulièrement remarqué chez les ex-détenus politiques affiliés à Pastef, principal parti d'opposition durant la période des manifestations, où l’on relève une grande opacité et l’absence de critères clairs. Des accusations qui ont ciblé des responsables comme Diop Taif et la ministre Maimouna Dièye, soupçonnés de favoritisme. Une approche loin en tout cas d’avoir convaincu, avec également des gérants de stations-service, victimes eux aussi des violences, avec des pertes estimées à 1,102 milliard F CFA, qui dénoncent leur exclusion du dispositif.
Ce qui a poussé la société civile à s’en mêler et à exhorter le gouvernement à garantir un processus inclusif et transparent et une communication sur les actions concrètes menées par ce comité d’indemnisation. Le Forum civil souligne d’ailleurs que la création d’un tel comité, bien que salutaire en théorie, n’a pas été accompagnée d’une stratégie claire pour garantir une transparence totale dans la gestion des fonds publics. De même, lors des débats parlementaires, le député Alioune Ndao a plaidé pour une clarification des critères de répartition, tout en interrogeant le ministre des Finances sur la réduction du budget initialement prévu pour ces indemnisations, passé de huit à cinq milliards F CFA.
D’ailleurs sur le sujet, un des députés se demandait si Me El Hadji Diouf, Auchan, Total, etc seraient indemnisés. Une bonne question.
Sur la question de la taxation des appels entrants, la mesure peut se relever illusoire, dans la mesure où de plus en plus sont utilisés sur les communications internationales, des moyens tels que Whatsap, Telegram, Teams, Facetime, et bien d’autres qui passent par internet dans le but d’amoindrir les coûts de communication et pour des raisons de sécurité. Les autorités ont dû sans doute mesurer l’impact d’une telle taxation.
De même sur la question de la restructuration des entreprises publiques, il s’agit, si le gouvernement veut vraiment atteindre son objectif de redressement, confier leur gestion à de vrais profils de managers, aux background avérés. C’est à ce stade de la gouvernance que les appels à candidature prennent tout leur sens. Il faudrait dès lors arriver à réduire les effectifs pléthoriques des entreprises dans le but de dégraisser les mammouths, tout en apportant à la fois, rigueur dans la gestion et de l’innovation. Dans le cas de La Poste qui a par exemple raté le virage de la modernisation et de l’innovation en créant une banque postale, tout en se projetant dans le transfert d’argent et la livraison, c’est une lourde tâche qui attend le gouvernement.
Beaucoup d’intentions et de vœux annoncés dans la déclaration de politique générale. Mais attention de ne pas trop charger la barque et à vouloir trop embrasser avec cette volonté de souverainisme, dans un monde où c’est l’ouverture qui est de mise. La prudence est en tout cas de mise sur certains de ces sujets.