NETTALI.COM - C’est comme si nos institutions n'étaient vouées qu'à reculer ? Le temps passe et notre histoire politique est minée par les mêmes postures hostiles adoptées par les tenants des nouveaux régimes contre leurs opposants.

Fin mai 2023, suite à la fameuse caravane de la liberté qui sera stoppée aux alentours de Vélingara, le leader patriotique Ousmane Sonko est déposé à son domicile. Ses téléphones et son ordinateur sont confisqués par les forces de sécurité et l’accès à son domicile est bloqué. Ce qui avait poussé à l'époque, l’actuel Premier ministre à condamner une « séquestration », ainsi qu’une interdiction de visite, non seulement de ses proches, mais également de ses avocats. Une mesure jugée arbitraire à l’époque. Le dispositif sécuritaire ne fut finalement levé autour du domicile d’Ousmane Sonko, que le lundi 24 juillet.

La suite, on la connaît. Ousmane Sonko est interpellé et emprisonné en mars 2021 pour « trouble à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée », alors qu’il se rendait, entouré d’un important cortège de sympathisants, à sa convocation au tribunal. Il est libéré, le lundi 8 mars et placé sous contrôle judiciaire, criant sur tous les toits, être victime d’un complot ourdi par le chef de l’Etat, Macky Sall, afin de l’écarter de l’élection présidentielle de 2024.

Les interdictions de voyager : pas une première !

Changement d’époque, changement de régime, le lundi 10 mars 2025, Mansour Faye, ancien ministre du régime précédent et non moins beau-frère de du président Macky Sall, est interdit d’embarquer à l’Aéroport Blaise Diagne, alors qu’il devait se rendre à Djeddah en Arabie-Saoudite. Une interdiction d'embarquer non notifiée, si on en croit son post sur sa page facebook. Il ne fait pas non plus « l’objet d’aucune procédure, ni d’aucune enquête, encore moins d'une quelconque accusation, en quoi et sur quoi que ce soit!! », selon le même post.

Une interdiction de voyager qui intervient dans un contexte où ce dernier s’est fait remarquer par des sorties virulentes contre le Premier ministre Ousmane Sonko. D’ailleurs, récemment, il avait invité le chef de l’Etat à se séparer du chef du gouvernement et de faire appel à Macky Sall pour, dit-il, sauver le pays.

Et comme pour riposter, le jeudi 13 mars, à travers un même post sur facebook, Mansour Faye qui se dit prêt à toute éventualité, lance des piques à l'endroit du nouveau régime : « je suis un homme libre, digne et loyal. Je ne suis ni un lâche, ni un voleur encore moins un menteur». Par ailleurs, il révèle que dans les semaines à venir, «l’électricité, le carburant et le gaz, pour ne citer que ces produits vitaux dans notre quotidien, pourraient connaître une hausse sensible». Avant de poursuivre : « ! Target ! SAS « demi-dieu » est atteint, blessé, par mes posts objectifs, réels, véridiques et éloignés de tout mensonge ou subjectivité. Il titube et va couler sous peu de temps ! La gestion du pouvoir est une dure réalité qui ne peut s’abreuver de populisme pour triompher. Je l’avais dit et je le répète : on ne peut pas passer son temps à calomnier, insulter, manipuler, dire des contrevérités en s'opposant et vouloir gouverner par les mêmes pratiques. Indéniablement, notre cher pays file tout droit vers le chaos»

Pour des interdictions de voyager, on n’en est pas à une première du genre. Il y a eu récemment le cas Lat Diop, retenu quelques heures à la police de l’Aéroport international Blaise Diagne de Dakar, alors qu’il devait embarquer pour Paris. Son passeport diplomatique avait été confisqué, avant que son passeport ordinaire ne lui fut restituer et se voir signifier de façon verbale, une interdiction de sortie du territoire.

De même, l’ancien ministre de l’urbanisme et non moins Vice-président de la Fédération sénégalaise de football, Abdoulaye Sow, avait fait les frais d’une mesure similaire pour avoir été bloqué à l’aéroport par la police, alors qu’il devait voyager avec les «lions» au Malawi, sans qu’aucune mesure d’interdiction ne lui ait été au préalable notifiée.

Madiambal Diagne, journaliste, considéré comme un détracteur du régime et engagé récemment en politique aux côtés d’Amadou Ba, avait également été victime de la même mesure, alors qu’il lui était demandé de restituer un passeport diplomatique qu’il n’a, selon ses termes, jamais détenu.

Dure, dure, la vie d'opposant !

Tout se passe finalement comme si le règne de l’arbitraire semble parti pour être érigé en règle de gouvernance par tout nouveau régime qui arrive. Il y a comme qui dirait, une logique de règlement de comptes vis-à-vis des régimes précédents ou des concurrents politiques, qui s'est installée durablement. L'histoire politique du Sénégal est là nous prouver que, de Mamadou Dia à Ousmane Sonko, en passant par Abdoulaye Wade, Macky Sall, Khalifa Sall et Karim Wade, tous les opposants ont eu leur dose de galères et de persécutions. Si seulement ces derniers pouvaient se révéler sous les habits de vrais démocrates en apprenant de leurs expériences, pour ne pas avoir à reproduire les mêmes travers que leurs prédécesseurs.

