NETTALI.COM - Alors qu'elle était censée apaiser le coeur des victimes, satisfaire les exigences de nombre de Sénégalais qui s'étaient insurgés contre la loi portant amnistie des crimes ayant eu lieu lors des troubles politiques préélectoraux entre 2021 et 2024, la loi Amadou Ba n'a réussi qu'à ressusciter les controverses. Les victimes dénoncent une justice à deux vitesses et réclament une révision du texte. Guy Marius Sagna propose un amendement, tandis que Thierno Alassane Sall exige une abrogation pure et simple.
Guy Marius Sagna propose un amendement
Les réactions n'ont pas manqué, à la suite de la présentation de la loi interprétative en commission à l'Assemblée nationale. Et elles fusent de tous bords politiques. Du côté de la majorité à laquelle appartient le député Amadou Ba, c'est Guy Marius Sagna qui donne le ton. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne semble pas totalement satisfait. Saluant l'initiative prise par son collègue, il déclare : “pour rendre la future loi beaucoup plus intelligible et ne pas permettre à des criminels d'échapper à la justice, je vais proposer un amendement afin que son article premier soit réécrit ainsi qu'il suit.”
Le député de préciser : “les crimes de sang, les cas de torture et les traitements et autres peines cruels et dégradants sont exclus du champ d'application de la loi d'amnistie.”
TAS contre toute justice ou abrogation à double vitesse
À l'obstacle juridique et technique que risque de rencontrer une telle disposition, il faudra ajouter celui politique. D'ailleurs, le député non-inscrit Thierno Alassane Sall ne s'est pas empêché de monter au créneau pour porter la réplique. “Une amnistie sélective, selon lui, est pire qu’une amnistie totale, car elle établit une distinction entre bons criminels et délinquants (ceux ayant une motivation politique) et mauvais criminels et délinquants (les autres)”.
Réitérant son souhait de voir l'amnistie disparaitre, il déclare : “abroger partiellement, rapporter, interpréter, réécrire… La terminologie change, mais la volonté reste la même : Pastef prône une justice à deux vitesses. L’amnistie doit être abrogée purement et simplement. C'est une demande populaire, c'est également la seule condition pour une stabilité nationale.”
Dans une précédente sortie, il alertait sur une grosse farce perpétrée par Pastef avec cette loi interprétative.
IBOU SANÉ, EX-DÉTENU “L'interprétation actuelle semble aller à l'encontre des principes...”
Certaines victimes ont aussi exprimé leurs préoccupations par rapport à la nouvelle loi. Pour Ibou Sané, ex-détenu, “la loi d’amnistie, dans son essence, devrait viser à apaiser les tensions sociales, à favoriser la réconciliation nationale et à garantir que les personnes injustement persécutées pour leurs opinions ou leurs actions politiques puissent retrouver leur place dans la société. Cependant, l’interprétation actuelle de cette loi semble aller à l’encontre de ces principes fondamentaux”.
En effet, souligne M. Sané, “plusieurs ex-détenus politiques et leurs familles ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’application restrictive de cette loi, qui pourrait les priver de leurs droits légitimes à la réhabilitation, à la réinsertion sociale et à la reconnaissance des préjudices subis. Cette situation risque non seulement d’aggraver les souffrances de ces personnes, mais aussi de saper la confiance des citoyens envers les institutions chargées de garantir la justice et l’équité”.
Fort de ces constats, Ibou Sané exhorte le président de la majorité “à porter cette question devant l’Assemblée nationale et à oeuvrer pour une révision de cette loi d’interprétation, afin qu’elle respecte pleinement les droits des ex-détenus politiques et qu’elle réponde aux aspirations de justice et de réconciliation du peuple sénégalais”.
Amadou Khomeiny Camara - juriste : "“La loi d'amnistie était déjà assez claire à mon avis. L’interprétation ne règle pas le problème”
En fait, tout ceci était bien prévisible, si l'on en croit de nombreux experts du droit. Juriste interne et doctorant en droit privé, Amadou Khomeiny Camara a tenu à rappeler la vocation d'une loi interprétative. “Comme son nom l'indique, une loi interprétative tend à éclairer et à interpréter une autre loi. Par conséquent, elle rétroagit pour éclairer une ancienne loi déjà en vigueur”, souligne le juriste.
À ceux qui proposent d'exclure de manière claire et précise les crimes de sang du champ de l'amnistie, M. Camara invite à distinguer interprétation et modification. “On ne peut, sur la base d'une loi interprétative, bouleverser carrément l'économie d'une loi. La modification d'une loi est distincte d'une loi interprétative qui se limite à interpréter seulement la loi ancienne. Cela suppose que l'ancien texte soit obscur. Ce qui n'est pas, à mon sens, le cas de la loi sur l'amnistie”.
Pour ces raisons, ils sont nombreux, les juristes, à penser que la seule chance qu'il y avait pour ouvrir la voie à des poursuites, c'est d'abroger purement et simplement le texte. Le débat, à propos de l'abrogation, c'est de savoir s'il peut produire des effets rétroactivement. Les juristes ont des points de vue divergents sur la question.