NETTALI.COM - Après l'appel à candidatures lancé par le ministère chargé des Sénégalais de l'extérieur pour le recrutement de 250 ouvriers agricoles, des milliers de jeunes se sont rués vers les tribunaux et bureaux d'accueil, d'orientation et de suivi (BAOS) pour déposer leurs candidatures. Tous, diplômés comme non-diplômés, n'ont qu'un seul rêve : regagner l'Espagne, quels que soient le moyen et le boulot.
Cela a fait le tour de la toile depuis la fin de la semaine dernière. Des hordes de jeunes qui prennent d'assaut les tribunaux et bureaux d'accueil, d'orientation et de suivi (BAOS) à la quête du sésame pour une hypothétique place dans la cohorte de jeunes devant rallier l'Espagne en tant que travailleurs saisonniers.
Ancien député de la diaspora, Demba Sow se demande si ces jeunes sont bien conscients de ce qui les attend sur place. “Je pense que ces jeunes se font beaucoup d'illusions. D'abord, c'est juste pour quelques petits mois. De plus, les travaux agricoles, en Europe, c'est parfois des jours dans la campagne. Vous allez dormir peut-être sous des tentes, dans la neige, la pluie, le froid... C'est extrêmement difficile. J'ai l'impression que certains jeunes citadins que je vois ne savent pas ce qui les attend”.
Ce questionnement est d'autant plus pertinent que beaucoup parmi des candidats ne connaissent pas grand-chose des travaux champêtres. Certains ne sont jamais sortis de la ville. Par le passé, il y avait un tri, informe une de nos sources sous le couvert de l'anonymat. Non seulement cela était géré par les techniciens au niveau des bureaux d'accueil, d'orientation et de suivi, mais aussi on exigeait un certificat d'aptitude agricole. “Il faut savoir que la sélection se fait en deux étapes. Dans la première phase, c'est les BAOS qui vont choisir. Après, l'agriculteur qui a besoin de cette maind’oeuvre sera là pour faire la sélection définitive. Je pense qu'il était plus judicieux d'attendre la fin de la phase de présélection pour demander certains documents comme le casier judiciaire et le certificat de visite et contre-visite. Nous devons savoir que la migration circulaire ne concerne pas que le Sénégal. D'autres pays comme le Maroc, l'Albanie sont concernés, mais on ne voit pas ce désordre. Cela nuit gravement à l'image du pays”, regrette notre interlocuteur, qui préconise la mise en place d'une plateforme numérique pour éviter ce qui s'est passé.
Le hurlement de désespoir des jeunes qui inquiète de plus en plus
La ruée n'a pas été constatée qu'à Dakar. Les mêmes scènes ont été notées un peu partout dans le pays. Outre la capitale, Thiès, Louga, Diourbel et Ziguinchor n'ont pas été épargnées. Une source au tribunal de Ziguinchor témoigne : “Nous avons effectivement constaté un grand rush. Les gens viennent après la prière de fajr. Et ils restent là jusqu’assez tard. Nous sommes sollicités par beaucoup de monde et il est difficile de les satisfaire. Le tribunal a été obligé de mettre en place un permanent qui prend les dossiers tous les jours, de 8 h à 18 h. Et il a travaillé même le week-end.”
Malgré ces mesures exceptionnelles, les personnels ont eu du mal à prendre tout le monde durant les trois jours initialement accordés. “Les personnels sont limités. Au parquet, il y a le procureur et son substitut. Au greffe, il y a un léger mieux, mais les gens sont débordés en ce moment. Et il y en a de tous les profils : des diplômés, des étudiants ; on se demande pour certains s'ils comptent rentrer à la fin de leur contrat”, rigole notre interlocuteur.
