NETTALI.COM -Le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment signé une circulaire visant à encadrer plus strictement les missions à l'étranger des agents de l'État. Datée du 22 janvier 2025, cette circulaire introduit de nouvelles mesures destinées à rationaliser les dépenses publiques et à renforcer le contrôle des déplacements officiels. Ce texte, qui s'inscrit dans un contexte de difficultés financières pour le pays, a été salué par de nombreux citoyens et militants, mais soulève également des questions sur son efficacité et ses limites.

Parmi les mesures phares, figure la limitation de la taille des délégations. Le texte stipule que “la taille des délégations devant représenter le Sénégal à des rencontres internationales ne peut excéder trois personnes, sauf dérogation accordée par le Premier ministre”. Cette mesure vise à réduire les coûts liés aux déplacements de grandes délégations, souvent critiquées pour leur caractère dispendieux.

En outre, la durée des missions avec frais, est désormais plafonnée à 21 jours. Les demandes d'ordres de mission doivent être transmises “au moins quinze jours avant la date prévue pour le départ, sauf en cas de force majeure dûment justifiée”. Cette disposition permet de mieux planifier les déplacements et d'éviter les dépenses de dernière minute. La circulaire interdit formellement “la prise en charge des frais de mission des ministres, des membres du cabinet, du secrétariat général ou des autres services des ministères par les entités du secteur parapublic sous contrôle ou sous tutelle, sauf pour des missions organisées par lesdites entités”.

Cette mesure vise à mettre fin à des pratiques courantes où des ministères où de hauts fonctionnaires se faisaient financer leurs déplacements par des entreprises publiques ou des organismes parapublics. De même, “la prise en charge de missions d'agents de l'État à l'étranger, par des structures ou organisations privées, est proscrite, sauf dans le cadre d'une convention dûment approuvée”. Cette disposition vise à prévenir les conflits d'intérêts et à garantir que les missions officielles restent indépendantes de toute influence extérieure.

Le texte redéfinit également la notion de “mission sans frais”, qui “s'entend d'une mission dont la prise en charge financière n'est pas supportée par le budget de l'État ou de ses démembrements”. Cette précision vise à éviter toute ambiguïté sur la nature des financements et à garantir que les missions sans frais ne soient pas utilisées pour contourner les règles.

Il faut préciser que ces nouvelles s’appliquent conformément au décret n°2017-1371 et à l’instruction de la primature n°0005PM/SGG/ DAGE. Le document souligne que les missions doivent impérativement répondre à des objectifs de travail définis dans le cadre des actions gouvernementales avec des États, organisations internationales ou autres institutions.

Une mesure qui ne s'attaque pas au coeur du problème

Yoro Ndao, habitant de Golf et agent à Keur Massar, estime que “le gouvernement doit aller plus loin dans cette mesure pour réduire le train de vie de l'État”. Pour lui, ces nouvelles règles sont un pas dans la bonne direction, mais il reste encore beaucoup à faire pour rationaliser les dépenses publiques.

Cependant, certains observateurs soulignent que la circulaire ne s'attaque pas au coeur du problème : les indemnités journalières abusives. Un ministre, un directeur général ou un haut fonctionnaire perçoit déjà un salaire confortable, accompagné de plusieurs avantages (voiture de fonction, logement de fonction, primes, etc.). Pourquoi devraient-ils recevoir une indemnité de 250 000 F CFA par jour en plus de leur salaire lorsqu'ils voyagent en tant que haut responsable, et de 150 000 F CFA pour les autres agents de l'État ? Ces indemnités, jugées excessives par beaucoup, sont perçues comme une ponction injustifiée sur les finances publiques. “Un fonctionnaire est payé pour travailler. Qu'il soit à Dakar ou à Paris, il fait son travail. Dans le privé, personne ne touche un double salaire pour une mission. Pourquoi l'État devrait-il faire différemment ?”, s'interroge un observateur.

Ces indemnités sont souvent considérées comme un détournement institutionnalisé des fonds publics, une pratique qui doit cesser, selon les critiques.

