NETTALI.COM - Elle a finalement été levée, l’immunité Parlementaire du député Farba Ngom, le vendredi 24 janvier, lors de la séance plénière organisée à cet effet, malgré tout le brouhaha juridico- politique autour. Une levée d’immunité qui a été rendue possible grâce aux 130 députés dont 3 contre et 3 abstentions.

Et Aïssata Tall Sall,  l'avocate de Farba Ngom, en tant que députée et non moins présidente du groupe parlementaire Takku Wallu, a été de tous les combats, aussi bien juridique que politique. D’ailleurs, avant le vote, prenant la parole, elle a qualifié de « grave » l’exercice auquel s’est prêtée l’Assemblée nationale.

De même présente à la commission ad hoc d’où elle avait fini par se retirer, ne voulant pas s’associer à ce qu’elle considère comme une « parodie de commission ad hoc ». Le principal motif pour elle, est de ne pas avoir pris connaissance des faits reprochés à Farba Ngom, de manière à pouvoir le défendre convenablement. Elle n’en pouvait plus en effet d’entendre certains de ses collègues lui dire qu’eux les députés ne sont pas la justice pour qualifier les faits. Le pire pour elle, c’est qu’ « ils ont décidé de poursuivre la procédure avec les quatre lettres de transmission .»

Takku Wallu accuse Ousmane Sonko, relève un règlement de comptes politiques, mais...

Les arguments de Me Aïssata Tall Sall sont liés en effet, au fait que « la levée de l'immunité parlementaire d'un député est un acte extrêmement grave ». « C'est, selon elle, l'acte par lequel l'Assemblée nationale livre un de ses membres à la justice pour qu'elle puisse enquêter. Avant de procéder à cette livraison, l'Assemblée doit avoir un minimum de contrôle et de retenue. Et c'est ce qu'on n'a pas eu aujourd'hui ».

Seulement les textes ne semblent aller dans le sens requis par la députée. La levée de l’immunité parlementaire est en effet réglementée par les dispositions de l’article 52 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui dispose qu’ «  il est constitué, pour chaque demande de levée de l’immunité parlementaire d’un député ou pour chaque demande de suspension de poursuites déjà engagées, une commission ad hoc de 11 membres. La commission doit entendre le député intéressé, lequel peut choisir comme défenseur un de ses collègues ». Là sont les seules obligations légales.

Et même lors de la séance plénière, le même article dispose que « lors des débats ouvert par l’Assemblée nationale, en séance plénière, sur les questions d’immunité, peuvent seuls prendre la parole, le président, le rapporteur de la commission, le gouvernement, le député ou son défenseur et un orateur contre».

La remise du dossier judiciaire concernant le député concerné n’est donc prévue dans aucune partie de la procédure mise en place.

Les avocats de Takku Wallu, ont eux, une toute autre lecture de la situation qui va au-delà des simples textes. Ils brandissent non seulement les menaces publiques d’Ousmane Sonko dirigées contre Farba Ngom à Agnam le fief de ce dernier, ainsi que « la traque des opposants milliardaires » qui explique largement la purge entamée contre le sieur Farba Ngom ; mais encore ils dénoncent l’intrusion de l’Exécutif dans le Judiciaire. Ils sont en effet convaincus que cette procédure a été initiée, suite à une commande du Premier ministre Ousmane Sonko. « Pour preuve, c’est le procureur du parquet financier auprès du ministère de la Justice qui sollicite la levée de l’immunité parlementaire du député Farba Ngom », a d’ailleurs déclaré Me Youm.

Dans la même logique, les avocats de la défense dénoncent aussi les « perquisitions violentes » effectuées au verger de Farba Ngom à Diamniadio, qui ont fait l’objet d’un procès-verbal de constat d’huissier, se demandant « qui était derrière cette perquisition, alors qu’aucun juge d’instruction n’a été saisi à ce jour, surtout que, selon le parquet, les rapports de la Centif n’ont été transmis au parquet qu’au mois de décembre 2024 ? » ; Ceux-là s’interrogent également sur « l’autorité judiciaire ou de police qui a donné l’instruction de mener ces perquisitions illégales ? » et «  Pourquoi, depuis lors, aucune autorité judiciaire n’a pris en charge le règlement de cette forfaiture ?”. Autant de questions avancées par les avocats du député pour dénoncer les poursuites contre leur client.

