NETTALI.COM - Le Sénégal célèbre, depuis neuf mois, la journée "Setal Sunu Réew", une initiative citoyenne de nettoyage et de mobilisation collective pour l’assainissement des villes. La 9e édition, tenue le samedi 1er février à Guédiawaye et à Louga, a révélé des doutes sous-jacents. Alors que le chef de l’État annonce une "pause" pour repenser le format, le chef du gouvernement évoque une "nouvelle forme" intégrant une dimension économique. Deux discours, deux visions : divergence ou complémentarité ?

Devant la préfecture de Guédiawaye, le président Bassirou Diomaye Faye a planté un arbre symbolique, geste fort pour illustrer sa vision d’un environnement durable. Dans un discours empreint de pédagogie, il a rappelé l’urgence de transformer le “Setal Sunu Réew” en une “routine collective”, loin des actions ponctuelles. “Le défi n’est pas de nettoyer une fois, mais de maintenir cet élan pour les générations futures”, a-t-il martelé, insistant sur le lien entre propreté, santé publique et image internationale du Sénégal.

Une annonce surprise : la fin du format actuel

C’est pourtant dans ce même discours que Diomaye Faye a semé le trouble en annonçant une “pause” dès le mois prochain. “Nous réfléchissons à redéfinir le format pour plus d’efficacité et de pérennité”, a-t- il expliqué. “La prochaine Journée nationale Sétal sunu réew ne se déroulera pas dans les mêmes formes que les précédentes éditions. Nous sommes en train de revoir, de rediscuter et de réfléchir sur un nouveau format d’organisation des journées nationales de nettoiement, dans l’unique but d’être beaucoup plus efficaces sur le terrain et d’assurer la pérennité de cette activité”, a annoncé le chef de l'État, en compagnie du ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique, le Général Jean Baptiste Tine.

Pour lui, il s’agit de passer d’une mobilisation mensuelle symbolique à un “réflexe quotidien” ancré dans les mentalités. Il s’explique : “Cela ne veut pas dire pour autant que nous allons cesser de maintenir nos cadres de vie propres durant cette période d’un mois. Le même état d’esprit d’engagement qui nous a fait sortir aujourd’hui, doit être quotidien et définitivement ancré dans notre ADN collectif et individuel. Le défi n’est pas de mener des activités de nettoiement ponctuelles, mais de pérenniser ces initiatives de mobilisation citoyenne. Nous avons toujours nettoyé nos cadres de vie à différentes occasions. Mais le défi, c’est d’être la génération qui doit perpétuer les activités de nettoiement et salir moins pour permettre aux futures générations d’évoluer dans un cadre environnemental meilleur.”

Le président a également évoqué l’unité nationale et la nécessité de renforcer la cohésion sociale à travers des initiatives de propreté. “Il est important que nous nous rappelions qu’il n’y a pas les forces de défense et de sécurité d’un côté et les populations de l’autre. Il n’y a pas de segmentation ni de différence, encore moins d’antagonismes”, a-t-il précisé.

Ces propos visent à renforcer la collaboration entre les citoyens et les institutions, dans le cadre de la sécurité publique et de l’entretien de l’environnement.

Ce que le ministre de l’Intérieur a souligné, lors des opérations de nettoiement auxquelles il a activement pris part. L’objectif, a déclaré le général Jean Baptiste Tine, est de “renforcer la collaboration entre les populations et les forces de l’ordre, dans le but d’avoir une sécurité plus efficace, plus active, plus dynamique, collaborative qui inclut la participation des citoyens et des forces de l’ordre”.

Sonko mise sur l’économie et une “nouvelle forme”

À 200 km de Guédiawaye, à Louga, le Premier ministre Ousmane Sonko a orchestré une communication différente voire complémentaire. Accueilli par la gouverneure et entouré de jeunes militants, il a participé au nettoyage avant d’annoncer une refonte ambitieuse du programme. “Nous intégrerons une dimension économique pour en faire un modèle inclusif”, a-t-il déclaré, détaillant trois axes majeurs : création de coopératives urbaines de jeunes pour structurer l’emploi dans le secteur de l’hygiène ; collaboration renforcée avec les services techniques (collecte des déchets, assainissement) ; appui en équipements (camions-bennes, broyeurs) pour générer des revenus durables.