Pour beaucoup, ceci doit servir d'alerte pour pousser le gouvernement à prendre sérieusement cette question du désespoir de la jeunesse, éviter qu'en plus des matières premières, que les autres ne viennent également prendre notre jeunesse. “On ne doit pas encourager les jeunes à s'en aller comme ça, à fuir le pays. Je pense que le régime doit travailler à y mettre un terme. Ces jeunes vont là-bas dans les travaux champêtres. Pourquoi on ne met pas les conditions pour qu'ils restent ici et travailler la terre ?”, commente l'ancien député de la diaspora.
Parmi les jeunes qui cherchent des casiers, il y a des diplômés, des étudiants...
Il faut noter que ces vagues de recrutements, dans le cadre de la migration circulaire, ne datent pas d'aujourd'hui. C'est depuis 2007- 2008, à la suite des premières vagues d'émigration irrégulière, via les embarcations de fortune. Les partenaires espagnols et le gouvernement sénégalais de l'époque y voyaient une alternative à l'émigration clandestine. Mais les premières tentatives se sont soldées par des échecs, à cause du recrutement de mauvais profils. “En 2008, on avait demandé un peu plus de 500 femmes. Mais la sélection avait été très mal faite. Elle a été faite sur la base du népotisme. Il y avait même des femmes enceintes et très peu de retours ont été enregistrés. Les agriculteurs n'étaient pas contents. Par la suite, le programme a été mis en veilleuse, avant son redémarrage avec le régime de Macky Sall. Là également, il y avait une politisation des recrutements”, informe une source bien au fait du dossier.
Du côté des autorités actuelles, on invoque une volonté de démocratiser le processus pour justifier cet appel à compétition ouvert à tous les Sénégalais intéressés. Selon cet agent au département des Sénégalais de l'extérieur, le ministère a voulu donner sa chance à tout le monde. Cela dit, le département a pris bonne note et travaillera certainement à améliorer le processus, à l'avenir. “Ce qui est presque sûr, c'est que la prochaine fois, le dépôt sera numérique. Et cela va permettre d'avoir une base de données, qui va permettre de répondre à la demande”, soutient la source. Aux interrogations sur les profils, il rétorque : “Au niveau des BAOS, il y a un premier filtre qui va se faire. Une autre présélection sera faite au niveau de Dakar. Et l'entreprise qui recrute sera aussi là et va procéder à des entretiens pour choisir les meilleurs. Aussi, ce qu'il faut savoir, c'est que le travail n'est pas très technique, comme certains le prétendent. On n'a pas besoin d'avoir de grandes qualifications pour y être éligible. Maintenant, il va de soi que celui qui a des compétences en matière agricole sera privilégié.”
Des pays plus avancés que le Sénégal pratiquent la migration circulaire
Bien que plus avancé, le Maroc, souligne notre interlocuteur, envoie chaque année des milliers de candidats dans le cadre de cette migration circulaire avec l'Espagne. L'objectif du Sénégal, selon lui, c'est de faire comme le Maroc, dont les ressortissants rentrent à la fin de la campagne. Sur la durée du séjour, l'agent du ministère explique : “Les gens ont le droit d'être en Espagne neuf mois sur douze au maximum. Dans le cadre de cet appel, les gens qui partent auront des contrats de trois mois renouvelables. L'entreprise peut donc le renouveler à deux reprises. Si la personne respecte le contrat en rentrant au terme des neuf mois, s'il y a une autre campagne, cette personne est prioritaire. Après trois séjours, s'il veut rester en Espagne, il fait la demande et on lui accorde un titre de séjour. C'est ce que prévoit l'accord et c'est cela le principe de la migration circulaire. Des pays plus avancés que le Sénégal le font, je ne vois donc pas où se trouve le problème.”
Lors de la précédente campagne qui a eu lieu au mois de mai 2024, ils étaient 152 jeunes à partir. Sur les 152, 100 sont rentrés et les autres ont fondu dans la nature. Les 100 qui étaient revenus sont d'office enrôlés dans la présente campagne. Ils seront complétés par 250 autres candidats. Ce qui fera un total de 350 recrutés pour une durée de trois mois.
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