À leurs yeux, « ces démarches maladroites attestent de l’innocence de Farba Ngom ». Aussi, affirment les avocats, Farba Ngom n’a commis aucune infraction pénale, car ces accusations sont liées à son succès politique. « Farba Ngom n’a jamais géré de fonds ou de deniers publics ; il n’a jamais obtenu ou conclu de marchés publics ! Il n’a jamais reçu de fonds de l’État du Sénégal ! Il n’a jamais été entendu par la police, encore moins par la Centif », assène Me Oumar Youm. Selon lui et ses collègues du pool, il s’agit tout simplement « d’un acharnement procédural accompagné d’une tentative d’asphyxie financière, foncière et fiscale, et surtout d’étranglement fiscal en raison d’enquêtes fiscales engagées cumulativement aux poursuites pénales », ajoutant que les trois sociétés de Farba Ngom, à savoir la "SCI Haba", la "SCP Sucre" et la "SCP Tidiania" font l’objet d’une enquête fiscale.

Et Pastef prit le contrepied

Pour le groupe Pastef-Les-Patriotes, il y a « une confusion savamment entretenue par le Groupe Takku Wallu entre les attributions d’une Commission ad hoc pour la levée de l’immunité parlementaire d’un député et celles d’une Commission d’enquête parlementaire ». « Au stade actuel, la procédure a été strictement respectée, conformément aux exigences de fond et de forme de la Constitution et de l’article 52 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui encadrent la levée de l’immunité parlementaire d’un député », assure le groupe de la majorité.

Et d'expliquer : « en effet, la demande de levée de l’immunité parlementaire, formulée par le Procureur de la République financier et transmise à l’Assemblée nationale par le Ministre de la Justice le 10 janvier 2025, est pleinement motivée, car elle vise les numéros de rapport de la Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF) qui concernent le député Mouhamadou Ngom. Elle indique précisément les infractions (au moins 7) pour lesquelles, ce dernier est susceptible d’être poursuivi en se fondant notamment sur : la Loi n°2024-08 du 02 février 2024 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive, le Code général des Impôts, le Code pénal et l’Acte uniforme sur les Société commerciales et les GIE. »

« Ladite demande justifie la levée de l’immunité parlementaire par l’urgence d’ouvrir des procédures d’information judiciaire auprès du cabinet d’instruction du pool judiciaire financier", poursuit la même source. Qui assure que "l'Assemblée nationale a, depuis la réception de la requête, suivi scrupuleusement et sans précipitation aucune, toutes les étapes de la procédure de levée de l’immunité parlementaire ».

Aïssata Tall Sall, en se retirant ainsi de l’audition de la commission ad hoc relative à la procédure de levée de l’immunité, a semblé s’être inscrite dans une démarche politique et de communication qui consiste plus à s’interroger sur le bien-fondé d’une telle procédure, en s’arc boutant sur les faits reprochés à Farba qui doivent constituer la base de la permission ou non de lever son immunité et pas seulement sur la base d’une simple bonne foi ou d’une confiance à accorder à la Centif ou aux autorités judiciaires. Ce qui, si l’on suit son raisonnement, légitimerait bien mieux une éventuelle levée de l’immunité parlementaire qu’ils ne devraient point prendre à la légère. Car au-delà, il y va, toujours selon elle, de la séparation des pouvoirs qui voudrait que l’exécutif ne puisse empiéter sur le champ du législatif qui ne devrait pas pouvoir aussi facilement livrer ses membres sans motif véritablement valable.

Dans un texte, le député Amadou Ba du Pastef évoque principe constitutionnel sacro-saint de la séparation des pouvoirs qui interdit les immixtions intempestives des uns et des autres dans les compétences dévolues aux autres pouvoirs et délimite ainsi les limites et contours des pouvoirs de l’assemblée nationale.Il fait ainsi savoir que lorsqu’il s’agit d’examiner la demande de levée de l’immunité parlementaire d’un député, l’assemblée nationale doit impérativement éviter de s’immiscer dans la procédure judiciaire en cours en tentant d’examiner ou d’apprécier, au fond, la question de la culpabilité du député mis en cause.Et il convoque à cet effet, une décision du Conseil constitutionnel n° 62-18 DC du 10 juillet 1962). (Conseil Constitutionnel qui dit que L’assemblée nationale doit juste et uniquement : « se prononcer sur le CARACTÈRE SÉRIEUX, LOYAL et SINCÈRE de la demande de levée d'immunité parlementaire qui lui est présentée, au regard des faits sur lesquels cette demande est fondée et à l'exclusion de tout autre objet ».

Prenant part à la conférence nationale des chefs de parquet, et comme pour balayer les accusations d’immixtion du Premier ministre, et donc de l’exécutif, le ministre de la Justice s’est prononcé dans l’affaire Farba Ngom. « Nous sommes dans le cadre d’une procédure pénale qui résulte d’un rapport de la cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) remis directement au procureur de la République. L’autorité que je représente n’a absolument rien à y voir. D’ailleurs, au terme de la loi de 2004 sur le blanchiment de capitaux, le procureur de la République a l’obligation légale de saisir le juge d’instruction », a-t-il indiqué .