Rappelons qu’Abdou Diouf avait maintes fois emprisonné Me Abdoulaye Wade. Beaucoup de ceux qui s’activent aujourd’hui sur le terrain politique, étaient bien jeunes ou pas encore nés, quand Me Abdoulaye Wade, alors leader tout puissant de l’opposition sénégalaise, mobilisait les jeunes dans la rue pour instaurer des bras de fer continus et stressants au président Abdou Diouf.

Me Wade, lui-même, une fois au pouvoir s’en était à son tour pris à Idrissa Seck, dans le cadre de procédures judiciaires, lui reprochant sa gestion des chantiers de la ville de Thiès sur la base d’un rapport de l’Inspection générale d’Etat réalisé à sa demande, avec notamment quelque 21 milliards de francs CFA qui auraient été dépensés dans des travaux « non autorisés ». En juillet 2005, Idrissa Seck est accusé de « détournement de deniers publics, corruption et atteinte à la sûreté de l’Etat ». Incarcéré à la prison de Rebeuss, il ne sera libéré qu’en février 2006. L’on savait bien qu’à l’époque, le président reprochait à son Premier ministre, de lorgner son fauteuil, alors que lui accusait son patron de vouloir favoriser l’ascension d’un autre dauphin en la personne de son fils, Karim Wade.

L'on ne peut occulter l'épisode politico-judiciaire qui a fait grand bruit en son temps et durant lequel Ousmane Sonko est accusé de viol. Jugé, le chef d'accusation le concernant, avait finalement mué en corruption de la jeunesse dans l'affaire l'opposant à la masseuse Adji Raby Sarr. De même dans son procès en diffamation intenté par Mame Mbaye Niang, Ousmane Sonko est condamné à six mois de prison avec sursis. Ce qui l'empêchait d'être éligible.

Karim Wade, Khalifa Sall et Ousmane Sonko passent à la trappe

Et comme si ses propres déboires sous Wade ne lui avaient pas servi de leçon, Macky Sall himself a lui aussi fait des victimes. Poursuivi dans le cadre d'une procédure d'enrichissement illicite, la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI), une juridiction spéciale sénégalaise, condamnera Karim Wade, fils de l'ancien président Abdoulaye Wade, à une peine de six ans d'emprisonnement et à une amende de 138 milliards de francs CFA. Il est accusé d'avoir illégalement acquis 178 millions d'euros (117 milliards de F CFA) par le biais de montages financiers complexes du temps où il était conseiller puis ministre avec un énorme portefeuille de son père. Son patrimoine comprenait, selon l'accusation, des sociétés au Sénégal et l'étranger, des comptes bancaires, des propriétés immobilières et des voitures. Le parquet avait alors requis contre lui, sept ans de prison. A l’arrivée, ce dernier sera gracié et exilé au Qatar sans que le montant de 738 milliards pour lesquels il était condamné, ne soit recouvré.

Sous le règne du même président Macky Sall, Khalifa Sall est passé par la case prison. En mars 2017, le maire de Dakar de l’époque est placé sous mandat de dépôt avec cinq de ses collaborateurs dans une affaire de caisse d’avance de la mairie « sans justification » portant sur 1,83 milliard de francs CFA. Depuis sa cellule, il gagne les élections législatives de juillet, qu’il remporte dans sa circonscription de Dakar. Mais en novembre 2017, son immunité parlementaire est levée et il est condamné en août 2018 par le tribunal correctionnel de Dakar à cinq ans d’emprisonnement pour « faux en écriture » et « escroquerie portant sur les deniers publics ». Peine confirmée par la Cour d’appel de Dakar et la Cour suprême.

Khalifa Sall avait toujours argué que les maires de Dakar ont toujours eu à leur disposition une « caisse d’avance » destinée à leurs actions politiques. Macky Sall le révoque de ses fonctions à l’hôtel de ville, avant de lui accorder, un an plus tard, une grâce présidentielle.

Barth perd ses postes /Autour de L'APR de goutter les délices de l'opposition

Barthélémy Dias a lui aussi récemment connu une descente aux enfers. Allié d’Ousmane Sonko jusqu’à la veille de la présidentielle, ils se séparèrent sur fond de déballages et d'inimitié manifeste. Par la suite, le Pastef arrive au pouvoir, lors de la présidentielle et gagne dans la foulée les législatives après une campagne faite d'affrontements violents sur le terrain, à Saint-Louis notamment et à Dakar où le siège de Taxawu est mis à sac. Barthélémy Dias perd son mandat de député à l'Assemblée nationale. Puis son fauteuil de maire de la ville de Dakar, suite à une saisine du Préfet par le conseiller municipal Beyna Guèye. Sa condamnation à deux ans de prison dont six ferme pour coups mortels, dans le cadre de l’affaire Ndiaga Diouf, ne lui a pas porté bonheur. Même sa saisine de la Cour d'appel de Dakar pour faire annuler la décision, n’y fera rien.