Pour Sonko, il ne s’agit pas seulement de balayer les rues, mais de “transformer l’essai citoyen en levier de développement”. En associant civisme et économie, il espère redonner un souffle à une initiative dont l’engouement s’est érodé. “Les jeunes ne veulent plus de slogans, mais des opportunités”, a-t-il souligné, visant indirectement les critiques sur le caractère politicien du “Setal”.

En effet, pour certains, si Diomaye incarne l’unité et la tradition, Sonko apporte une modernité entrepreneuriale. Ensemble, leurs discours épousent la dualité sénégalaise : un pays ancré dans ses valeurs, mais tourné vers l’innovation. La stratégie pourrait apporter un succès national où la synergie État-citoyens va booster l’hygiène publique.

Suspension vs innovation ?

Si les deux leaders se rejoignent sur la nécessité de réformer le “Setal Sunu Réew”, leurs formulations ont suscité des interprétations divergentes. Pour Mamadou Ndiaye, journaliste et observateur de la scène politique, “la différence entre ‘pause’ et ‘nouvelle forme’ révèle un manque de concertation en amont. Diomaye, en tant que président de la République, adopte un ton prudent, presque technocratique, tandis que Sonko, en chef de gouvernement, mise sur l’audace et la rupture”. Cette dichotomie brouille-t-elle le message ?

Dans les rues de Keur Massar, les avis sont partagés. “Diomaye parle de pause, Sonko de relance. Qui croire ?”, s’interroge Moussa Fall, un habitant de la cité Ainoumady. D’autres, comme Yérim, jeune entrepreneur, saluent l’idée des coopératives : “Enfin, on parle d’emplois concrets !

Cependant, nombreux sont ceux qui dénoncent une récupération politique. “Le ‘Setal’ est devenu un meeting déguisé. Les premiers à nettoyer sont les militants de la Jeunesse patriotique”, critiquent certains citoyens. Une perception renforcée par l’absence de leaders de l’opposition lors des événements.

Lancé il y a neuf mois par Diomaye Faye, le “Setal Sunu Réew” (nettoyons notre pays, en wolof) avait initialement fédéré des milliers de citoyens, séduits par son message unitaire. Mais rapidement, les critiques ont fusé et il a perdu l’engouement et la mobilisation qu’il avait au début, ce qui a sans doute poussé l’Exécutif à vouloir revoir la faisabilité.

Malgré les efforts déployés, les déchets réapparaissent en quelques jours, révélant une logistique défaillante (manque de poubelles, retards de collecte). La “politisation de l'événement”, avec des accusations de clientélisme et d'exclusion, souligne le manque de résultats et le sentiment de “répéter les mêmes gestes sans résultat”, comme le déplorent beaucoup de citoyens.

Pour certains observateurs, “la suspension évoquée par Diomaye semble préparer le terrain pour les réformes structurelles annoncées par Sonko. Le président parle de méthode, le PM de contenu”. Ils y voient une complémentarité masquée par des différences de style.

L'avenir de “Setal Sunu Réew” reste incertain. Si la vision du président Faye met l'accent sur la pérennisation de l'action et l'unité nationale, celle du Premier ministre Sonko, plus pragmatique, cherche à transformer l'initiative en un levier économique pour les jeunes. Au-delà des divergences de forme, une complémentarité semble se dessiner : l'ancrage civique et la dimension économique pourraient être les deux piliers d'une refonte réussie. Reste à savoir si cette ambition se traduira par une adhésion citoyenne renouvelée, ou si le “Setal Sunu Réew” sombrera dans l'anecdote, faute d'avoir su se réinventer.

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