Avant de noter que le traitement de certains dossiers nécessitent cependant, comme ce fut le cas de Farba Ngom, la levée de son immunité parlementaire.

A l’en croire, tout le débat se situe à ce niveau. « En l’espèce, c’est la qualité de la personne mise en cause, notamment Farba Ngom, qui évidemment entraîne ces contraintes procédurales que nous nous efforçons de respecter justement pour préserver cette légalité qui nous préoccupe tant. Je précise que nous n’avons pas à dire que Farba Ngom est fautif ou pas. C’est le juge d’instruction qui s’en charge et nous sommes tenus d’accepter la décision qu’il aura prise », a fait savoir Ousmane Diagne.

Mais que de polémiques et de brouhaha dans cette opération pour livrer Farba Ngom à la justice. Une situation qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’affaire Sonko au cours de laquelle, convoqué par la justice, celui-ci est allé se barricader à Ziguinchor, où une foule lui avait servi de bouclier. C’est ainsi qu’à l'annonce de la procédure de la levée de l’immunité parlementaire de Farba Ngom par la majorité, une gigantesque mobilisation a été organisée tout près de son domicile, à Agnam Ouro Ciré. Les Agnamois, en première ligne, se sont dressés contre les menaces qui pèsent sur le député avec le slogan “On ne touche pas à Farba Ngom”. Pour beaucoup, le député-maire ne peut être incriminé du fait qu’il n'a jamais eu à gérer des deniers publics. « C’est une injustice, ce qui est en train de se passer. Farba n'a jamais été épinglé par un rapport. Le nouveau régime veut s’acharner sur lui », avait clamé Abdoul Djiby Ndiaye, un des jeunes lieutenants de Farba, par ailleurs adjoint au maire d’Orefondé.

Tout cela pour dire qu’on n’est pas sortis de l’auberge, avec une procédure déjà bien polluée par des liens avec la politique .

Une réforme inévitable de la justice afin de sortir du cycle infernal de soupçons de justice politique

Il est en effet devenu une habitude sous nos cieux, que les dossiers impliquant les hommes politiques, connaissent ce sort en raison des règlements de comptes politiques, vécus sous tous les régimes, de Senghor en passant par Diouf, Wade et Macky Sall. Les sorties récurrentes d’Ousmane Sonko avec le régime actuel, sur fond de menaces publiques adressées à des hommes politiques et également celles sur d’éventuels ordres qu’il pourrait donner au ministre de la justice qu’il considère par ailleurs comme une « autorité politique », ne sont pas pour arranger les choses. Elles impactent les dossiers judiciaires et laissent planer n’importe quel doute et alimenter quelques supputations.

Au premier ministre de laisser la justice faire son travail en toute sérénité et éviter de l’influencer, tout en se limitant à ce qui relève du champ de l’exécutif, étant entendu que le président de la république son patron, ne se prononce jamais sur ces sujets.

Les récentes Assises de la justice ont été suivies de recommandations. Et le président de la république se pose encore la question de savoir s’il doit demeurer ou pas au niveau du Conseil supérieur de la Magistrature. Mais une chose est sure, la réforme de la justice est une demande sociale. Que le président s’y maintienne ou pas, il reste en tout cas impérieux de revisiter beaucoup d’aspects liés à la justice, notamment la procédure pénale, le fait de rendre aux magistrats le pouvoir disciplinaire et de nomination sur leurs pairs, tout en maintenant le pouvoir de signer les décrets de nomination et de radiation du président de la république. De même est attendue la révision des textes (code pénal, code de procédure pénale, statut des magistrats, loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, loi sur la Cour suprême, loi sur le Conseil constitutionnel, code de la famille…).

Il ne serait pas par exemple inutile, comme l’ont proposé les Assisards, d’introduire un juge des libertés et de la détention afin qu’il devienne celui qui décide du sort des prévenus, et non le procureur de la république qui ne doit plus être juge et partie au procès.

Il est sans doute temps d’oublier ces fameux épisodes juridico-politiques afin de ramener la sérénité dans l’espace public, de manière à ce que les opposants ne soient plus intimidés et pourchassés ; mais également qu’eux aussi cessent d’utiliser la carte de la persécution, lorsqu’ils commettent des gaffes.

Mais pour certains observateurs, avec cette procédure contre Farba Ngom, l'on chercherait bien à remonter à Macky Sall, surtout que des débats avaient été agités quant à une possible poursuite de l'ancien président pour haute trahison. Chercherait-on à constituer un dossier dans ce sens ? On ne saurait pour l'heure, le dire.