Aujourd’hui dans l'opposition, c'est le régime de l’Apr qui est en train de passer à la trappe, victime de sa gestion désastreuse du pays, selon le nouveau régime. Dans les rangs de l’ancien régime, l’on relie la situation à des règlements de compte politiques, sur fond d’accusations de menaces publiques brandies par le Premier ministre Ousmane Sonko, contre certains dignitaires dont Farba Ngom, finalement mises, selon eux, en exécution. Farba Ngom, l’homme fort du Macky qui a résisté à l’assaut du Pastef dans le Fouta, est placé en détention dans le cadre de poursuites pour des transactions suspectes portant sur 125 milliards.

Lat Diop, l’ancien ministre des Sports sous le régime de Macky Sall et ancien DG de la Lonase, a lui été placé sous mandat de dépôt pour détournement de deniers publics portant sur 8 milliards de francs Cfa, extorsion de fonds et blanchiment de capitaux, en raison d'accusations portant sur un montant de 7 milliards F CFA, qu'il aurait encaissé du patron de 1Xbet Sénégal et qui lui aurait permis de se procurer de nombreux biens au Sénégal et dans d'autres pays, dont une maison à Grenoble, en France.

Il est aujourd’hui question de l’immunité parlementaire de Moustapha Diop qui est en voie d’être levée.

Dans le même temps, le 3 mars 2025, le député Babacar Ndiaye, membre de la coalition PASTEF, a déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale pour la création d’une commission d’enquête parlementaire, avec pour objectif de faire la lumière sur un contrat d’achat d’armement de 45 milliards de francs CFA, signé en 2022 par le ministère de l’Environnement du Sénégal avec Aboubakar Hima, un marchand d’armes nigérien surnommé « Petit Boubé ». Une affaire qui vise Abdou Karim Sall.

Qui aurait cru que Marième Faye, l’épouse de Macky, se retrouverait un jour dans cette posture, en laissant éclater sa colère de cette manière, suite à l’interdiction de sortie du territoire national de son frère Mansour Faye ? Celle-ci a en effet fait savoir sur la RFM, que « cela fait 9 mois qu'ils enquêtent sur lui, ses enfants, sa famille et ses proches, sans rien trouver » , estimant que « cette interdiction est juste un coup de force parce qu'il n'y a aucune décision de justice contre lui.». « Qu’ils nous arrêtent tous », a-t-elle fini par pester, non sans un sentiment de dépit. Peut-être que son frère n'aurait jamais dû être le tout puissant ministre qu'il a été pendant la gouvernance Sall.

Des institutions de plus en plus fragilisées

Nos institutions n'évoluent guère. L’on préfère, sous nos cieux, adouber des hommes politiques charismatiques à la notoriété établie qui finissent par happer les institutions, les instrumentaliser et les affaiblir durablement.

Tant qu'on ne se débarssera pas de cette fameuse liste nationale génératrice de majorités mécaniques à l'Assemblée nationale, exécutant au doigt et à l'oeil, les mots d'ordre du chef de file dans l'exécutif ; tant qu'on maintiendra ce cordon ombilical entre le ministère de la justice et l'institution judiciaire, en particulier le parquet, nos institutions demeureront toujours aussi fragiles.

L’on attend en tout cas toujours cette fameuse réforme de la justice qui tarde à venir, malgré les recommandations issues des Assises de la justice.

Loin de dire que tous les opposants emprisonnés ne sont pas pour certains coupables de ce qu'on leur reproche. Le fait est que la frontière entre l'exercice de la justice et la politique, n'est pas clairement tracée. Surtout que les procédures judiciaires souvent utilisées contre les opposants, à tort ou à raison, se sont révélées dans le temps, être une grosse perte de temps. En cela qu’elles engloutissent nos pauvres deniers pour de maigres résultats. Car au bout du compte, le résultat escompté ne devrait pas consister à emprisonner des personnes,  juste pour le plaisir de les punir, mais plutôt de récupérer en priorité l’argent qu’on leur reproche d’avoir détourné, une fois condamnés.

Le cas Karim Wade est suffisant éloquent pour nous édifier sur la perte de temps monumentale que cette condamnation a été. Qui ne se rappelle pas de cette liste initiale des 20 dignitaires du régime qui devaient être poursuivis et qui a finalement été rangée dans des archives qu’on aura du mal à retrouver ? Pauvre Sénégal Le constat est simple. Des institutions qui n’avancent pas, reculent forcément.

Il serait en tout cas plus indiqué, pendant que l’on s’occupe de reddition des comptes, de se préoccuper de donner un coup de fouet à l’économie du pays, aujourd'hui bien trop morose. Les licenciements se comptent par milliers si on en croit le Rassemblement des Travailleurs du Sénégal (Rts). Un sacré gros problème.