CONTRIBUTION - Le développement économique nécessite une stabilité juridique de la terre qui est une source de richesse aussi bien pour l’État que pour les particuliers. En effet, elle constitue pour l’un, une base d’imposition, une source de revenus fiscaux permettant de couvrir les charges publiques et pour les autres, le socle de leur habitat social, l’aire géographique sur laquelle ils exercent leurs activités civiles, industrielles, ou commerciales. Toutefois, elle fait l’objet de convoitises les plus acharnées.

Ainsi, prenant en compte les besoins étatiques et ceux des particuliers, le législateur sénégalais s’est évertué à mettre en place une kyrielle de textes au sein desquels s’observe l’impératif de consolider les droits fonciers des particuliers et l’obligation de moderniser l’agriculture socle du développement.

Ces textes divisent le foncier sénégalais en deux catégories : les immeubles immatriculés à savoir ceux qui sont du domaine de l’État et du domaine des particuliers et les immeubles non immatriculés, ceux-là relèvent du domaine national.

A l’origine, la propriété était collective, les terres appartenaient à une collectivité. Ce régime était appliqué durant des siècles jusqu’ à sa rencontre avec la colonisation qui avait instauré des textes dans le but de faire évoluer la propriété collective vers la propriété individuelle.

Le constat qui est fait est que la population autochtone n’a pas répondu à l’invitation dans la mesure où lorsque le Sénégal a accédé à la souveraineté nationale seul 1% du territoire national relevait du régime introduit par la colonisation à savoir les terres soumises au régime du code civil et celles qui étaient soumises à l’immatriculation.

Ainsi le 4 avril 1960, quand le Sénégal a proclamé son indépendance, la situation foncière et domaniale étaient constituées de terres soumises au régime coutumier (99 %) et celles relevant du code civil et du régime de l’immatriculation (1%).

Cette juxtaposition de textes a créé une confusion et les impératifs économiques au moins commandaient une rationalisation. C’est ce qui a donné naissance à la loi relative au domaine national.

Celle-ci est constituée de plein droit par toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n’a pas été transcrite à la conservation des hypothèques.

Détenu par l’État pour le compte de tous, le domaine national serait ainsi la traduction juridique de l’idée selon laquelle l’espace foncier est confié par les dieux aux hommes qui vont tirer leur subsistance de sa mise en valeur. La loi sur le domaine national est donc une adaptation moderne du droit coutumier. L’État, simple détenteur des terres, doit jouer le rôle d’arbitre dans la relation entre la communauté, représentée par la commune, et le citoyen comme le faisait dans le passé le "lamane".

Délibérée par le conseil municipal et approuvée par le représentant de l’Etat, l’attribution des terres de la zone des terroirs se fait sous la triple condition que : le demandeur soit membre de la commune (Condition Violée dans l’affaire DINGLER), s’engage à exploiter le terrain personnellement ou avec l’aide de sa famille et assure sa mise en valeur.

Ces conditions sont cumulatives et leur inobservation justifie que la collectivité locale puisse, à tout moment, désaffecter le terrain.
En outre, toute personne qui se fait remettre de l’argent pour l’affectation d’une terre relevant du domaine national se rend coupable du délit visé à l’article 423 du Code pénal.

Le détenteur d’une délibération n’a pas un droit de propriété sur le terrain, il n’a qu’un simple droit d’usage. Il se voit affecter une parcelle qu’il occupe à charge de la mettre en valeur. Le droit d’usage est attaché à la personne de son titulaire. Il ne peut être cédé, transmis ou donné en garantie. En outre, en cas de décès de l’affectataire, ses héritiers, après demande adressée à la commune dans le délai de six (06) mois à compter du décès, peuvent obtenir l’affectation à leur profit des terres affectées à leur auteur. (Arrêt DANGOTE, Héritiers de Feu Serigne Saliou MBACKE.

Cependant, cette disposition est ineffective, source de contentieux et anachronique.
L’inefficacité de cette loi est causée par les autorités locales (décentralisée et déconcentrée) chargées d’assurer son application.
En effet, à la place d’une délibération approuvée par le représentant de l’Etat, les autorités locales délivrent à foison des attestations d’attribution de parcelles. Elles cautionnent la violation de l’article 423 du code pénal en procédant à la mutation des actes de vente portant sur les terres du domaine national.

Au plan judiciaire, elle est source de la majorité des litiges fonciers résultant de la suppression du régime coutumier de la tenue des terres, de l’inapplication des décrets et arrêtés permettant de mettre en place des outils de gestion, de l’absence de délimitation des zones (zone des terroirs, zone forestière, zone urbaine, zone pionnière) et de l’imprécision de la notion de mise en valeur.
Les dépendances du domaine national, à l’aune du temps, ne sont pas du tout sûres, car peu protégées.

Au plan économique, le caractère communautaire des conditions d’affectation se conciliant peu avec l’objectif de redynamisation de l’agriculture. L’obligation de mise en valeur supposant une capacité physique n’est pas adaptée au contexte actuel de modernisation de l’agriculture et l’obligation d’appartenance à la collectivité est en déphasage avec les objectifs d’intensification et de transformation de la production agricole. L’érection des huit pôles de développement nécessite au préalable la réforme de cette disposition.

Au plan juridique, pour un Etat qui a la maîtrise du sol (détenteur du domaine national), qui a l’exclusivité de l’immatriculation et donc les moyens de sécuriser et de stabiliser les populations, la titrisation des parcelles ayant déjà une délibération apparait comme un second souffle.
En plus de la sécurité qu’elle apporte aux affectataires, la titrisation des terres permettra aux agriculteurs de recourir au financement bancaire en donnant comme garantie leur titre d’occupation (Bail ou Titre Foncier). Elle facilite également la cessibilité encadrée de la terre pour permettre une mobilité foncière favorisant la création d’exploitation plus viables, la transmissibilité successorale des terres pour encourager l’investissement dans l’exploitation familiale.

Au plan fiscal, la participation des terres du domaine national dans le budget de l’Etat est trop faible par rapport à la superficie qu’elles couvrent. Au Sénégal, plus de 80% des terres sont du domaine national.
La titrisation des dépendances du domaine national faisant l’objet de délibération permettra à l’Etat au lieu de se limiter à recouvrer les frais de bornage, de percevoir tous les droits dus dans les transactions. (Exemple Vente : droits d’enregistrement 5%, les droits de mutation (1% du prix + 6500 FCFA) et la Taxe de Plus-Value (15% Terrain nu ou 10% terrain bâti).
La mise en œuvre de l’article 22 de la loi n°2004-16 portant loi d’orientation agro sylvo- pastorale est indispensable pour que cette réforme ne soit pas un vœu pieux.

Aliou MANÉ, Titulaire d’un Master II en Droit (UCAD), Expert en droit foncier, immobilier et fiscal, Membre de la cellule de PASTEF SAM SAM. PASTEF Diamaguene Sicap MBAO