CONTRIBUTION - Se positionner comme l’une des destinations d’Afrique de l’Ouest qui comptent en matière de tourisme, s’affirmer comme un hub aérien régional et logistique majeur, s’investir comme le leader dans le secteur des exportations et autant de moteurs de croissance, restent des motivations stratégiques qui ont conduit le Sénégal à miser sur son pavillon national Air Sénégal SA.

Air Sénégal SA est un acteur capital pour l’économie nationale. Son activité s’inscrit dans l’agenda Sénégal 2050 Transformation structurelle de l’économie et croissance, articulée aux orientations sectorielles de l’objectif “ Hub aérien régional”. Du fait que l’aérien est considéré comme un secteur stratégique, il comporte un enjeu de souveraineté qui fait que l’omniprésence de l’État dans le processus décisionnel de la compagnie nationale, demeure une réalité.

Créée en 2016 pour devenir un acteur majeur dans le transport aérien en Afrique de l’Ouest, Air Sénégal SA fait face à des difficultés multiples et multiformes. Pour une compagnie aérienne, on considère en général qu’il faut quatre à cinq ans avant d’arriver à l’équilibre. Cependant, voilà huit (8) ans qu’Air Sénégal SA n’a pas réussi à établir une réputation solide sur les marchés. Lourdement endetté et soumis à une image amochée, le pavillon national a du mal à rentabiliser ses investissements et à remplir sa mission. Un réaménagement pour s’adapter à certaines contraintes devient une nécessité : fusion, scission ? fusion-absorption, fusionréunion avec dissolution sans liquidation ou encore transmission universelle de patrimoine … ? En tout état de cause, Air Sénégal SA est à la croisée des chemins,

Faudrait-il envisager de déposer le bilan et créer une nouvelle société plutôt que de continuer à opérer avec ses dettes abyssales ? Un choix cornélien se pose aux autorités et décideurs nationaux. Si la création d’une nouvelle société permet en effet, de repartir sur des bases saines, éviter certaines charges comme le cout de la dette, mieux structurer la nouvelle entreprise en changeant son modèle commercial pour une meilleure flexibilité opérationnelle, avec la possibilité d’attirer de nouveaux investisseurs et négocier de nouveaux accords avec ses partenaires sociaux, profiter des incitations gouvernementales et mieux s'adapter aux conditions changeantes pour saisir de nouvelles opportunités en fonction des perspectives du marché, en revanche, la transformation reste une exigence pour assurer la viabilité à long terme, solidifier sa position sur le marché, améliorer ses performances opérationnelles et financières et se préparer pour l’avenir avec un historique certain. Il ne faudrait pas se tromper !

Aujourd’hui, Air Sénégal SA se caractérise par des contre-performances. Ses plans sont contrariés par des difficultés financières, des actifs vieillissants et des capacités réduites pour soutenir la croissance du trafic, alors que les conditions essentielles de sa viabilité sont claires : se doter d’une capitalisation suffisante et des moyens financiers robustes, d’un modèle économique viable et durable, d’une gouvernance exemplaire, exempte d’ingérence politique et fondée sur les meilleures pratiques managériales, d’une flotte de génération récente d’au moins vingt (20) appareils pour garantir une taille critique gage de rentabilité, d’une maitrise de la chaîne d’approvisionnement de certains facteurs de production (notamment, la production de kérosène et du carburant d’aviation SAF par la SAR, pour faire face à la transition énergétique) et enfin de l'établissement de partenariats stratégiques avec des acteurs influents, comme ceux des États du Golfe et du Moyen-Orient.

Le Gouvernement, dans le cadre des politiques de rupture et d’assainissement des secteurs de croissance, retient la nécessité d’entreprendre la transformation du transporteur national : un choix Cornélien. En effet, l’absence de restructuration peut avoir plusieurs conséquences potentielles, notamment, l’incapacité à résoudre les problèmes financiers et opérationnels au sein d’Air Sénégal SA, ce qui peut affecter durablement la rentabilité de ses opérations, dissuader les potentiels clients et partenaires commerciaux et surtout, accroitre sa dépendance aux aides extérieures. Air Sénégal devra compter dans ces conditions, sur des soutiens financiers externes, ce qui ne saurait être durable à long terme.

L’accumulation continue des pertes financières fait exercer une pression sur les ressources de l’État. Elle conduit à une perte de compétitivité avec un risque de perte de parts de marché face à des concurrents mieux structurés, avec des contraintes budgétaires qui pourraient conduire à une réduction de la qualité du service (entretien des avions, respect des horaires, service client …), à des suppressions de postes et d’emplois et nuire à la réputation et à l’image de marque. la question est alors de savoir pour combien de temps encore l’État, frappé par des contraintes budgétaires sans précédents, va pouvoir soutenir sa compagnie structurellement déficitaire ? Sachant qu’avant de générer des bénéfices, une compagnie aérienne nécessite beaucoup de temps et d’investissements donc, jusqu’où l’État du Sénégal va vouloir et pouvoir intervenir pour sauver son pavillon ?

Aujourd’hui, aucun pays singulièrement, Ouest-africain n’a les moyens de porter une compagnie aérienne rentable. On le voit bien, si les États tiennent autant à leurs pavillons, c’est parce qu’ils représentent des instruments politiques. En attendant et malgré les ambitions affichées, Air Sénégal SA fait face à des enjeux majeurs en devant d’une part, prouver sa crédibilité pour attirer des partenaires stratégiques après des tentatives infructueuses et d’autre part, en tant que corps d’un secteur stratégique soumis à des considérations de souveraineté nationale, où l’ingérence politique peut parfois prévaloir sur les impératifs économiques du fait que c’est l’État qui vient à la rescousse et met la main à la poche en cas de coup dur.

Faut-il pour autant, que l’État se désengage de sa compagnie nationale ? Entre l’État et la compagnie publique soumise aux choix des politiques économiques et sociales du gouvernement, chacun doit trouver sa place et l’implication de l’État devra se concevoir par moins d’influence dans la gestion opérationnelle de la compagnie.

MAMADOU LAMINE SOW Pilote de ligne

Ancien DG agence nationale de l’aviation civile (anacim)

Ancien DG Air Sénégal SA lamine.iero@gmail.com