La circulaire prévoit également de confier toutes les validations de voyages au Premier ministre. Cette centralisation des décisions suscite des craintes de bureaucratisation excessive et de favoritisme. Une surcharge administrative pourrait ralentir le travail du gouvernement, tandis que les validations pourraient être influencées par des considérations politiques.

Pour certains observateurs, il serait plus efficace de mettre en place un mécanisme de validation décentralisé, permettant une gestion plus fluide et moins sujette aux abus. “Pourquoi ne pas mettre en place un système de validation plus efficace et moins centralisé ?”, s'interroge un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. “Nous avions déjà fait des propositions sur l'organisation des voyages officiels, en espérant que cela pourrait inspirer les autorités”.

Le cas du Bénin : un modèle à suivre ?

Le Sénégal pourrait s'inspirer de l'exemple du Bénin, qui a réussi à réduire significativement ses dépenses de fonctionnement, grâce à des mesures de contrôle et de rigueur. En 2024, Romuald Wadagni, le nouveau ministre des Finances, a notamment mis en place un système de carte bancaire pour les frais de mission, remplaçant les liquidités en espèces. Cette mesure permet de tracer l'usage des fonds et d'éviter les détournements. Les billets d'avion sont désormais gérés par une seule agence, avec des prix définis à l'avance en fonction des classes et de la fonction. Résultat : les dépenses annuelles en billets d'avion sont passées de 17 à environ 2 milliards F CFA.

En outre, le Bénin a opté pour le leasing des voitures de fonction, évitant ainsi les coûts annexes de réparation et les surfacturations à l'achat. Ces mesures ont permis au pays de réaliser des économies substantielles et de financer de grands projets sans créer de dette inutile.

L'autre énigme : les collectivités locales

Si la circulaire du Premier ministre Sonko s'applique aux agents de l'État, elle ne concerne pas les collectivités locales où les frais de mission restent un sujet épineux. Dans de nombreuses communes, les frais de mission sont votés chaque année par les conseils municipaux, mais profitent souvent à une minorité, parfois le maire et ses proches. Ces déplacements, souvent sans impact direct sur les investissements des mairies, sont utilisés pour servir une clientèle politique ou récompenser des agents et des conseillers à la solde du maire. Dans une commune de Dakar, par exemple, presque tous les conseillers sont partis à Fès moyennant des frais de mission, sans que cela n'ait un réel impact sur la gestion de la mairie, souffle un agent sous anonymat. Ces pratiques, qui relèvent souvent du clientélisme, soulèvent des questions sur la transparence et l'efficacité de la gestion des fonds publics au niveau local.

Le cas des frais de déplacement à l’intérieur du pays

Cette nouvelle mesure marque un pas important vers une gestion plus rigoureuse des dépenses publiques. Cependant, pour atteindre ses objectifs, elle devra être accompagnée de réformes complémentaires et d'une volonté politique forte de lutter contre les abus et la corruption à tous les niveaux de l'Administration.

Alors que les missions à l'étranger font l'objet d'un encadrement strict avec la nouvelle circulaire du Premier ministre Ousmane Sonko, les déplacements internes, bien que moins coûteux et souvent tout aussi efficaces, font état de débat aussi. Pourtant, les frais de déplacement à l’intérieur du pays sont nettement moins élevés que les missions internationales.

Selon les dispositions en vigueur, un agent de l'État perçoit 5 000 F CFA par jour pour un déplacement de moins de 70 km, c'est-à-dire dans la même zone géographique. Au-delà, l'indemnité journalière s'élève à 25 000 F CFA. Ces montants, bien que modestes, couvrent les frais de subsistance et de logement des fonctionnaires en mission. Ces mesures font allusion aux coûts paramétriques. Il est important de souligner que lorsque l’État prend en charge directement les frais de déplacement d’un agent (transport, hébergement, restauration), celui-ci ne perçoit aucune indemnité journalière supplémentaire.

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